Le vote sur la prolongation de l’autorisation du glyphosate, herbicide très répandu mais tout aussi controversé, a une nouvelle fois été ajourné le 19 mai 2016. Le comité permanent des végétaux, des animaux, des denrées alimentaires et aliments pour animaux (comité 'PAFF' pour Plants, Animals, Food and Feed), qui réunit les experts des 28 Etats membres de l’UE et au sein duquel le Luxembourg est représenté par un fonctionnaire de l’ASTA, était invité à se prononcer sur une proposition de la Commission européenne de renouveler pour neuf ans l’autorisation de commercialiser le glyphosate dans l’UE. La licence actuelle expire le 30 juin prochain.
"Puisqu'il était clair qu'aucune majorité qualifiée ne serait atteinte, le vote n'a pas été engagé", a expliqué un porte-parole de la Commission dans un bref communiqué, ajoutant que la Commission allait désormais prendre le temps de la réflexion pour analyser les discussions qui se sont tenues les 18 et 19 mai.
C’est la deuxième fois que ce vote est ajourné. En effet, le 8 mars dernier, le même comité PAFF avait dû reporter son vote sur un projet d’autorisation qui portait cette fois-là sur une prolongation de la licence de 15 ans. Entre temps, la Commission avait amendé cette proposition et réduit la durée d’autorisation à neuf ans, sans toutefois aller aussi loin que le Parlement européen qui avait voté le 13 avril 2016 pour réduire l’autorisation de commercialisation du glyphosate à sept ans, en restreignant son utilisation à des fins strictement professionnelles.
Plusieurs pays sont clairement opposés au glyphosate ou avaient au moins l’intention de s’abstenir. C’est le cas par exemple de la France, ou encore de l'Italie, de la Suède, de l'Autriche, de la Slovénie et du Portugal. L’intention du gouvernement allemand de s’abstenir lors du vote, faute d’accord sur la question au sein de la coalition, a de toute évidence fortement pesé dans la décision d’ajourner ce vote. Le Luxembourg, dont le gouvernement avait expliqué son intention de s’abstenir en amont du vote de mars dernier, avait l’intention de maintenir sa position, comme l’avait confié le ministre de l’Agriculture, Fernand Etgen au micro de la radio 100,7 le 17 mai 2016. Dans cet entretien, il plaidait pour une réforme de la procédure d’autorisation, dont il critiquait l’actuel manque de transparence et de crédibilité.
La controverse sur le glyphosate est liée aux forts soupçons qui pèsent sur les possibles effets de cet herbicide sur la santé. Il a été classé par le Centre international de recherche contre le cancer (CIRC), qui dépend de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), comme cancérogène probable en mars 2015. Plus récemment, une étude de l'OMS et de l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) a jugé "peu probable" que le glyphosate soit cancérogène "chez les humains qui y seraient exposés par l'alimentation". Deux découvertes non contradictoires, selon l'OMS, car la première portait sur un risque en cas de très forte exposition. L'Autorité Européenne de Sécurité des Aliments (EFSA) reste d’avis qu’il est improbable que le glyphosate présente un danger cancérogène, et c’est sur la base d’un avis publié en novembre 2015 que la Commission européenne a proposé de prolonger l’autorisation de l’utilisation de l’herbicide en question.
En pratique, "si aucune décision n'est prise avant le 30 juin, le glyphosate ne sera plus autorisé dans l'UE et les Etats membres devront retirer les autorisations de tous les produits à base de glyphosate", a prévenu la Commission.
Dans son entretien à la radio 100,7, Fernand Etgen explique qu’un vote ne devrait être possible qu’une fois que l'Agence européenne sur les produits chimiques (ECHA) aura publié les résultats de l’étude qu’elle mène actuellement sur les effets du glyphosate. Ils seraient attendus dans le courant de l’année.
L’Agence Europe indique dans son Bulletin quotidien daté du 20 mai 2016 qu’une nouvelle réunion du comité est possible en juin, mais aucune date n'est encore prévue. Faute de décision à ce moment-là, "la décision reviendra à la Commission, ce qu'elle souhaite éviter pour ne pas porter seule la responsabilité d'une procédure engagée depuis plus d'un an avec les États membres", commente l’Agence Europe.
Les réactions au report de ce vote montrent à au point le débat sur le glyphosate est clivé.
D’un côté, le Groupe de travail européen sur le glyphosate (Glyphosate Task Force ou GTF), qui se présente comme un "consortium de sociétés ayant conjugué leurs ressources et leurs efforts afin de renouveler l’enregistrement européen du glyphosate", a déploré le report du vote en dénonçant une "politisation de la procédure réglementaire". Le GTF juge la situation "discriminatoire, disproportionnée et totalement injustifiée". Le principal syndicat agricole européen, Copa-Cogeca, qui plaidait en amont de la réunion pour un renouvellement de l’autorisation, a aussi "regretté" l'absence de vote. Son secrétaire général, Pekka Pesonen, a dit craindre le "désavantage compétitif" vis-à-vis des pays non membres de l'UE qui utilisent le glyphosate, en cas d'interdiction de cet herbicide.
Face à l’industrie, de nombreuses voix ont toutefois salué le nouveau report du vote, et ce y compris au Luxembourg.
L’eurodéputé luxembourgeois Claude Turmes (Verts/ALE) a réagi par voie de communiqué en se félicitant de voir que certains gouvernements "prenaient au sérieux les préoccupations des citoyens". Selon lui, la campagne menée contre le glyphosate commence à porter ses fruits alors qu’il est "évident que la Commission et l’industrie agro-chimique veut le renouvellement de l’autorisation à tout prix". Il a une nouvelle fois appelé Jean-Claude Juncker à revoir en profondeur la proposition de la Commission en tenant compte des voix critiques qui s’élèvent au Parlement européen, dans les Etats membres et dans la société civile.
Le député Gérard Anzia (Déi Gréng), a salué pour sa part "une importante victoire d’étape". "La Commission Juncker ne peut plus ignorer la résistance de la société", estime le député luxembourgeois qui espère que ce nouveau report va encourager d’autres Etats membres à rejoindre les pays qui s’opposent au glyphosate. Comme Fernand Etgen, Gérard Anzia plaide pour une réforme urgente des procédures d’autorisation : l’enjeu est selon lui de limiter de façon drastique l’influence du lobby de l’agrochimie. "Il n’est pas possible que les autorités chargées de donner les autorisations se basent sur des études qui ne sont pas publiques pour évaluer les risques sur la santé publique", dénonce en effet le député. Il fait référence à trois études clés citées dans le rapport de l'EFSA et qui sont inaccessibles au grand public. Le commissaire Vytenis Andriukaitis avait d’ailleurs demandé début avril au président du GTF de publier ces documents afin de "faciliter la procédure en cours".