L’Accord sur le commerce des services (ACS ou TiSA, pour "Trade in Services Agreement" en anglais) négocié entre 23 parties à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) devra permettre l’ouverture de nouveaux marchés pour les entreprises de l'UE, tout en protégeant les consommateurs et les services publics européens. C’est là le message principal du projet de recommandations du Parlement européen sur le TiSA, adopté par 33 voix pour, 6 contre et une abstention en commission du commerce international (INTA) le 18 janvier 2016. Ce projet sera soumis au vote de l'assemblée plénière début février.
"Je suis fière d'avoir réuni un large soutien à travers l'échiquier politique", s’est félicitée à l’issue du vote l’eurodéputée luxembourgeoise Viviane Reding, rapporteure du Parlement sur ce texte, tout en soulignant que les eurodéputés "prennent leurs responsabilités [en envoyant] un message fort aux négociateurs à propos du commerce des services que nous voulons et de celui que nous ne voulons pas". Le projet de recommandation détaille en effet les exigences des parlementaires européens à l’intention de la Commission européenne dans les négociations du TiSA, mais trace également les lignes rouges qu’ils refuseront de voir franchies, alors que le Parlement aura à entériner l’accord une fois celui-ci conclu.
"L'accord sur le commerce des services est une occasion de façonner la mondialisation, d'assurer une plus grande réciprocité en termes d'accès aux marchés étrangers et de fournir davantage de droits aux consommateurs. Pourtant, nos services publics doivent être exclus sans équivoque, notre droit de réglementer entièrement préservé, et nos droits fondamentaux et les normes du travail dûment protégés", a encore déclaré l’ancienne commissaire européenne (1999 - 2014), selon des propos rapportés par un communiqué diffusé sur le site du Parlement.
Dans leur projet de recommandation, les députés notent que le marché de l'UE est substantiellement plus ouvert que ceux de la plupart de ses partenaires, tandis que beaucoup de marchés de services importants dans le monde sont encore fermés aux fournisseurs de l'UE.
Ainsi, alors que l’UE est le plus grand exportateur mondial de services, représentant 24 % du total mondial, les obstacles à l'accès du marché pour les fournisseurs de services de l'UE sont majeurs : traduits en termes tarifaires, ils s'élèvent à 15 % pour le Canada, 16 % pour le Japon, 25 % pour la Corée du Sud, 44 % pour la Turquie et 68 % pour la Chine, alors que dans l'UE, l'équivalent tarifaire des restrictions sur la fourniture de services pour les opérateurs étrangers est de 6 % seulement, lit-on dans le projet de recommandation.
Dans leurs lignes bleues, les députés demandent dès lors notamment que le futur accord :
Pour ce qui est des lignes rouges du Parlement européen, les députés demandent :
De manière générale, les députés européens demandent par ailleurs aux négociateurs européens de poursuivre les efforts de transparence relatifs aux négociations du TiSA en fournissant tous les documents de négociations à tous les eurodéputés, en fournissant des fiches explicatives au public, en expliquant chaque partie de l'accord et en publiant des rapports factuels de retour d'informations pour chaque cycle de négociation sur le site internet Europa.
A cet égard, Viviane Reding a salué au lendemain du vote une "transparence accrue", lors d’une conférence de presse en présence de tous les rapporteurs fictifs des différents groupes politiques du Parlement, qui font tous partie du "groupe de suivi" chargé de surveiller en continu toutes les étapes des négociations. L’ancienne commissaire a encore estimé à cet égard que les négociations relatives au TiSA constituaient une "véritable rupture" et que la recommandation du Parlement européen marquait la volonté de l’institution d’être impliquée durant toute la procédure afin de modeler le cours des négociations.
Enfin, le projet de recommandation demande aux négociateurs d’encourager une plus grande participation aux négociations sur le TiSA et notamment d’ouvrir la voie à la participation de la Chine. Les députés plaident également pour la "multilatéralisation" à terme de cet accord.
Pour mémoire, la négociation de l’accord TiSA a été initiée par les USA et l’Australie en mars 2013, suite à l'impasse des négociations multilatérales du cycle de Doha à l’OMC pour ce qui est du commerce des services. Il est discuté par 23 membres de l'OMC, dont l’UE, qui représentent environ 68 % du commerce des services. Aucun des grands pays émergents membres des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) n’en fait cependant partie.
L’objectif est de libéraliser le commerce des services, donc accroître l’ouverture des marchés domestiques à la concurrence internationale et ainsi permettre aux fournisseurs d’un pays de proposer leurs services dans un autre. Le TiSA vise "à ouvrir les marchés et améliorer les règles dans des domaines tels que l’octroi de licences, les services financiers, les télécommunications, le commerce électronique, le transport maritime et les travailleurs qui se déplacent temporairement à l’étranger pour fournir des services", explique la Commission européenne sur la page de son site dédiée à cet accord. La Commission a été chargée de négocier cet accord par un mandat du Conseil de l’UE octroyé en mars 2013 et rendu public en mars 2015.
Ces négociations suscitent néanmoins des inquiétudes, notamment au Luxembourg. Ainsi la Confédération générale de la fonction publique (CGFP), principal syndicat du secteur public, a-t-elle déjà fait part de ses craintes en août 2014 quant aux conséquences d’une accélération de la libéralisation des services publics. Des critiques face auxquelles la Commission avait, dans le contexte d’une fuite, réaffirmé son engagement de ne pas inclure ces services dans le TiSA.
De son côté, le gouvernement luxembourgeois, en réponse à une question parlementaire d’octobre 2014, avait confirmé son soutien à la conclusion de cet accord car, selon lui, il profiterait largement à l’économie nationale très axée sur les services, alors qu’il ne contraindrait en rien les Etats membres à privatiser leurs services publics. Un soutien réaffirmé en mai 2015 par le ministre des Affaires étrangères, Jean Asselborn, à l’issue du 12e tour de négociations. Face aux inquiétudes soulevées, le ministre s’était à cette occasion voulu catégorique : les services publics, l’audiovisuel ou l’exception culturelle "sont exclus" des négociations et "aucun pays ne pourra être contraint de privatiser en vertu du TiSA", avait-il assuré.
Le Parlement européen, pour sa part, tout en soulignant l'intérêt potentiel d'un tel accord dans sa résolution relative à l’ouverture des négociations adoptée en juillet 2013, priait néanmoins la Commission de "défendre les sensibilités européennes en ce qui concerne les services publics et les services d'intérêt général (au sens des traités de l'UE)". Viviane Reding, rapporteure sur le projet TiSA au sein de la commission INTA du Parlement, s’est de son côté exprimée à plusieurs reprises à la fois pour tracer les lignes rouges des députés européens mais également souligner les avantages potentiels d’un tel accord pour l’UE et le Luxembourg.