La proposition de la Commission européenne du 4 mai 2016 d’exempter les citoyens turcs de l’obligation de visa à partir de la fin du mois de juin 2016 a suscité des réactions auprès des grands groupes politiques du Parlement européen qui sont toutes marquées par la prudence, l’exigence d’un respect intégral des critères et pour certains par un scepticisme quant à l’évolution de la situation politique en Turquie ou l’exploitation politique de l’octroi de l’exemption de visas par le président turc, Recep Tayyip Erdogan.
La réaction du plus grand groupe politique au Parlement européen, le Parti populaire européen (PPE) a été très vive. Dans un communiqué intitulé "N'affaiblissons pas les règles de libéralisation des visas", Manfred Weber, Président du Groupe PPE au Parlement européen, déclare : "Nous ne devons pas affaiblir les règles de libéralisation des visas avec la Turquie, il nous est donc difficile de comprendre pourquoi la Commission propose maintenant de libéraliser les visas alors que la Turquie ne respecte pas tous les critères." Et de continuer : "Le Parlement européen est indépendant et n'est redevable qu'auprès des citoyens de l'Europe. Nous prendrons tout le temps nécessaire pour examiner et discuter en détails la question de la libéralisation des visas. Le Parlement européen ne devrait voter la libéralisation des visas que si la Turquie respecte tous les critères, et après seulement que les Ministres européens des Affaires intérieures aient analysé la situation en profondeur." Il souligne cependant qu’il "est très positif que la Commission européenne ait accepté, sur notre insistance, un mécanisme d'urgence pour arrêter et suspendre la libéralisation des visas en cas d'abus".
Les sociaux-démocrates du S&D vont dans le même sens, puisqu’ils ont déclaré à travers le président de leur groupe, Gianni Pittella: "En ce qui concerne la libéralisation du régime des visas pour la Turquie, nous ne nous y opposons pas par principe, mais nous demandons avec fermeté que la Turquie commence par respecter nos principes et l’ensemble des critères de référence exigés. Aucune réduction ou approche accélérée ne sera acceptée pour la Turquie. Dans cet esprit, nous garantissons que le Groupe S&D surveillera de très près, au Parlement européen, le respect total par Ankara de ses obligations."
Le porte-parole des Conservateurs et Réformistes européens (ECR) pour les affaires intérieures, le très influent eurodéputé britannique Timothy Kirkhope, qui est un partisan du maintien du Royaume-Uni dans l’UE, a lui aussi fait part des préoccupations de son groupe. "La chose est simple : l’UE a des règles, et elles ont été faites pour ne pas être enfreintes. Soit la Turquie remplit objectivement tous les critères pour les voyages sans visa, soit elle ne les remplit pas." Pour lui, le rapport d’évaluation de la Commission européenne a pour but de maintenir sur les rails l’accord entre l’UE et la Turquie sur les réfugiés pour quelques semaines. Mais il rejette l’idée que la libéralisation des visas puisse servir de monnaie d’échange pour les pays qui pourraient aider l’UE à résoudre la question des migrations. Il réitère les réticences que son groupe nourrit en général à l’égard de l’accord du 18 mars, et souligne que "même si la Turquie remplit les critères, il y aura des obstacles politiques" liés à "la situation politique et sécuritaire dans laquelle elle se trouve". Il évoque également les futurs problèmes qu’un échec dans l’évaluation du véritable impact de la libéralisation du régime des visas avec la Turquie pourrait créer. Et de plaider pour une adoption rapide du système d’entrée/sortie (EES) proposé par la Commission pour les frontières extérieures de l’UE et de l’Espace Schengen.
Guy Verhofstadt, président de l'ADLE, s’est déclaré en faveur de la libéralisation des visas à condition "que toutes les exigences soient remplies". L’ancien Premier ministre belge, cité par l’Agence Europe, est particulièrement préoccupé par la législation turque contre le terrorisme qui est "utilisée pour museler les journalistes turcs étrangers qui critiquent Recep Tayiip Erdogan". Il ajoute que, tant que cela durera, "le Parlement européen ne devrait pas appuyer cette proposition de libéralisation des visas".
La porte-parole des Verts/ALE, Bodil Valero, elle aussi citée par l’Agence Europe, explique que "la libéralisation des visas ne devrait pas être utilisée comme monnaie d'échange" et risque d’être présentée comme une victoire du président Erdogan.