Le 1er février 2016, les eurodéputés réunis en session plénière à Strasbourg ont débattu du projet d’accord sur le commerce des services (ACS ou TiSA, pour "Trade in Services Agreement" en anglais), en présence de Viviane Reding (PPE), rapporteure sur le sujet au sein de la commission du Commerce international (INTA), et de Cecilia Malmström, commissaire européenne au Commerce, avant de voter les recommandations du Parlement européen le 3 février.
Négocié entre 23 membres de l'Organisation mondiale du commerce y compris l'Union européenne, le TiSA vise à libéraliser davantage le commerce des services entre ces différents pays, c’est-à-dire accroître l’ouverture des marchés domestiques à la concurrence internationale et ainsi permettre aux fournisseurs d’un pays de proposer leurs services dans un autre. Ces négociations, démarrées en mars 2013, suscitent néanmoins de vives inquiétudes, notamment quant aux conséquences d’une accélération de la libéralisation des services publics.
Le 18 janvier 2016, les eurodéputés de la commission INTA, qui traite du fond de ce dossier et est en charge du rapport qui engage le Parlement, avaient déjà mis l’accent dans leur projet de recommandations sur la nécessité de protéger les consommateurs et les services publics européens. Ils y avaient tracé les lignes rouges qu’ils refuseront de voir franchies, alors que le Parlement aura à entériner l’accord une fois celui-ci conclu.
L’eurodéputée luxembourgeoise Viviane Reding (PPE), membre de la commission du commerce international (INTA) au Parlement européen et rapporteure sur le TiSA, a souligné que bien que le projet d’accord soit négocié depuis 2013 avec 23 pays qui représentent 70 % du commerce des services, il reste inconnu du grand public. Elle a rappelé qu’aucun secteur, du numérique aux transports, en passant par les services financiers, n’y échappera. "Nous n’avons donc pas le droit à l’erreur", a-t-elle dit.
Viviane Reding s’était déjà exprimée à plusieurs reprises à Luxembourg pour tracer les lignes rouges des députés européens qui auront à entériner cet accord. Elle avait également souligné les avantages potentiels d’un tel accord pour l’UE et le Luxembourg. Selon elle "l’enjeu est tel que les eurodéputés ont serré les rangs au-delà des clivages politiques pour changer l’orientation de la politique commerciale de l’Europe aussi bien sur la forme que sur le fond".
Sur la forme, elle a rappelé le souci de transparence au sein du Parlement européen, avec les principaux groupes politiques qui "assurent le suivi sans relâche de chaque tour de négociation ainsi qu’un dialogue intense à l’intérieur du Parlement avec la consultation de pas moins de huit commissions parlementaires et à l’extérieur de l’institution avec la société civile". De plus, le mandat de négociations a déjà été rendu public, a-t-elle précisé, tout en indiquant vouloir "encore aller plus loin dans la transparence" avec cette résolution du Parlement.
Sur le fond, Viviane Reding a rappelé que le message des eurodéputés était clair : "nous voulons une meilleure règlementation internationale, une règlementation juste, solide", a-t-elle dit.
Plus précisément, le présent rapport contient des "lignes bleues", a dit Viviane Reding : "plus de réciprocité dans l’accès aux marchés étrangers, notamment dans les secteurs des télécom, des transports, des marchés publics. Plus de droits pour les consommateurs, contre les abus tels que les frais de roaming ou les spams, plus d’avantages pour nos PME et plus de participants à la table des négociations où nous pouvons nous imaginer d’avoir la Chine aussi".
Au sujet des lignes rouges, "nos services publics et audiovisuels doivent être explicitement exclus, notre droit à réguler pleinement préservé, nos droits fondamentaux sauvegardés, le mouvement des personnes limité au déplacement temporaire de personnel qualifié dans le cadre d’un contrat", a-t-elle insisté.
Elle a conclu en invitant les eurodéputés à envoyer "un message fort aux négociateurs pour que ces négociations prennent la bonne direction dans l’intérêt de nos entreprises, des citoyens européens". "Voter contre le rapport c’est voter pour le statu quo, pour le manque de réciprocité, pour l’absence de règles. Voter pour le rapport, c’est voter pour le changement, pour la défense de nos valeurs, de nos intérêts", a-t-elle dit.
La commissaire européenne au Commerce, Cecilia Malmström, a ensuite pris la parole pour exposer la position de la Commission, chargée de représenter l’UE dans les négociations.
La commissaire s’est félicitée du soutien apporté par le Parlement européen dans son projet de résolution, rappelant que le TiSA offrait la possibilité unique de s’attaquer aux barrières existantes dans le commerce international qui entravent l’expansion des exportations en matière de services.
"Notre objectif est de développer des règles solides qui soient à la fois transparentes et efficaces, à travers différents secteurs qui sont cruciaux dans le commerce mondial de services", a-t-elle dit.
Mais selon elle, le TiSA est aussi une contribution importante à l’agenda commercial multilatéral, en particulier dans une situation où les accords plurilatéraux jouent un rôle central dans un contexte post-Nairobi.
La commissaire a encore indiqué être d’accord avec le Parlement européen qui souhaite une participation la plus large possible en vue de travailler vers une future multilatéralisation. "Nous devons garder les portes ouvertes pour de futurs candidats, notamment pour des économies émergentes comme la Chine", a-t-elle dit, précisant que l’UE avait mené les travaux pour concevoir le projet et l’architecture du TiSA pour qu’il soit pleinement compatible avec l’accord GATT et qu’il permette la multilatéralisation.
Cecilia Malmström a indiqué que le projet de résolution du Parlement européen contient des restrictions horizontales en matière de services publics acceptées par tous les participants à l’accord, et garantit que le TiSA participe à toutes les conventions de l’Organisation mondiale du travail. Cependant, selon la commissaire, si nous voulons une multilatéralisation du TiSA dans le futur, ce dernier doit rentrer dans le champ du GATT. Et le GATT ne contient pas de restriction aussi large.
Au sujet des services publics, de la culture et du droit du travail, la commissaire a réitéré sa "ferme intention de garantir que nous sommes capables d’unilatéralisme en Europe et que nous décidons nous même du niveau de protection que nous voulons". En particulier, l’Europe ne fera jamais de compromis sur la question des autorités nationales, régionales et locales en tant que fournisseurs de services, comme garanti par les traités européens.
Cecilia Malmström a encore évoqué l’engagement limité en matière de libéralisation du commerce transfrontalier inscrit dans la résolution du Parlement européen. "Nous poursuivrons une approche prudente dans ce contexte, notamment dans certains secteurs comme les services financiers", a-t-elle dit. "Cependant, dans certains autres secteurs comme les services numériques, qui représentent un potentiel de croissance, c’est une attaque à nos intérêts".
Au sujet de la protection des données, elle a rappelé que c’était un droit fondamental dans l’UE et que le TiSA n’allait pas le compromettre.
"Pas d’accord sans protection, mais pas de protection sans accord", a déclaré au nom du groupe PPE l’eurodéputé Daniel Caspary, soulignant l’importance de conclure un accord qui permette de "structurer la mondialisation", et qui contienne "des règles contraignantes pouvant faire l’objet de recours, sur lesquelles nos entreprises, nos citoyens et nos travailleurs peuvent se reposer". Il a appelé la Commission européenne à s’approprier les propositions du Parlement européen qui à ses yeux, seraient "positives" pour les services dans l’UE. "L’enjeu est de créer des emplois", a-t-il dit.
"Si nous utilisons notre pouvoir sagement dans le cadre des négociations, nous pouvons aboutir à une politique commerciale plus démocratique pour le bien des peuples et non uniquement pour les profits", a déclaré l’eurodéputée Jude Kirton-Darling au nom du groupe S&D, avant d’évoquer la nécessité de fixer un mandat "clair" pour les négociateurs qui précise "ce que nous sommes prêts à accepter". Rappelant que le projet de recommandations du Parlement européen sur le TiSA, adopté le 18 janvier 2016 par la commission INTA, avait obtenu le soutien de six des huit groupes politiques, Jude Kirton-Darling a appelé les eurodéputés à confirmer ce "mandat fort" en plénière pour éviter que les Etats membres et la Commission ne négligent la position du Parlement européen et les inquiétudes publiques que celle-ci reflète. L’eurodéputée socialiste a souligné l’importance que tous les services publics soient exclus de l’accord "sans la moindre ambigüité" et que les autorités publiques maintiennent leur droit de réglementer. "Il faut créer de nouvelles opportunités pour notre économie tout en garantissons notre soutien au travailleurs dans le domaine des services, et en soulignant que nous n’accepterons pas un accord renforçant le dumping social", a-t-elle dit, appelant les négociateurs à changer leur priorités dans les négociations.
Au nom du groupe ECR, l’eurodéputée Emma McClarkin a insisté sur le fait que le TiSA pourrait ajouter 20 milliards de livres sterling au PIB de l’UE, comme le secteur des services représenter 70 % de l’économie européenne. Elle a fait part de la compréhension de son groupe politique pour la portée et l’importance de cet accord commercial. "Il faut s’assurer que cet accord soit ambitieux, moderne, et à la hauteur des défis du 21e siècle tels que le commerce des services numériques, tout en incluant les PME dans les chaines d’approvisionnement mondial", a-t-elle déclaré. "Il faut également tenir compte des menaces perçues dans ces accords commerciaux", a-t-elle ajouté, estimant que les formulations retenues "permettent de répondre aux préoccupations des gens".
"L’UE est le numéro un mondial en termes d’exportations des services", a déclaré au nom du groupe ALDE l’eurodéputée Mariethe Schaake. A ses yeux, les services "très concurrentiels" de l’UE se caractérisent déjà par un degré d’ouverture important aux prestataires étrangers, si bien que les gains liés à l’adoption de l’accord TiSA ne peuvent qu’être plus grands. "Les services développés dans de nouveaux domaines comme le numérique demandent une mise à jour d’un certain nombre de règles", a-t-elle indiqué. Et de plaider pour l’adoption de règles "claires" et pour le maintien de principes tels que la concurrence loyale et le respect des droits fondamentaux. "Nous avons de bonnes raisons d’être confiants", a déclaré l’eurodéputée, indiquant que les normes existantes n’allaient pas être diluées. Mariethe Schaake a enfin plaidé pour l’exclusion des services publics et des services audiovisuels de l’accord.
Au nom du groupe GUE/NGL, l’eurodéputé Stelios Kouloglou a estimé que l’objectif poursuivi par cet accord était "la déréglementation dans le monde des services, l’affaiblissement des pays lorsqu’ils modifient les règles, l’affaiblissement des PME", ainsi que "la remise en question des normes et de la qualité du travail". Il a plaidé pour "une exclusion très claire" des services publics de cet accord, pour éviter que des services tels que la santé et l’enseignement soient privatisés. Enfin, Stelios Kouloglou a souligné l’importance que les conventions de l’OIT, la protection de l’environnement, et la protection des données et de la vie privée soient pris en considération. "Arrêtez de signer des accords qui mettent en danger les fondements sociaux de l’UE", a-t-il lancé.
Pour l’eurodéputée Julia Reda (Verts/ALE), le signal envoyé par ce rapport aux négociateurs de l’UE est "très clair" : Il s’agit selon elle de modifier le mandat de négociations pour que celui-ci reflète davantage la position du Parlement européen. "Les Européens sont opposés à la libéralisation des services publics par le TiSA. Les clauses de ‘cliquet’, de ‘statu quo’ et autres dispositifs limitant notre droit démocratique de réglementer dans l’intérêt public ne sont pas acceptés", a-t-elle déclaré.
Et de souligner également la nécessité de rejeter tout accord qui ne serait pas fondé sur "une approche par listes positives". Selon cette approche, un pays n’est tenu de libéraliser que les secteurs sur lesquels il a explicitement donné son accord, en les inscrivant sur une liste. L’approche par "listes négatives" prévoit par contre que seuls les secteurs cités explicitement dans les accords ne seront pas libéralisables.
Julia Reda a ensuite regretté le manque de transparence dans le cadre des négociations sur le TiSA. "Nous sommes obligés de nous appuyer sur des fuites d’informations, notamment dans le domaine du commerce électronique, où il y a eu un certain nombre de fuites alarmantes en matière de protection des données", a-t-elle regretté, avant de souligner l’importance de garantir une bonne protection des consommateurs et la neutralité du net.
Tiziana Beghin (ELDD) et Franz Obermayr (ENL) ont fait part de leur manque de confiance face au TiSA, notamment en ce qui concerne les services publics et la protection des données.
"La Parlement européen forme un front commun pour exiger la transparence pleine et entière de règles commerciales qui soient plus justes, des ouvertures de marchés plus réciproques, la sauvegarde du droit de réguler et un nombre plus important de droits des consommateurs", a déclaré Viviane Reding en réponse aux préoccupations soulevées par plusieurs eurodéputés. "La globalisation et la numérisation de nos économies sont des faits", a-t-elle poursuivi, soulignant l’importance d’ "écrire les règles du jeu pour ne pas devoir les subir demain". "Si nos recommandations sont suivies, elles constitueront des sources de croissance pour l’Europe, des gains de compétitivité pour nos entreprises, et un filet de sécurité pour nos citoyens", a-t-elle lancé, avant d’appeler les groupes politiques à maintenir leur soutien afin que les propositions du Parlement européen puissent être prises en considération par le Commission et les Etats membres.
Les recommandations du Parlement européen sur le TiSA ont été adoptées le 3 février 2016 par 532 pour, 131 voix contre, et 36 abstentions.