De nouvelles règles visant à faciliter les recours juridiques des entreprises pour obtenir réparation suite au vol ou à l'abus des données relevant du secret des affaires ont été adoptées par le Parlement le 14 avril 2016. Sur les 652 eurodéputés présents lors du vote, 503 se sont prononcés en faveur de la directive, 131 contre et 18 se sont abstenus. La majorité des députés estime avoir obtenu dans leurs négociations avec le Conseil et la Commission, qui ont abouti le 28 janvier 2016 à un accord en trilogue, que "la liberté d'expression et d'information soit protégée et que ces règles n'entravent pas le travail de la presse".
"Une entreprise sur cinq est victime d'un vol de ses secrets d'affaires chaque année. Un cadre juridique harmonisé doit permettre aux entreprises d'évoluer dans un environnement sûr et fiable, où leurs actifs et leur savoir-faire seront protégés", a déclaré le rapporteur Constance le Grip (PPE, FR), membre de la commission des affaires juridiques (JURI). "Nous nous sommes battus pour que ce texte protège également le travail des journalistes et les lanceurs d'alerte d'une façon aussi claire que possible", a-t-elle ajouté.
La directive, qui fait donc l'objet d'un accord politique avec les ministres des 28, introduit une définition commune de la notion de "secret d'affaires", à savoir les informations qui sont secrètes et qui ont une valeur commerciale en raison du fait qu'elles sont secrètes, et qui ont été soumises à des mesures raisonnables pour être gardées secrètes.
Le texte contraindra les États membres à garantir que les victimes d'une utilisation abusive des secrets d'affaires puissent défendre leurs droits et demander réparation devant les tribunaux. Le texte conclu prévoit également des règles sur la protection des informations confidentielles pendant le procès.
"Lutter contre l'espionnage économique et industriel, le pillage dont sont victimes nos entreprises européennes, protéger notre innovation et notre recherche, défendre notre compétitivité européenne, tels sont les principaux objectifs", a déclaré Constance Le Grip, rapporteuse du projet. Pour elle, ce texte "équilibré (...) protège à la fois le savoir-faire professionnel, le patrimoine immatériel des entreprises mais aussi les libertés fondamentales et l'exercice du métier de journaliste et des activités des lanceurs d'alertes".
Tout au long des négociations, les députés disent avoir "insisté sur la nécessité de veiller à ce que la législation ne réduise pas la liberté et le pluralisme des médias, et ne restreigne pas le travail des journalistes, en particulier en ce qui concerne leurs enquêtes et la protection de leurs sources". Tant dans les considérants, (points 19 et 20) que dans le premier article qui définit l’objet de la directive, le 5e article qui énumère les dérogations, et l’article 11qui traite des conditions d’application et des mesures de sauvegarde, la liberté d’expression et les droits des lanceurs d’alerte sont mis en avant .
L’ancien journaliste Jean -Marie Cavada, porte-parole des libéraux de l'ADLE et rapporteur fictif, voit même dans le vote d’un texte où "nous avons veillé tout au long des négociations à imposer des garde-fous garantissant la protection de l’investigation journalistique" et qui est le premier texte législatif européen qui mentionne pour la première fois de manière explicite la protection des lanceurs d’alerte, la "première étape décisive ouvrant la voie à une directive sur la protection des lanceurs d'alerte".
La directive a, malgré toutes ces précautions, provoqué une levée de boucliers depuis 2015. Une quarantaine d’organisations européennes de la société civile, parmi lesquelles des syndicats comme la Confédération européenne des syndicats (CES), ou encore la Fédération Internationale des Journalistes (IFJ), Wikileaks, l’Association Européenne des Droits de l’Homme (AEDH), mais aussi des organisations de juristes et de magistrats, comme le Syndicat des avocats de France, ont lancé au printemps 2015 déjà un appel mettant en garde contre le projet de directive relative au secret des affaires.
Ce sont les eurodéputés Verts qui ont le plus fortement réclamé au moins le report du vote. "C'est un signal complètement erroné de la part de cette assemblée d'adopter dix jours après les révélations des 'Panama Papers' un texte qui de facto va rendre plus difficile la tâche des lanceurs d'alerte et des journaux", a déclaré Philippe Lamberts, coprésident du groupe Verts-ALE, selon qui la directive "fait porter la charge de la preuve sur les lanceurs d'alerte et pas sur les entreprises". D’autres orateurs ont évoqué l’ouverture prochaine du procès à Luxembourg contre le lanceur d'alertes français Antoine Deltour, qui est à l'origine des révélations "LuxLeaks" de novembre 2014.
L’eurodéputé luxembourgeois vert Claude Turmes juge dans un communiqué que "c’est un scandale que des conservateurs, des socialistes et des libéraux restreignent quelques jours seulement après la publication des Panama Papers les droits des lanceurs d’alertes et des journalistes." Le député estime que le texte voté rendra plus difficiles, à cause des incertitudes juridiques qui lui sont inhérentes, des révélations sur des illégalités et des fraudes. Il dénonce surtout l’obligation de prouver que leurs révélations relèvent de l’intérêt public. "Le journalisme d’investigation s’en trouve entravé et ce sera nettement plus facile pour les entreprises de procéder judiciairement contre des révélations", estime-t-il.