Le Conseil national des finances publiques (CNFP), nouvelle institution budgétaire indépendante chargée d’évaluer les finances publiques du Luxembourg, a adopté lors sa réunion du 27 mai 2015 sa première "Evaluation des finances publiques", basée sur le Programme de stabilité et de croissance pour la période 2015-2019 (PSC) transmis par le gouvernement à la Commission européenne le 30 avril dernier dans le cadre du semestre européen 2015. Cette évaluation, après avoir été présentée au Ministre des Finances et à la Chambre des Députés (COFIBU) suivi d’une présentation au Conseil économique et social, a été publiée le 9 juin 2015.
Pour rappel, le CNFP a été créé par la loi du 12 juillet 2014 relative à la coordination et à la gouvernance des finances publiques, un texte transposant en droit luxembourgeois un certain nombre de dispositions découlant des instruments mis en place à la suite de la crise financière et économique pour renforcer la gouvernance au niveau européen, à savoir le six-pack, le two-pack et le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’UE (TSCG), plus connu sous le nom de pacte budgétaire. La mission du CNFP est de surveiller les règles budgétaires nouvellement adoptées ainsi que d’évaluer les prévisions économiques et budgétaires. Pour 2015, outre l’évaluation du PSC, le CNFP envisage de mener à l’automne une évaluation du projet de loi sur le budget annuel de l’Etat ainsi que du projet de loi sur la programmation financière pluriannuelle.
Dans son évaluation des finances publiques, le CNFP pointe les défis auquel il fait face en raison "d’imperfections de la loi du 12 juillet 2014 (…) telles que l’absence d’une base légale adéquate pour l’accès aux informations ainsi qu’aux données budgétaires et économiques, disposition pourtant essentielle pour l’accomplissement des missions du Conseil, ou encore la non-existence d’une procédure explicite pour ce qui est du statut et de la portée des évaluations du CNFP, alors que les principes afférents énoncés par la Commission européenne disposent que les autorités nationales sont appelées à suivre l’avis indépendant des organismes de surveillance tels que le CNFP ou de s’expliquer s’ils s’en écartent (principe du "comply-or-explain")". Le CNFP assure toutefois s’attendre à ce que le gouvernement, même en l’absence d’une disposition formelle, réponde aux conclusions et aux recommandations formulées dans son évaluation.
Comparé à d’autres pays, le Luxembourg présente encore une situation plutôt favorable en matière de finances publiques. Si à court terme, les principales règles budgétaires devraient être respectées, le rythme de croissance soutenu des dépenses publiques et la dégradation progressive de l’équilibre budgétaire feront toutefois que le respect de ces règles semble loin d’être assuré à moyen et à long termes, met en garde le CNFP qui n’exclut pas que le mécanisme de correction automatique soit déclenché avant la fin de la période sous revue.
A plus long terme, les coûts résultant du vieillissement de la population devraient inciter les autorités politiques à adopter une approche intergénérationnelle permettant d’anticiper, voire de remédier à une situation de déséquilibre potentiel des finances publiques.
Le CNFP consacre la première partie de son évaluation des finances publiques au contexte économique, en constatant que la trajectoire de croissance économique retenue dans le PSC "paraît plausible à la lumière des prévisions des organisations internationales, mais elle présuppose que la crise de la dette souveraine dans la zone euro soit maîtrisée".
En ce qui concerne le Luxembourg, le CNFP relève que "les pronostics des organisations internationales tendent à être plus prudents" que les prévisions de croissance retenues dans le PSC pour 2015, et il ne manque pas non plus de noter que "le Luxembourg ne serait plus en mesure de renouer avec sa croissance historique" sur la période évaluée.
Le CNFP relève par ailleurs que les estimations concernant l’inflation et le déclenchement d’une tranche indiciaire "semblent déjà avoir été dépassées par les faits au moment de la publication du PSC" dans la mesure où le taux d’inflation est désormais projeté à 0,5 % en 2015 et 1,5 % en 2016 et où la prochaine tranche indiciaire pourrait par conséquent être déclenchée au cours du premier trimestre 2016, et non en juillet 2016, comme l’envisageaient les chiffres retenus dans le PSC. "Le CNFP ignore l’effet que cette révision est susceptible d’avoir sur la trajectoire des finances publiques et aurait souhaité que les informations les plus récentes en matière d’inflation aient été prises en considération dans le PSC, et que les effets sur les finances publiques en soient explicités", est-il indiqué dans l’évaluation publiée.
En ce qui concerne l’année budgétaire 2014, les administrations publiques auraient respecté la règle budgétaire concernant le solde structurel qui, avec un niveau de + 1,8 % du PIB, se situerait largement au-dessus de l’objectif à moyen terme ("OMT") de +0,5 % du PIB. Résultat, "le CNFP estime que le mécanisme de correction ne serait pas déclenché".
Mais le Conseil pointe cependant que la situation est "bien plus différenciée" pour les sous-secteurs, le solde nominal de l’administration centrale restant déficitaire et la Sécurité sociale excédentaire. "Une administration centrale en situation de déficit depuis 2002, et prévisiblement jusqu’en 2019 inclus, continue de la sorte à faire progresser la dette publique du Luxembourg, une situation à laquelle il conviendrait de remédier à moyen terme", commente le CNFP.
En ce qui concerne le plan de consolidation annoncé au titre de 2014, le CNFP observe que sa mise en œuvre "ne peut malheureusement pas être vérifiée en détail, faute d’explications et d’éléments chiffrés dans le PSC 2015-2019". Aussi le CNFP invite-t-il le gouvernement à produire une évaluation ex post plus transparente des mesures de consolidation décidées dans le cadre du budget 2014.
Pour 2015, le CNPF observe que malgré l’impact négatif résultant de l’entrée en vigueur du nouveau régime européen en matière de TVA sur le commerce électronique, l’exercice budgétaire devrait donner lieu à un léger excédent de recettes au niveau des administrations publiques, et le CNFP estime par conséquent que le mécanisme de correction ne serait par conséquent pas déclenché.
Mais le CNFP relève l’absence de continuité en ce qui concerne le mode de calcul du solde structurel et demande aux autorités de choisir une approche unique et de l’appliquer de manière cohérente. En maintenant la méthode de calcul appliquée encore à l’automne 2014, le solde structurel ne serait non pas de 0,7 % en 2015, mais de 0,5 %, c’est-à-dire tout juste égal à l’objectif à respecter.
En ce qui qui concerne les dépenses publiques, le CNFP note par ailleurs qu’elles continueraient à "augmenter en 2015 à un rythme de croissance qui dépasserait le taux de référence de la règle européenne sur les dépenses, prévue au Pacte de stabilité et de croissance, avec un écart considéré comme important". "Le gouvernement estime que, aussi longtemps que l’OMT est respecté, aucune conséquence procédurale ne serait pourtant déclenchée", observe le CNPF qui entend revenir sur l’analyse de cette règle européenne complexe dans une prochaine évaluation.
La loi du 12 juillet 2014 fixe aussi une règle budgétaire sur les dépenses qui relève des autorités nationales, puisqu’il s’agit de définir pour la loi de programmation financière pluriannuelle (LPFP) établie tous les cinq ans "le montant maximal des dépenses de l’administration centrale". Or, la LPFP pour la période 2014-2018 "a omis d’arrêter" ce montant maximal annuel, note le CNFP qui invite par conséquent le gouvernement et la Chambre à clarifier la teneur de la règle en question et à fixer des montants maxima lors de l’actualisation de la programmation financière pluriannuelle en automne 2015.
A moyen terme, les administrations publiques risquent de ne plus respecter la règle budgétaire concernant le solde structurel en s’écartant de l’OMT, observe le CNFP qui observe que, selon la méthode de calcul choisie, ce risque pourrait se concrétiser à partir de 2019 (sur la base des calculs retenus dans le PSC), voire en 2017 (en se basant sur les calculs de la LPFP). Le CNFP estime toutefois que le mécanisme de correction ne devrait toutefois pas être déclenché vu que l’envergure de l’écart ne serait pas considérée comme "important" au sens de la loi du 12 juillet 2014.
Le CNFP observe toutefois que ces prévisions se basent sur un certain nombre de conditions qui "ne seront pas forcément toutes remplies à moyen terme" : la "stabilité fiscale" prévue dans le PSC "présuppose l’absence d’un impact défavorable résultant d’éventuelles modifications dans l’environnement fiscal international, la neutralité budgétaire de la réforme fiscale annoncée pour 2017 et le maintien des recettes perçues au titre de l’impôt d’équilibrage budgétaire temporaire au-delà de l’année 2016", observe par exemple le Conseil. Autre question soulevée, celle de savoir si le PSC tient compte de l’impact des nouvelles mesures annoncées par le gouvernement depuis l’adoption de la loi de programmation financière : sur ce point, le CNFP demande que l’impact de ces mesures soit clairement affiché, voire compensé si elles ne sont pas prises en compte.
"Tout dérapage, soit du côté des recettes, soit du côté des dépenses, serait de nature à donner lieu à un écart potentiellement "important", déclenchant de la sorte le mécanisme de correction", met en garde le CNFP qui invite par conséquent les autorités compétentes à veiller à une exécution budgétaire rigoureuse conformément à la trajectoire pluriannuelle des finances publiques telle qu’elle est définie actuellement dans la LPFP 2014-2018.
En ce qui concerne la dette, le CNFP observe que "le Luxembourg continuerait à se comparer favorablement dans le contexte international et européen". Le conseil invite le gouvernement à "prendre en compte l’impact de toutes les opérations financières susceptibles à augmenter le niveau de la dette à moyen terme", et il cite notamment le projet de recapitalisation de la Banque centrale du Luxembourg (BCL), les dotations annuelles au profit du Fonds souverain intergénérationnel ou encore la prise en compte des passifs des CFL.
En ce qui concerne la viabilité à long terme des finances publiques, le CNFP reprend notamment les chiffres publiés en mai 2015 dans l’édition 2015 du rapport sur le vieillissement. Selon ce rapport, les dépenses liées au vieillissement de la population devraient passer de 19,5 % du PIB en 2013 à 25,8 % en 2060, une estimation "bien plus favorable que les projections établies antérieurement" qui s’explique notamment par un scénario macroéconomique plus optimiste. "Une telle évolution présuppose que le Luxembourg serait capable à générer de manière soutenue une croissance supérieure à la moyenne européenne", observe le CNFP qui relève aussi que ce scénario repose sur une très forte dynamique en termes de création d’emplois.
La nouvelle projection démographique table sur une population de 1,1 million d’habitants d’ici 2060. La barre symbolique de 1 million d’habitants serait dépassée dès l’année 2046, alors que d’après les projections établies en 2012 tablaient sur un total de 730 000 habitants à l’horizon 2060. Le CNFP prend note de cette nouvelle projection démographique, qu’il ne manque pas de traiter "avec la plus grande prudence", et demande au gouvernement de présenter des scénarios alternatifs plus prudents. Le CNFP envisage de se pencher de manière plus approfondie sur la question dans ses futures évaluations.