A l’issue de la réunion de l’Eurogroupe du 17 mai 2010, Jean-Claude Juncker annonçait à la presse l’intention des ministres des Finances de la zone euro de "continuer à défendre sur le plan international une participation plus prononcée du secteur financier au coût de la crise" et il précisait que chacun des Etats membres de la zone euro veillerait par conséquent à plaider pour une imposition des transactions financières sur un plan international.
A l’approche d’une réunion du G20 qui doit se tenir à Toronto les 26 et 27 juin 2010, la question d’une taxation sur les transactions financières, récurrente depuis le début de la crise et déjà évoquée notamment à la veille du sommet de Pittsburgh, fait l’objet de toutes les attentions. Le sujet serait d’ailleurs évoqué dans la lettre adressée le 13 mai 2010 par le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, aux responsables européens au sujet des priorités pour le sommet du G20.
Le Parlement européen avait pour sa part voté lors de sa session plénière de mars 2010 une résolution appelant la Commission européenne à explorer les conséquences possibles d’une taxe sur les transactions financières. Le 1er avril, la Commission publiait une étude selon laquelle une telle taxe sur les banques dans l'UE pourrait "générer des revenus substantiels" allant jusqu'à plus de 50 milliards d'euros, et améliorerait la stabilité du système.
De toute part les appels à la mise en place d’une telle taxe ne cessent de fuser comme en témoignent les récentes prises de position des Verts ou encore des syndicats.
Une telle taxe sur les transactions financières, souvent appelée "taxe Tobin" du nom du prix Nobel d’économie James Tobin qui en avait proposé l’idée dès 1972, continue de faire débat, un certain nombre de questions se posant en effet sur les modalités d’application possibles d’un tel impôt.
Le ministre des Finances, Luc Frieden, a ainsi soulevé, à l’issue de la réunion du Conseil ECOFIN du 18 mai 2010, un des points les plus discutés au sujet de cette taxe. Il insiste en effet, comme nombre de ses homologues européens, sur la nécessité de l’appliquer dans tous les grands centres financiers.
"J'y ai toujours été opposé quand on parlait de ne l'appliquer qu'au Luxembourg", a-t-il expliqué aux journalistes de La Voix et du Luxemburger Wort avant d’avancer sa condition d’une participation de tous les grands centres financiers. Il s’agit en effet d’éviter une fuite des capitaux. Luc Frieden appelle cependant à la prudence, car comme il l’a rappelé, "la Suède l'a essayé il y a quinze ans et ça n'a pas marché".
Du côté de la place financière luxembourgeoise, les avis sont aussi mesurés par des considérations techniques. Christian Muller du Tageblatt présente dans son article du 19 mai 2010 les réactions qu’il a pu recueillir auprès de certains de ses représentants. S’ils ne semblent pas s’opposer à un tel projet, ces praticiens de la finance mettent le doigt sur nombre de points qui devront être éclaircis.
Michel Macquil, président du comité de direction de la bourse de Luxembourg, a ainsi déclaré à Christian Muller qu’il verrait d’un bon œil l’introduction d’une taxe sur le commerce interbancaire. Cela permettrait en effet de taxer les opérations purement spéculatives.
Il souligne cependant que si les fonds qui achètent et revendent les actions devaient être soumis à cette taxe, celle-ci risquerait de toucher tout un chacun. Tout deviendrait en effet plus cher pour le client, et Michel Macquil insiste bien sur la nécessité de faire la distinction.
Le directeur de l’Association des Banques et Banquiers du Luxembourg (ABBL), Jean-Jacques Rommes, a quant à lui expliqué qu’il serait tout à fait envisageable d’accepter l’introduction d’une telle taxe au niveau international. Et sur ce point, il rejoint les considérations de Luc Frieden puisque l’essentiel pour la place financière luxembourgeoise est à ses yeux qu’un tel impôt ne frappe pas seulement les banques luxembourgeoises et européennes. Le directeur de l’ABBL se réjouit par conséquent du fait que la question soit discutée à un niveau international car il entend veiller à la compétitivité des banques de la place.
Jean-Jacques Rommes souligne cependant que, concrètement, beaucoup de questions restent ouvertes.
Qu’entendra-t-on en effet par "transaction" ? Voilà une des interrogations essentielles soulevées par l’idée d’une telle taxe. Car si une telle taxe devait s’appliquer par exemple au versement d’un loyer, opération qui est aussi une "transaction financière", elle aurait des conséquences sur l’ensemble de la société.
Quel sera le taux de taxation ? Pour Jean-Jacques Rommes, le chiffre de 0,5 % qui est avancé est "énorme" puisque cela représente plus que les marges qui sont réalisées sur nombre de transactions. Une taxation à ce taux serait un "non sens absolu" puisque cela mettrait fin à quasiment toutes les spéculations, toutes les transactions, ce qui paralyserait en quelque sorte les marchés.
Mais Jean-Jacques Rommes se demande aussi quelle infrastructure permettra de recouvrir cet impôt ou encore à quoi l’argent ainsi prélevé sera destiné.
Claude Schettgen, responsable des opérations de banque privée en Europe centrale et orientale chez HSBC à Luxembourg, a pour sa part expliqué au journaliste du Tageblatt que tout était une question d’échelle. En effet, pour lui, "si l’impôt est modéré, il pourrait être un bien" en aidant notamment à limiter les déficits des Etats. Pour le banquier, "une petite taxe pourrait avoir un grand effet positif" et elle n’aurait pas de conséquence sur le volume des transactions. Elle pourrait même avoir un impact sur la volatilité des marchés.
Pour le banquier, il est cependant essentiel que la taxe soit introduite à l’échelle mondiale, mais il se dit convaincu qu’un compromis mondial pourra être trouvé.
Carlo Thill, co-président du comité de direction de BGL BNP Paribas, semble s’être déjà fait une raison au sujet d’une telle taxe. A ses yeux, il faudrait éviter cependant que l’UE fasse là cavalier seul, car cela aurait des conséquences en termes de compétitivité et de financement de l’économie. Il faudra donc tenter de trouver un accord au G20 en juin. Quant à savoir à quoi ressemblera cette taxe, Carl Thill s’interroge : "les transactions à haut-risque seront-elles les seules concernées ou bien les achats d’actions seront-ils eux aussi taxés ?".