Le mardi 15 juin 2010 de 19h20 à 20h00, Quentin Dickinson accueillera l'eurodéputé luxembourgeois Robert Goebbels dans l'émission "le téléphone sonne (Europe)" sur France Inter.
Au programme de la discussion: le couple franco-allemand.
Dans un contexte de crise monétaire et financière, notamment et plus récemment avec le cas de la Grèce, on observe une certaine tendance à l’internationalisation ou plutôt à l’européanisation des sujets traités dans les médias. Qui parle de l’Europe ? Comment susciter l’intérêt face à des citoyens qui s’abstiennent lors des élections européennes ? Quel est le rôle de la crise grecque dans cette possible émergence d’une opinion publique européenne ? Telles étaient les questions au sujet desquelles Quentin Dickinson, directeur des affaires européennes à Radio France, et Jochen Bittner, correspondant de Die Zeit à Bruxelles pour l’UE et l’OTAN, ont exposé leur point de vue lors d’un débat organisé le 10 juin 2010 par l’Institut Pierre Werner (IPW) dans le cadre du cycle de conférences "Penser l’Europe".
Abordant la question linguistique et notamment l’intention de la RFA de faire de l’allemand une langue de travail de l’Union européenne, sur un pied d’égalité avec l’anglais et le français, le journaliste allemand Jochen Bittner a estimé qu’il s’agit là d’une politique de prestige, pas très utile au processus d’intégration européen. Quentin Dickinson a quant à lui expliqué que la France est – et a toujours été – favorable au multilinguisme dans l’UE, ne serait-ce que pour sauvegarder le français qui est en recul par rapport à l’anglais. Selon lui, l’allemand, qui a été une langue de travail importante de l’UE avant l’adhésion de la Grande-Bretagne et de l’Irlande, reste notamment indispensable si ont veut influencer les députés européens.
En ce qui concerne le positionnement des journalistes accrédités à Bruxelles, Jochen Bittner a expliqué que lui personnellement doit surtout rendre des comptes à ses lecteurs dont il se considère en quelque sorte comme l’avocat. Il a avoué qu’il est souvent tenté de jouer un peu le rôle de l’ambassadeur de l’UE auprès de sa rédaction à Hambourg qui ne veut pas toujours comprendre à quel point Bruxelles est important. Cependant, le journaliste allemand déplore qu’il n’y ait pas d’opposition visible à Bruxelles et que la politique du consensus ne permette pas d’exprimer de divergences d’opinion. Il revient donc aux médias d’expliquer les controverses de la matière au public.
"Bruxelles est plutôt une scène qu’un lieu où de vraies décisions politiques sont prises. C’est un seau qui attend chaque jour d’être rempli de politique", a déclaré Jochen Bittner. Il regrette que les responsables politiques se disputent uniquement à huis clos pour éviter que la presse n’en fasse de nouvelles crises européennes. Pour lui, les journalistes traitant les affaires européennes défendent en quelque sorte une cause perdue. Le processus décisionnel long et peu transparent, ainsi que le fait que personne ne se sente responsable pour l’UE au sein des parlements nationaux, ne facilite pas leur tâche. "C’est à nous d’expliquer aux citoyens comment fonctionne l’UE", a-t-il expliqué en déplorant le manque de compréhension au sein de la population pour les procédures législatives communautaires.
Quentin Dickinson se sent en premier lieu responsable vis-à-vis de son chef et de ses auditeurs, mais il y voit également une responsabilité plus déontologique en tant que journaliste et il pense que son devoir consiste à dire ce qu’il juge vraisemblable. Selon le journaliste de Radio France, il revient aux médias de faire vivre les institutions européennes même s’il pense que l’Europe ne se compose pas uniquement de ses institutions, mais de la vie politique et des débats dans toute l’UE. Les journalistes ont dès lors la mission d’expliquer aux lecteurs quelles sont les implications sur le terrain des décisions prises à Bruxelles. Concernant le processus décisionnel, il s’est accordé avec son collègue allemand à dire que celui-ci est extrêmement – parfois trop – long. Ainsi, dans sa rédaction se pose régulièrement la question de savoir à quel moment du processus décisionnel il faut évoquer un sujet pour qu’il reste d’actualité.
Abordant le nombre déclinant de journalistes accrédités à Bruxelles – ils étaient quelques 1350 à l’époque et sont actuellement environ 880 – Quentin Dickinson a déploré le fait que la presse régionale française par exemple ne soit pratiquement pas présente dans la capitale belge. Pourtant, tous les jours s’y prennent des décisions qui concernent la population régionale, et il pense donc que c’est dommage que la presse n’en rende pas compte. Ce sont des informations précises de première importance de l’Europe concrète qui concernent les bénéficiaires du projet européen, ainsi qu’il a tenu à le souligner.
"Un lecteur allemand sait qu’il n’a aucune influence sur le Commissaire maltais par exemple", a expliqué Jochen Bittner pour illustrer le problème de l’implication des citoyens dans le processus décisionnel. Et d’ajouter que "la chaine de légitimation est si longue qu’elle s’est détendue au fil du temps". Le journaliste allemand pense que le système de l’équilibre des pouvoirs, tel qu’il fonctionne au niveau national, ne fonctionne pas dans l’UE, notamment parce que la composition politique du Parlement européen reflète plus ou moins les gouvernements nationaux. Par ailleurs, des députés issus de 165 partis nationaux y sont regroupés dans seulement sept groupes parlementaires, ce qui ne représente pas les paysages politiques nationaux selon Jochen Bittner. "Vu la complexité du processus décisionnel, les journalistes ne peuvent pas en faire le compte-rendu complet, et le pouvoir de contrôle de la presse se voit donc réduit", a-t-il estimé en concluant que "l’existence d’une opinion publique européenne est illusoire, c’est du Voodoo".
"On peut dire du Parlement européen ce qu’on veut, mais au moins il a le mérite d’exister – même s’il demeure perfectible", a déclaré Quentin Dickinson en réaction. Il juge difficile de dire s’il y a une opinion publique européenne, notamment parce que les citoyens continuent à voter, lors des élections européennes, en fonction des situations nationales. Lors de l’invasion de l’Irak par les troupes américaines et britanniques, le journaliste français avait observé un phénomène paneuropéen de refus de cet engagement militaire, mais il pense qu’il ne s’agissait là toutefois pas d’une "démarche collective de construction".
Pour Quentin Dickinson, une identité européenne existait entre 1945 et 1965 lorsque la paix sur le continent européen motivait les citoyens et exerçait une certaine pression sur les classes politiques. Aujourd’hui, l’Europe est devenue une affaire technique guidée par une élite spécialisée, et la baisse constante du taux de participation aux élections européennes témoigne de la lassitude des citoyens. Pour Jochen Bittner, la nationalisation des politiques européennes par les parlements nationaux pourrait être une chance pour l’Europe de gagner en importance dans les Etats membres.
"La conscience de soi de l’Allemagne a changé et nous nous trouvons face à un changement de paradigme", a estimé Jochen Bittner. Pour lui, l’Allemagne a eu honte pendant plus de 50 ans, et c’est pourquoi elle voulait faire avancer l’intégration européenne. Aujourd’hui, l’Allemagne est fière d’avoir maîtrisé la réunification et d’être la championne des exportateurs parmi les Etats membres de l’UE. Elle se veut donc parfois la maîtresse des autres, comme cela a été récemment le cas lors de la crise budgétaire de la Grèce. "C’est la fin du romantisme des politiques européennes", a déclaré Jochen Bittner qui pense qu’il ne suffit plus de faire avancer uniquement le projet de paix européen. Il s’agit désormais de trouver des réponses aux questions pragmatiques, telles que la coordination des politiques économiques, la convergence des systèmes sociaux ou des règles communes concernant le temps de travail des salariés.
Pour Quentin Dickinson, qui ne partage pas la vue pessimiste, il y a une époque pour tout. Chaque nouveau traité a apporté une nouvelle Europe, qui n’est pas restée figée dans ses structures. Les valeurs et approches, quant à elles, demeurent toujours les mêmes. Le journaliste de Radio France a tenu à saluer la façon dont l’UE a réagi pendant la crise de la zone euro lors de laquelle plusieurs décisions importantes ont été prises en rafale. Il a par exemple cité les « surprises » telles que la mise en place par le Conseil Ecofin d'un plan de secours de 750 milliards d'euros pour aider les pays de la zone euro, la création de la Facilité de stabilité financière européenne par l’Eurogroupe, le renforcement du Pacte de stabilité et de croissance, le renforcement des compétences d’Eurostat en matière de contrôle des comptes des Etats, et l’entrée dans la zone euro dès 2011 de l’Estonie. "Ce sont les résultats de réflexions solides et entièrement propulsées par la crise", a-t-il estimé en reprochant toutefois à l’UE l’avancer souvent trop lentement. Mais il a foi dans la méthode communautaire "qui obtient de bons résultats".
En ce qui concerne les relations entre la France et l’Allemagne et leurs controverses au sujet d’un gouvernement économique européen, Quentin Dickinson ne voit pas beaucoup de divergences et il pense que la bipolarité franco-allemande est solide. Et d’ajouter que les deux pays sont de toute façon condamnés par le système à s’entendre. Pour Jochen Bittner, les conflits "rituels" entre la France plutôt protectionniste et l’Allemagne plutôt libérale au sujet de questions économiques sont plutôt "amusants".
L’Europe n’est pas proche des citoyens et ce n’est d’ailleurs pas sa vocation de l’être, a déclaré Jochen Bittner en faisant référence au principe de subsidiarité qui prévoit que l’UE s’occupe uniquement des affaires que les niveaux national, régional ou local ne parviennent pas à résoudre. "Elle doit intervenir là où les autres échouent et c’est une grande erreur de penser et vouloir autre chose", a-t-il expliqué. Et d'ajouter : "L’Europe trop grande pour les petites choses et trop petite pour les grandes choses".
Dans ce contexte, Quentin Dickinson a tenu à souligner que le traité de Lisbonne n’est pas du tout précis sur l’initiative citoyenne. Pour lui, un million de signatures – dont une initiative citoyenne a besoin pour être prise en compte – n’est pas beaucoup. Quentin Dickinson pense donc d’une part que c’est une chance pour les citoyens d’être pris en considération par la Commission, mais "on ne rapprochera pas l’Europe des citoyens par ce biais". D’autre part, il redoute que les lobbies, eurosceptiques ou partis populistes puissent confisquer le système et le transformer en "arme nucléaire" en l’utilisant abusivement pour leurs objectifs. La Commission est chargée de définir les décrets y relatifs. Les formes que prendra l’initiative risquent donc probablement de devenir plutôt minimalistes et son champ d’application finira d’être assez limité, craint le journaliste.