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Stratégie numérique - Compétitivité - Marché intérieur
Conseil Compétitivité – Les ministres parviennent à un accord sur le blocage géographique qu'Etienne Schneider considère comme "un échec"
28-11-2016


Les ministres de l'UE en charge de l'économie et de l'industrie se sont réunis à Bruxelles le 28 novembre 2016 pour la première journée d'un Conseil Compétitivité qui a notamment été marquée par l'adoption de la position du Conseil sur un projet de règlement visant à interdire le blocage géographique injustifié entre États membres (pratique connue aussi sous le nom de géoblocag ou geoblocking).

Soucieuse de mettre fin aux discriminations à l'accès aux produits et services en ligne fondées sur le lieu de résidence ou la nationalité de l'acheteur et de stimuler par la même occasion le commerce électronique, la Commission européenne avait mis sur la table une proposition de règlement le 25 mai 2016. Comme le souligne un communiqué de presse du Ministère luxembourgeois de l'Economie, "le texte est d'une portée très limitée étant donné que la livraison de biens ou encore l'accès aux contenus numériques (tels que les films ou la musique) en sont exclus, ce dernier volet étant discuté dans des propositions législatives distinctes". Il exclut aussi "le secteur de la distribution, qui continuera à subir les effets des restrictions territoriales de l'offre, et donc à être discriminé par rapport aux commerçants ou supermarchés de plus grands États membres".

Si le ministre slovaque de l'Economie, Peter Ziga, qui assurait la présidence de cette réunion,  s'est félicité d'être parvenu à un accord qui va ouvrir la voie à une ouverture rapide des négociations avec le Parlement européen, la position commune a été adoptée à la majorité qualifiée, sans le soutien des délégations autrichienne, luxembourgeoise et polonaise.

Le compromis trouvé

Le principal objectif de la proposition est de prévenir la discrimination à l'encontre des consommateurs et des entreprises en ce qui concerne l'accès aux prix, aux ventes ou aux conditions de paiement dans un autre pays de l'UE.

Son champ d'application correspond à celui de la directive sur les services, qui exclut certaines activités comme les services financiers, les services audiovisuels, les services de transport, les services de soins de santé et les services sociaux.

Les nouvelles règles seront en conformité avec d'autres actes législatifs de l'UE en vigueur applicables aux ventes transfrontières, notamment les règles relatives au droit d'auteur et la législation de l'Union sur la coopération judiciaire en matière civile, en particulier les règlements Rome I et Bruxelles I.

Égalité d'accès aux biens et aux services

En vertu des nouvelles règles, les professionnels ne pourront pas opérer de discrimination entre les clients en ce qui concerne les conditions générales (y compris les prix) qu'ils proposent pour la vente de biens ou de services dans les trois cas suivants:

  1. les biens vendus par le professionnel sont livrés dans un État membre vers lequel la livraison est proposée par le professionnel ou sont récupérés en un lieu défini d'un commun accord avec le client;
  2. le professionnel propose des services fournis par voie électronique, comme des services d'informatique en nuage, des services de stockage de données, l'hébergement de sites et la mise en place de pare-feu. Cette situation ne s'applique pas aux services dont la principale caractéristique est de fournir un accès à des œuvres protégées par le droit d'auteur ou à d'autres objets protégés ou de permettre leur utilisation, ou de vendre des œuvres protégées par le droit d'auteur sous une forme immatérielle, comme des livres électroniques ou de la musique en ligne;
  3. les services fournis par le professionnel, tels que l'hébergement hôtelier, les manifestations sportives, la location de voiture et la billetterie des festivals de musique ou des parcs de loisirs, sont réceptionnés par le client dans le pays dans lequel le professionnel exerce ses activités.

Contrairement à la discrimination par les prix, la différenciation des prix ne devront pas être interdite, de sorte que les professionnels seront libres de proposer des conditions générales d'accès différentes, y compris en matière de prix, et de cibler certains groupes de clients situés sur des territoires spécifiques.

En outre, les professionnels ne seront pas tenus de livrer des biens à des clients en dehors de l'État membre pour lequel ils proposent une livraison.

Opérations de paiement

Le règlement interdira que des clients fassent l'objet d'une discrimination injustifiée en ce qui concerne les moyens de paiement utilisés. Les professionnels ne seront pas autorisés à appliquer des conditions de paiement différentes pour des motifs liés à la nationalité, au lieu de résidence ou au lieu d'établissement du client.

Non-discrimination en matière d'accès aux sites web de commerce électronique

Les professionnels ne seront pas autorisés à bloquer ou à limiter l'accès des clients à leur interface en ligne pour des motifs liés à la nationalité ou au lieu de résidence.

Une explication claire devra être fournie si un professionnel bloque ou limite l'accès à son interface en ligne ou redirige des clients vers une version différente de ladite interface.

Ventes passives

Dans le cadre de l'orientation générale, certaines dérogations permises par le droit de la concurrence de l'UE resteront en vigueur. Tel sera le cas, par exemple, lorsque les professionnels sont liés par un accord avec leur fournisseur qui leur impose de limiter leurs ventes passives (c'est-à-dire les ventes pour lesquelles le professionnel ne sollicite pas activement le client). Dans les cas concernés, le nouveau règlement ne s'appliquerait pas.

"Ni les entreprises ni les consommateurs luxembourgeois ne voient de bénéfices dans ce texte qui semble créer plus de problèmes qu'il n'en résout"

Etienne Schneider lors du Conseil Compétitivité qui s'est tenu à Bruxelles le 28 novembre 2016 (c) Union européenne / Le Conseil de l'UEEtienne Schneider, vice-Premier ministre et ministre de l'Economie, représentait le Luxembourg et n'a pas manqué d'exprimer au cours du débat qui a précédé le vote son désaccord à l'égard d'un texte qu'il considère comme "un échec". "Ni les entreprises ni les consommateurs luxembourgeois ne voient de bénéfices dans ce texte qui semble créer plus de problèmes qu'il n'en résout", a en effet souligné le ministre luxembourgeois qui s'est aussi référé à l'avis de l'industrie européenne sur cette question.

"Le texte crée un déséquilibre entre le poids des nouvelles obligations qui vont peser sur les entreprises, à savoir l'obligation de vendre à tous et les risques juridiques qu'elles vont encourir, et les bénéfices limités pour les consommateurs", a expliqué le ministre en précisant que "le texte ne clarifie pas la question du droit applicable et du tribunal compétent en cas de litige et expose de facto 25 000 entreprises européennes aux risques juridiques de devoir respecter 28 législations nationales et de devoir se faire représenter devant 28 tribunaux nationaux".

Etienne Schneider n'a pas manqué de rappeler que le consommateur luxembourgeois est particulièrement concerné par la pratique du blocage géographique puisque moins de 30 % d'achats en ligne peuvent se faire avec livraison alors que 68 % des consommateurs luxembourgeois font des achats transfrontaliers en ligne.

"Nous voulons la sécurité juridique pour les entreprises car c'est la seule manière pour elles de pouvoir vendre dans le marché intérieur comme elles le font sur le marché domestique", a insisté Etienne Schneider qui déplore que l'accord trouvé repose "sur une logique de territorialité et sur la persistance de 28 mini-marchés nationaux". Résultat, "nous mettons le coût de la non-Europe sur les épaules des entreprises au lieu de travailler à faire disparaitre les barrières", a dénoncé le ministre.

Etienne Schneider regrette par ailleurs aussi que ce texte "semble inciter le vendeur à ne pas exporter ses biens et services au-delà des frontières" et a fait part de son "espoir que l'on reviendra à plus d'équilibre pendant la suite du processus législatif", c'est-à-dire pendant les négociations avec le Parlement européen qui doit encore adopter sa position.

Une position qui rejoint un certain nombre de critiques exprimées tant par l'industrie que par les consommateurs. EuroCommerce, Organisation européenne du commerce de détail, de gros et du commerce international, estime en effet que le texte n'offre pas suffisamment de garanties juridiques aux petites et moyennes entreprises et aurait souhaité que "le texte indique clairement qu'un commerçant, qui se conforme au règlement, peut se prévaloir de toutes les règles applicables dans son pays, y compris toutes les autres règles - comme l'étiquetage, la langue, la sécurité des produits – au-delà de la loi obligatoire sur la protection des consommateurs". Quant au bureau européen des Unions de consommateurs (BEUC) il a regretté également que l'accord n'interdise pas "les accords anticoncurrentiels entre producteurs/distributeurs et détaillants".

L'Union luxembourgeoise des consommateurs est en partie satisfaite d'un texte qu'elle juge toutefois à "portée limitée"

"Le texte retenu présente quelques améliorations pour le consommateur actif qui veut acheter de sa propre initiative sur des sites étrangers", souligne pour sa part l'Union luxembourgeoise des consommateurs (ULC) qui espère toutefois que "les entraves qui subsistent à la réalisation d'un vrai marché intérieur numérique de biens et de services digitaux soient abolies à brève échéance". L'ULC juge en effet que le texte finalement retenu par la Commission européenne reste "d'une portée limitée", puisqu'il n'y aura "pas d'obligation pour le professionnel de réaliser des transactions commerciales en ligne avec un client". De même, l'accès à des contenus numériques tels que films ou musique en est exclu.

L'ULC est toutefois satisfaite que la proposition "requiert qu'un consommateur d'un autre Etat membre doit être traité de la même manière que les consommateurs nationaux". Au cas où le vendeur étranger ne prévoit pas d'effectuer des livraisons dans d'autres pays, le consommateur luxembourgeois pourra être livré à un endroit près de la frontière, réceptionner la marchandise lui-même ou bien se la faire livrer à domicile par un intermédiaire de son choix. Toutefois, l'ULC aurait souhaité que la proposition introduise une obligation d'information des consommateurs sur ce droit et compte sur le Parlement Européen pour combler cette lacune.

Par ailleurs, l'ULC note avec satisfaction que la proposition prévoit l'abolition de la discrimination des cartes de paiement suivant le pays de résidence du consommateur, "un phénomène qui se vérifie souvent en défaveur des consommateurs luxembourgeois".

Le Royaume-Uni annonce la ratification prochaine de l'accord sur la juridiction unifiée du brevet

Lors de leur réunion, les ministres ont par ailleurs procédé à un échange de vues sur l'achèvement de la mise en œuvre et l'entrée en vigueur du système de protection par brevet unitaire et plus précisément sur l'entrée en vigueur de l'accord relatif à une juridiction unifiée en matière de brevets. Comme le souligne le communiqué de presse du Ministère de l'Economie, "il manque seulement la ratification de quelques pays, dont le Royaume-Uni". Or, la délégation britannique a confirmé  lors de la réunion sa volonté de procéder rapidement à la ratification de cet accord qui prévoit notamment la création d'une importante structure juridictionnelle au Luxembourg.