Le Parlement européen, la Commission et le Conseil sont parvenus à un accord de principe sur la directive relative aux gestionnaires de fonds d’investissement alternatifs le 26 octobre 2010. Le Conseil Ecofin du 19 octobre dernier avait ouvert la voie à cet accord qui vient clore de longs mois de négociations.
Le Parlement a réussi à inclure de nouveaux chapitres sur le démembrement des actifs et des principes de rémunération, ainsi qu'à influencer sensiblement les règles sur le système de passeport, la responsabilité du dépositaire, les exigences de fonds propres et le recours au levier.
La directive imposera aux gestionnaires de fonds d’investissement l'enregistrement ainsi que des exigences de rapport et de capital initial. Les fonds d'investissement alternatifs (FIA plus connus sous le sigle anglais AIF), notamment les fonds d'investissement spéculatifs et de capital-risque (hedge funds et private equity), seront désormais soumis à une surveillance réglementaire plus substantielle, afin de renforcer la protection des investisseurs et la stabilité financière, qui sont apparues comme les deux principales priorités du Parlement tout au long des négociations.
L’eurodéputé luxembourgeois Robert Goebbels était rapporteur fictif de la proposition de directive sur les AIFM pour le groupe parlementaire S&D. Aussi, il a participé aux négociations qui ont lieu le 26 octobre. Dans un communiqué diffusé à l’issue de cette dernière séance de négociations, l’eurodéputé socialiste rappelle "le potentiel de déstabilisation des marchés internationaux" que constituent à ses yeux des fonds d’investissement alternatifs jusqu’ici non régulés alors qu’ils géraient près de 2 000 milliards de dollars dans le monde avant la crise financière.
L’eurodéputé socialiste raconte avoir réussi à obtenir quelques dernières concessions du Conseil au cours des négociations, et ce notamment en matière d’obligation pour les sociétés financières d’informer le personnel des entreprises prises en charge par un fonds. L’eurodéputé luxembourgeois dit aussi avoir pu s’assurer qu’en cas de révision de la directive, l’ensemble des règles de prise en charge et leurs conséquences sur l’emploi soient analysés par la Commission européenne.
Robert Goebbels salue par conséquent les nouvelles règles auxquelles seront soumis les fonds spéculatifs dès l’entrée en vigueur de la directive : ils seront en effet tenus à plus de transparence à de meilleures obligations d’informations comme il le souligne.
Pour autant, l’eurodéputé ne se montre pas entièrement satisfait par l’accord obtenu. "Nous visions un accord plus ambitieux, mais les plans pour réviser la législation fin 2016 laisseront de la marge pour des améliorations", a ainsi déclaré Robert Goebbels.
Ce qui le chagrine en particulier, c’est que la France et la Grande-Bretagne, qui se sont pourtant engagées au G-20 pour une régulation forte des marchés financiers internationaux, aient surtout visé dans le cas des fonds spéculatifs des "objectifs protectionnistes". "Les Français voulaient le moins de concurrence possible sur leur marché, et ce aussi longtemps que possible, tandis que les Britanniques voulaient maintenir autant que faire se peut la City et ses pratiques commerciales à l’abri de la réglementation", résume Robert Goebbels.
"Dans ces circonstances, il était difficile d’obtenir un accord" a-t-il expliqué, concédant que le Parlement a cependant donné son feu vert dans la mesure où "une réglementation incomplète des marchés financiers vaut toujours mieux que la situation actuelle".
L’accord auquel sont parvenus les négociateurs a permis de résoudre trois problèmes importants : le passeport pour les gestionnaires de fonds alternatifs de l'UE et ceux qui sont situés hors de l'UE, la lutte contre le démembrement des actifs et la garantie de règles strictes sur la responsabilité du dépositaire.
L'accord conclu permettra aux gestionnaires de l'UE et non membres de l'UE de commercialiser les fonds alternatifs dans toute l'Union sans avoir à demander l'autorisation à chaque État membre et à se conformer aux différentes législations nationales. Ce point a représenté une pierre d’achoppement dans les négociations, le Parlement ayant fait pression pour octroyer un passeport aux investisseurs provenant de pays-tiers. Le Parlement a apaisé les craintes émises par certains États membres en proposant dans le texte des dispositions selon lesquelles les gestionnaires de fonds alternatifs devront obtenir un passeport uniquement si le pays tiers où ils résident répond aux normes minimales de réglementation et s'il a conclu des accords avec les États membres afin d'assurer un partage de l'information.
Initialement, seuls les gestionnaires de fonds alternatifs basés dans l'UE étaient en mesure d'obtenir un passeport pour accéder au marché en dehors de l'UE via les régimes nationaux courants de placement privé. Après l'avis de l'Autorité européenne des marchés financiers (AEMF plus connue sous le sigle anglais ESMA) et l'adoption des textes d'application (actes délégués) par la Commission, le passeport deviendra accessible aux gestionnaires de fonds alternatifs de l'UE et aux gestionnaires hors-UE. Cependant les régimes nationaux de placement privé ne prendront pas automatiquement fin avec l'extension du régime de passeport. En effet, une période de coexistence sera mise en place qui se terminera lorsque la Commission adoptera une autre loi déléguée à cet effet.
La proposition initiale de la Commission n'abordait pas la problématique du démembrement des actifs et, lors des négociations, les États membres ont pendant longtemps hésité à aborder cette question.
Les négociateurs du Parlement ont insisté dès le départ sur la nécessité de lutter contre le démembrement des actifs. L'accord comprend désormais un certain nombre de dispositions à cette fin, se rapportant principalement à des limites de répartition du capital dans les premières années où l'entreprise est reprise par un investisseur privé. Cette mesure vise à dissuader les investisseurs de capital-investissement de tenter de prendre le contrôle d'une société dans le seul but de réaliser un profit rapide.
Les représentants du Parlement ont également obtenu d'imposer des exigences élevées concernant l'information et la divulgation aux investisseurs privés, en particulier les informations à fournir aux employés et à leurs représentants relatives à la stratégie prévue pour la société. Encore une fois, l'intention est d'obliger ces investisseurs à élaborer des stratégies à plus long terme pour les entreprises qu'ils prennent en charge. La directive comprend des dispositions visant à garantir que les informations sensibles qui pourraient aider les concurrents à obtenir des secrets industriels ne seront pas divulguées.
En outre, la Commission sera chargée d'évaluer la nécessité de durcir les règles sur les capitaux propres au cours de son examen général de la directive.
Bien que la toute première proposition de la Commission ait déjà traité la réglementation de la responsabilité des dépositaires, les députés ont estimé qu'il y avait trop de latitude permettant aux dépositaires de déléguer cette responsabilité. À cette fin, les députés ont inséré une clause stipulant que si un dépositaire délègue légalement ses tâches à d'autres, il devra fournir un contrat permettant au fonds - ou au gestionnaire du fonds - de réclamer des dommages à l'entité qui a obtenu la délégation. Ce qui devrait assurer que la responsabilité ne soit perdue à aucun stade de la chaîne. Les députés ont également obtenu l'assurance que les investisseurs des IAF concernés seront étroitement associés à la délégation éventuelle de responsabilité.
Cette responsabilité beaucoup plus stricte imposée aux dépositaires avait été initialement fortement contestée par les États membres.
Le Parlement a par ailleurs défini des niveaux d'exigences de capital initial, l'interdiction de délégation de responsabilité du gestionnaire de fonds alternatifs au profit d'un évaluateur et a obtenu d'inclure des règles sur la rémunération. Cet aspect n'avait pas été abordé dans la proposition initiale de la Commission et les députés ont poussé pour que les gestionnaires de fonds alternatifs soient soumis aux mêmes règles que celles qui existeront bientôt pour les dirigeants des banques, de manière à éliminer l'incitation à prendre des risques excessifs. Les députés ont également préconisé de permettre aux gestionnaires d'AIF de tirer parti de leurs fonds, avec des limites fondées sur une liste de critères, les superviseurs nationaux et l'ESMA pouvant exiger de corriger ces limites.
Le texte adopté va être soumis à un vote d'approbation lors de la session plénière du Parlement du 11 novembre 2010. Suite à l'entrée en vigueur de la directive, les États membres auront deux ans pour intégrer ses dispositions dans leurs législations nationales. L'ESMA et la Commission auront également la vaste tâche de concrétiser les détails du fonctionnement de la directive, avec des lignes directrices et la mise en application de la législation.