Dans un article publié le 17 mai 2016, la rédaction du Spiegel Online affirmait, à l’appui d’un document de travail interne, que la Commission européenne avait l’intention de "renforcer massivement l’énergie nucléaire". Les réactions ne se sont pas fait attendre, notamment de la part des Verts au Parlement européen, mais aussi de la part du gouvernement luxembourgeois, dont trois ministres compétents sont montés au créneau dans un communiqué de presse conjoint dès le 18 mai 2016. "Pas de fonds européens pour la recherche nucléaire !", y affirment les ministères du Développement durable et des Infrastructures, le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche et le ministère de l’Économie.
Entre temps, le document en question a été publié sur le site du groupe des Verts / ALE au Parlement européen. Comme l’avait expliqué une porte-parole de la Commission dès le 17 mai, il s’agit d’un document "de discussion transmis le 13 mai aux experts des Etats membres" qui n’est "en aucun cas un document final ou exprimant une position de la Commission". Ce document s’inscrit dans le cadre du plan stratégique européen pour les technologies énergétiques (SET-Plan) visant une meilleure coordination des politiques des États membres en matière de recherche et développement dans les domaines de l’énergie. Le SET Plan mis sur la table par la Commission européenne en septembre 2015 a établi le nucléaire comme l’une des priorités en matière de recherche et d’innovation (R&I) pour les Etats membres intéressés. Il doit être discuté le 24 mai 2016 et devrait aboutir à une "déclaration d’intention" de la part des Etats membres intéressés, des parties-prenantes et des services de la Commission en vue du financement de projets de recherche dans le domaine du nucléaire.
Ce document s’inscrit aussi dans la droite ligne du Programme indicatif nucléaire (PINC) publié par la Commission en avril 2016, et vivement critiqué par les Verts avant même d’avoir été rendu public. On y retrouve notamment le même souci de la Commission de voir l’Union européenne garder son leadership dans le domaine nucléaire, ce qui ne manque pas de faire réagir le groupe des Verts au Parlement européen avec véhémence dans la mesure où ils considèrent le secteur "en état de mort clinique".
Un des objectifs affiché est "la disponibilité de toutes les options de financement potentielles de l’UE, comme InnovFin, le Fonds européen pour les investissements stratégiques (EFSI, qui n’est autre que le fonds mis en place dans le cadre du plan Juncker, ndlr), les fonds structurels et de possibles prêts d’Euratom". Le Forum pour la Stratégie Européenne en matière d'Infrastructures de Recherche (ESFRI) est aussi cité au vue de son importance pour la mise en place de collaboration entre Etats membres dans le développement de nouvelles infrastructures de recherche.
En matière de sécurité, ce document prévoit comme objectif "la disponibilité d’ici 2025 de résultats solides de recherche sur le vieillissement des structures, des matériaux et des composants (notamment du point de vue de l’exploitation à long terme des centrales nucléaires)". La mise en œuvre par les Etats membres de "toutes les actions visant à améliorer la sûreté nucléaire découlant des stress tests" est visée pour 2025 dans ce document. L’eurodéputé écologiste Claude Turmes voit là la preuve que tout ce qui aurait dû être mis en œuvre après l’accident de Fukushima ne l’a pas été, et il ne perd pas de vue dans ce contexte la volonté de prolonger l’exploitation des centrales de Cattenom et de Tihange qui persiste aux frontières du Grand-Duché.
L’accent est mis aussi sur le développement, d’ici 2025, de petits réacteurs modulaires (en anglais SMR pour small modular reactor), dont les premiers devraient, selon ce document, être opérationnels dès 2030. Une idée jugée "complètement absurde" par Claude Turmes qui pointe les risques liés à la sécurité qu’impliquerait la multiplication de petites installations à la merci de terroristes malintentionnés.
Le projet de recherche ITER, qui met l’accent sur la fusion, reste aussi l’une des priorités indiquées dans ce document. Ce que n’a pas manqué de critiquer Claude Turmes, qui est un des fervents détracteurs de ce projet depuis de longues années.
L’eurodéputé écologiste Claude Turmes, qui a pu s’exprimer à plusieurs reprises sur les ondes de RTL Lëtzebuerg et de 100,7 les 17 et 18 mai 2016, voit dans ce document "une insolence" de la part de la Commission Juncker, mais aussi l’œuvre d’un puissant lobbying pro-nucléaire au sein de ses services. "Une partie des soi-disant experts de la Commission européenne semble avoir totalement perdu le sens des réalités", a affirmé l’eurodéputé qui dénonce l’idée de multiplier des mini-réacteurs nucléaires, ce qui signifierait aussi "multiplier les risques d’accident". Il juge tout aussi "irresponsable" la perspective de prolonger la durée de vie de centrales nucléaires vétustes. Enfin, il estime qu’il est "scandaleux que des fonctionnaires de la Commission européenne proposent de poursuivre le régime privilégié des aides d'État pour financer le nucléaire". Des arguments qui, pour la plupart, rejoignent ceux avancés pour dénoncer le PINC il y a quelques semaines.
Le parti des Verts luxembourgeois a réagi par voie de communiqué dès le 17 mai. Le parti écologiste dénonce la pression du lobby nucléaire sur la Commission que préside Jean-Claude Juncker.
Dès le 18 mai au matin, la ministre de l’Environnement, Carole Dieschbourg, jugeait au micro de la radio RTL Lëtzebuerg "inacceptable, irresponsable et intolérable" ce document. Elle rappelait d’ores et déjà la volonté du gouvernement de ne pas investir dans des technologies à risques au détriment des énergies renouvelables ou de l’efficacité énergétique.
Un peu plus tard dans la journée, un communiqué de presse conjoint provenant du département de l’environnement du ministère du Développement durable et des Infrastructures, du ministère de l’Economie et du ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche réaffirmait l’opposition ferme et formelle du gouvernement luxembourgeois à la promotion de l’énergie nucléaire.
"Le gouvernement réitère son attitude critique par rapport à l’attribution de fonds européens à la recherche nucléaire et insiste sur le fait qu’à l’avenir les fonds européens consacrés à la recherche devront être orientés davantage vers les énergies renouvelables", poursuivent les auteurs de ce communiqué. "L’énergie nucléaire n’est pas une solution au changement climatique. Elle n’est ni durable, ni sûre, ni économiquement viable et elle met en jeu l’avenir de nos sociétés", est-il argué dans ce communiqué qui se réfère au programme gouvernemental qui stipule qu’au niveau européen, "le gouvernement s’emploiera à faire orienter la recherche de préférence vers les énergies renouvelables, au dépens de l’énergie nucléaire". "En effet, les énergies renouvelables sont devenues plus rentables et ensemble avec la promotion de l’efficience énergétique, elles constituent le pilier fondamental de toute politique climatique", est-il indiqué.
Le communiqué se réfère au fait que le document en question "préconise entre autres la construction de mini-réacteurs nucléaires souples, qui devraient être mis en marche en Europe au plus tard en 2030". "Au niveau européen et en concertation étroite avec d’autres États-membres alliés dans cette cause, le gouvernement va maintenir sa position critique vis-à-vis de ces propositions et utiliser tous les moyens à sa disposition, afin de contrer toute initiative de la Commission européenne qui vise à promouvoir davantage la recherche nucléaire", affirment les ministres concernés.