Le 9 décembre 2009, le Bureau d'information du Parlement européen à Luxembourg, la Représentation de la Commission européenne au Luxembourg, le Mouvement Européen Luxembourg et le Centre européen des consommateurs, ont organisé une conférence-débat dans le cadre des Midis de l’Europe intitulée "La Chambre des députés et le Parlement européen - Mieux communiquer, mieux coopérer". Charles Goerens, membre du Parlement européen (ALDE), et Ben Fayot, député du LSAP et président de la commission parlementaire des Affaires étrangères et européennes, de la Défense, de la Coopération et de l'Immigration, ont donné des explications au sujet du renforcement du rôle des parlements nationaux dans le processus décisionnel de l’Union européenne après l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne.
Ben Fayot a expliqué qu’un des objectifs du traité de Lisbonne est de faire de l’Union européenne une démocratie parlementaire. Pour cela, le traité donne moins de poids à la dimension technocratique et bureaucratique, mais plus de poids à la dimension politique et démocratique. D’où aussi le renforcement du droit d’intervention des parlements nationaux à un stade précoce du processus décisionnel. "L’idée de donner aux parlements nationaux le contrôle de la subsidiarité et de la proportionnalité émane de la Convention européenne créée en 2001 et chargée d'engager un débat sur l'avenir de l'Union européenne", a-t-il ajouté.
"La Chambre des députés n’a pas attendu l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne pour axer le travail parlementaire sur la dimension européenne", a souligné Ben Fayot, "mais il n’est pas facile pour les députés luxembourgeois de concilier les dimensions locale, régionale, nationale et européenne". Faisant un appel à la responsabilité personnelle de ses collègues de prendre aux sérieux la dimension européenne, le député a souligné qu’un rôle éminent revient au Parlement européen, qui est un des deux législateurs dans l’UE à côté du Conseil. "Personne ne peut le dessaisir de son rôle, même pas les parlements européens", a-t-il déclaré en expliquant que les parlements nationaux jouent un rôle subordonné dans l’UE, même avec le traité de Lisbonne.
Pour Ben Fayot, les nouveaux droits des Parlements nationaux en matière de contrôle de subsidiarité et de proportionnalité ne sont d’ailleurs pas très faciles à exercer et requièrent qu’"on s’intéresse au processus, au contexte et aux conséquences de la politique européenne". D’après le député, la Chambre a depuis longtemps de très bonnes relations avec les eurodéputés luxembourgeois et les invite régulièrement à participer à la commission parlementaire des Affaires étrangères et européennes. Ben Fayot juge cette "approche positive" de "fondamentale pour l’information de la Chambre des députés sur les activités politiques du Parlement européen".
Ben Fayot a d’ailleurs aussi tenu à souligner que la Chambre des députés dispose d’une cellule européenne de quatre personnes qui font le tri des textes en provenance de la Commission européenne selon leur degré d’importance pour le Luxembourg. Les capacités sont donc limitées et Ben Fayot se rend compte du fait que le parlement luxembourgeois n’est pas capable de traiter tout ce qui concerne l’UE. "Nous avons donc besoin de l’aide du gouvernement", a-t-il souligné en ajoutant que la Chambre vient de signer un aide-mémoire sur sa collaboration avec le gouvernement dans le domaine européen. Pour lui, cette question n’est pas toujours facile dans la mesure où elle présuppose que les gouvernements soient prêts à partager les informations et l’expertise avec les parlements nationaux.
L’eurodéputé luxembourgeois Charles Goerens a fait le récapitulatif d’un rapport qu’il avait élaboré dans les années 1990 pour le Premier ministre Jean-Claude Juncker sur les relations entre les parlements nationaux et le Parlement européen. Une des conclusions en était que les relations dans certains domaines étaient bonnes, mais que des progrès devaient être faits dans tous les domaines qui relèvent de la compétence partagée. Le député européen a notamment cité l’exemple du budget européen, dont 80 % transitent par des administrations nationales, sans être contrôlés par les parlements nationaux. Pour lui, il est clair que le Parlement européen et les parlements nationaux devraient collaborer dans ce domaine par le biais d’un rapport commun.
Charles Goerens a également suggéré que le gouvernement luxembourgeois joigne à l’avenir une note explicative à tous les actes législatifs européens, contentant l’objet de l’acte, ses enjeux, ainsi que son impact sur le Luxembourg. "Ainsi, les députés européens savent quelles sont les sensibilités de leur pays sur les différentes thématiques et peuvent décider si elles sont conciliables avec les intérêts européens", a-t-il expliqué. Pour l’eurodéputé, le Luxembourg devrait s’inspirer du Danemark par exemple, où le parlement national a recours au mandat impératif pour approuver ce que les ministres - du gouvernement minoritaire dans ce cas concret - vont décider aux Conseils.
Ben Fayot a déclaré au sujet de la suggestion de Charles Goerens sur les notes explicatives que l’aide-mémoire sur la collaboration entre le Chambre et le gouvernement est déjà un pas dans la bonne direction, mais qu’"on se trouve seulement au début de la coopération". Pour lui, cette collaboration dépend aussi du ministre et de la qualité de gouvernance européenne d’un pays. Abordant le système politique luxembourgeois avec une majorité et une opposition, dans lequel la majorité au parlement n’est pas censée critiquer le gouvernement, Ben Fayot a expliqué que c’est dans ce point que réside la grande différence avec les députés européens, qui ont une certaine distance par rapport au gouvernement de leur pays.
Le député pense par ailleurs que le modèle danois du mandat contraignant ne pourrait pas marcher au Luxembourg pour diverses raisons. D’abord, il faudrait un consensus politique à ce sujet, ensuite l’accord du gouvernement, et puis mettre sur pied toute une administration pour laquelle on aurait besoin d’un budget.
Charles Goerens a expliqué que les procédures permettent à tous les députés luxembourgeois d’assister aux commissions publiques du Parlement européen. Pour lui, un député national doit se rendre au moins cinq fois par an à Bruxelles ou à Strasbourg pour s’informer de ce qui se passe au Parlement européen. Et d’ajouter que nous avons besoin de personnes informées, telles que "Monsieur Swift" ou "Madame PAC", aux parlements nationaux. L’eurodéputé a expliqué que les discussions aux Conseils sont également publiques mais que le public ne veut quand-même pas y assister.
Abordant le jugement de la Cour constitutionnelle allemande sur le rôle du Parlement allemand dans les questions européennes, Ben Fayot a estimé que les ministres allemands pourront à l’avenir être limités dans leur prise de décisions au Conseil, ce qui pourrait avoir des répercussions sur les autres pays. Et Charles Goerens d’ajouter que cela pourrait aussi parfois arranger les ministres pour se cacher derrière leurs parlements.
Ben Fayot pense que "depuis quelques années, pas mal de choses sont discutées dans les commissions parlementaires de la Chambre, et qu’il y a une certaine prise de conscience dans ce domaine". Cependant, "trop peu de sujets européens sont discutés en plénière, voire dans les médias", a souligné le député en rappelant qu’un pas dans la bonne direction a été fait avec - parallèlement au débat sur la Politique étrangère - le débat d’orientation sur le Programme de Stockholm, le hearing public sur le changement climatique et le débat d’orientation sur le changement climatique à la Chambre. "Nous avons du chemin à faire", a-t-il déclaré en expliquant que les députés ont l’intention d’organiser à l’avenir de tels débats de façon régulière.
Charles Goerens, pour sa part, a regretté qu’il n’y ait pas eu de débat à la Chambre sur José Manuel Barroso avant sa reconduction à la tête de la Commission européenne. Pour lui, il faut rester pragmatique et reconnaître que "sur soixante députés, seulement une dizaine est prête à discuter sur les questions européennes", et il pense que c’est à ceux-ci qu’il faut donner "plus de visibilité", ce dont dépend aussi, selon lui, "la crédibilité de la Chambre". D’après l’eurodéputé, il faut nommer un rapporteur dès le dépôt d’un texte européen à la Chambre, qui pourra suivre les travaux y relatifs. Et de conclure : "C’est de cette façon que les parlements nationaux peuvent se manifester à un stade précoce, parce que s’ils s’impliquent trop tard, ils n’auront pas d’influence sur les décisions".