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Justice, liberté, sécurité et immigration
Les députés européens n’entendent pas ouvrir la libéralisation des visas pour la Turquie tant que tous les critères ne seront pas remplis
11-05-2016


ue-turquie-ppeLes députés européens ont exprimé lors d’un débat qui a eu lieu le 11 mai 2016 de sérieuses préoccupations au sujet de l'absence de progrès de la Turquie pour remplir les conditions de l'UE dans le cadre de la libéralisation du régime de visa pour les ressortissants turcs, comme l'exige l'accord conclu le 18 mars entre l'UE et la Turquie afin de contribuer à endiguer le flux de migrants dans l'UE.

Le contexte

Le débat  s’est tenu dans un contexte complexe.

Dans son troisième rapport de suivi, présenté le 4 mai 2016, la Commission européenne avait reconnu qu'Ankara devait encore satisfaire cinq conditions sur 72, qui concernent notamment des questions liées à la protection des données ainsi que la législation antiterroriste. Le 4 mai, elle avait également proposé de lever les exigences en matière de visa "étant entendu que les autorités turques respecteront, de toute urgence et comme elles se sont engagées à le faire le 18 mars 2016, les critères restants".

Le Parlement européen, qui s’est montré très critique à l’égard d’un accord UE-Turquie sur lequel il n’a pas été consulté directement, bénéficie sur la question de la libéralisation des visas de la co-décision avec le Conseil. Or, la Conférence des présidents du Parlement européen, composée du Président du Parlement européen et des chefs de file des groupes politiques, a clairement indiqué dès le 4 mai que la proposition serait uniquement traitée après que tous les critères auront été respectés. Tant que ce ne sera pas totalement le cas et tant que la Commission ne fournit pas au Parlement une garantie écrite du respect de l'ensemble des critères, les travaux approfondis devraient se poursuivre mais aucun retour en commission ne peut avoir lieu.

Le 9 mai 2016, les eurodéputés de la commission des Libertés civiles (LIBE), qui est en charge du dossier, ont réaffirmé avec force cette position lors d’une discussion avec une représentante de la Commission venue présenter le rapport de progrès. La commission parlementaire a en effet décidé qu'il n'y aurait aucune saisine de la commission LIBE tant que les 72 critères ne seraient pas tous respectés.

La plupart des députés ont critiqué la Commission pour avoir proposé une exemption de visa aux ressortissants turcs alors que le pays ne respecte pas encore tous les critères. Selon eux, la Turquie ne devrait ni faire l'objet de discrimination ni jouir d'un traitement préférentiel.

Les parlementaires se sont notamment appuyés sur les déclarations du président turc, Recep Tayyip Erdoğan, selon lesquelles les autorités turques n’entendaient pas modifier la législation antiterroriste. Par ailleurs, ils ont exprimé leurs inquiétudes face à la situation politique dans le pays, suite à la démission du Premier ministre Ahmet Davutoğlu, et face aux menaces à la liberté de la presse et aux droits de l'homme. Les députés chypriotes ont également rappelé que la Turquie ne reconnaissait pas leur pays.

Lors de cette réunion, les députés ont aussi entendu l'avis du service juridique du Parlement sur les aspects juridiques de l'accord UE-Turquie en matière de migration. Les experts juridiques ont affirmé que la déclaration de mars reflétait seulement un engagement politique des deux parties et ne pouvait en aucun cas être considérée comme un accord international étant donné son caractère juridique non contraignant. Ils ont précisé que tous les changements juridiques découlant de cet accord devront suivre les procédures habituelles qui, dans certains cas, impliquent le Parlement, comme pour la libéralisation des visas ou l'attribution de fonds afin d'aider les réfugiés en Turquie.

Le jour même où la question devait être débattue en plénière, le 11 mai 2016, le ministre turc chargé des Affaires européennes, Volkan Bozkir, était en visite au Parlement européen. "Tous les accords que nous avons conclus jusqu'à présent, basés sur la confiance, la bonne volonté, la responsabilité et la prise de risques politiques, font face à un moment très dangereux", y a-t-il lancé. Selon lui, la loi turque anti-terroriste "est conforme aux standards européens", et la modifier "est complètement impossible", du fait que son pays doit faire face au "terrorisme du PKK" (Parti des travailleurs du Kurdistan).

Lorsque le président du Parlement européen, Martin Schulz, qui le recevait, a dit avoir "l'impression que certaines mesures (de la loi antiterroriste turque) (...) s'en prennent à la liberté d'expression et des médias", Volkan Bozkir lui a rétorqué que la question de la liberté de la presse n'avait "jamais fait partie" de l'accord UE-Turquie sur la libéralisation des visas. Dans ce domaine, "la Turquie est prête à entendre les critiques, mais seulement si elle a le sentiment d'être incluse dans la famille de l'UE", a averti le ministre turc.

Le débat

Au cours du débat qui s’est tenu en plénière le 11 mai 2016, la ministre néerlandaise de la défense Jeanine Hennis-Plasschaert, a rappelé au nom du Conseil que la déclaration du 18 mars a accéléré un processus existant, suivant une feuille de route approuvée en 2013. "Ce n'est pas seulement un cadeau au Président Erdogan ou une concession, mais quelque chose dont nous allons tous bénéficier, des millions de touristes européens et des millions de Turcs, notamment des militants des droits de l'homme", a-t-elle déclaré. Elle a néanmoins reconnu que "la Turquie a beaucoup de devoirs à faire". Le groupe de travail du Conseil sur les visas a commencé son travail législatif sur la proposition de la Commission le matin même, a rapporté la ministre.

Le commissaire Dimitris Avramopoulos a également reconnu que la Turquie doit encore faire des progrès, mais s'est dit "optimiste" qu'Ankara donnera une impulsion finale aux réformes nécessaires d'ici fin juin. "Nous n'édulcorons pas nos normes", a-t-il assuré aux députés européens.

Mariya Gabriel (PPE) a présenté le soutien de son groupe à l'accord du 18 mars, mais a déclaré que la Turquie doit remplir tous les critères pour la libéralisation des visas avant le vote du Parlement. "Nous devons prendre le temps de finaliser les détails, d'examiner la position du Conseil et de mettre en place des mécanismes de sauvegarde".

Tania Fajon (S&D) a souligné que l'UE ne devrait pas faire des promesses sans veiller à ce que toutes les exigences soient remplies. "La législation antiterroriste et les questions de protection des données, entre autres, doivent être traitées", a-t-elle ajouté avertissant que "nous ne pouvons pas tolérer d'exceptions car cela aurait un effet boomerang".

Helga Stevens (ECR) a déclaré que les conditions imposées à la Turquie devraient être particulièrement rigoureuses, en tant que pays candidat à l'adhésion, sans doubles standards. Elle s'est sentie "honteuse du comportement irresponsable de la Commission envers un dictateur".

"Les critères d'exemption de visa doivent être remplis", a insisté Sophie in 't Veld't (ADLE). L'Europe est "soumise au chantage du Président Erdogan parce que nous sommes faibles et divisés". Elle a regretté que les dirigeants européens "concluent des accords avec des dictateurs" au lieu de convenir d'une politique européenne commune en matière de réfugiés.

Marie-Christine Vergiat (GUE/NGL) a souligné que le Président Erdogan vise à faire campagne pour et à installer un régime autoritaire. "Je suis en faveur de la libéralisation des visas, mais pas à n'importe quelle condition et pas en fermant les yeux sur ce qui se passe réellement en Turquie ", a-t-elle conclu.

Rebecca Harms (Verts/ALE) a souligné un nombre croissant de violations des droits démocratiques et de l'homme en Turquie et a déclaré que l'UE ne devait pas dépendre de la Turquie mais prendre ses responsabilités conjointement avec l'ONU pour trouver des solutions à la crise des réfugiés. "C'est une erreur de mélanger stratégie des réfugiés et politique de voisinage", a-t-elle ajouté.