A la veille du Conseil européen des 16 et 17 décembre 2010, alors que les débats autour de l’idée émise par Jean-Claude Juncker d’émettre des euro-obligations se poursuivent, Jean Asselborn a accordé au journaliste Christoph B. Schiltz un entretien publié le 15 décembre 2010 par Die Welt.
Le ministre des Affaires étrangères luxembourgeois, à peine sorti de la réunion du Conseil Affaires générales qui s’est tenue à Bruxelles le 14 décembre, était en effet en visite à Berlin où il s’est entretenu avec son homologue allemand Guido Westerwelle.
"Les politiques font-ils bonne figure en pleine crise de l’euro" ? C’est ainsi que le journaliste allemand amorce l’entretien, donnant à Jean Asselborn l’occasion d’un exercice d’auto-critique. "Nous parlons beaucoup trop, moi inclus", répond-il en effet, avant de déclarer que "tout a été dit sur l’euro, il est maintenant temps d’agir". Pour Jean Asselborn, il s’agit désormais de "démontrer que ce n’est pas la question de l’existence de l’euro qui se pose, mais bien celle de la stabilisation de l’une des monnaies les plus fortes au monde".
Interrogé sur la question des euro-obligations, idée portée par le Premier ministre luxembourgeois et président de l’Eurogroupe Jean-Claude Juncker, Jean Asselborn déploie en partie l’argumentaire développé dans l’entretien qu’il avait donné à la Deutschlandfunk le 13 décembre dernier.
Le chef de la diplomatie luxembourgeoise a pour maître mot la solidarité européenne sur cette question, car il s’agit selon lui de montrer aux marchés mondiaux que les Européens sont unis malgré les difficultés. "Bien entendu les euro-obligations n’offrent pas la pleine garantie que nous stabiliserons l’euro", ajoute le ministre, qui y voit cependant le meilleur de tous les instruments de sauvetage envisagés jusqu’ici.
Pour le ministre luxembourgeois des Affaires étrangères, la question des euro-obligations ne sera pas un des grands sujets du Conseil des 16 et 17 décembre, même s’il assure qu’elles seront un jour introduites. Non seulement elles pourraient aider les pays en difficultés à emprunter à des conditions raisonnables, mais elles pourraient aussi attirer des investisseurs d’Asie et d’Amérique, plaide-t-il en effet.
"Je ne comprends pas cette crispation dans les débats sur les euro-obligations", déplore ainsi Jean Asselborn qui souligne, relancé sur la question par le journaliste allemand, que les conséquences d’un effondrement de l’euro seraient bien plus coûteuses pour l’économie allemande que le coût que pourraient avoir pour le contribuable allemand, par une augmentation des taux d’intérêt, l’introduction d’euro-obligations.
Quant à l’idée évoquée par le journaliste que l’Allemagne serait perçue comme le "trésorier" des pays endettés, Jean Asselborn est formel. "Je ne peux pas accepter ce mot", tance-t-il en effet, ajoutant que "si cette mentalité domine, alors ce qu’il y a d’européen est perdu". Les arguments avancés par beaucoup contre une "union de transfert" sont pour Jean Asselborn "préjudiciables".
"Les pays les plus petits de l’UE, comme le Luxembourg, ont-ils le sentiment de ne pas être pris assez au sérieux ?", demande Christoph B. Schiltz à Jean Asselborn. "Je respecte l’Allemagne et la France quand elles vont dans le même sens pour le bien de l’Europe", lui répond le ministre luxembourgeois. "Le font-elles ?", rétorque alors le journaliste. "J’ai parfois l’impression que Paris et Berlin n’ont attendu le traité de Lisbonne que pour dire : `Nous avons la plus grosse charge à porter, nous avons donc la plus grande responsabilité et la plupart des compétences´", avoue Jean Asselborn qui voit là "une voie dangereuse".
"L’esprit européen a toujours été fondé sur la solidarité et sur le fait que chacun peut faire valoir sa voix", rappelle Jean Asselborn avant de "mettre en garde" l’Allemagne et la France contre "une prétention au pouvoir qui exprime une certaine morgue et une certaine arrogance allant à l’encontre du principe européen de solidarité". Et d’ajouter que "la voie que doit suivre l’UE doit être établie par ses 27 membres et ne peut être édictée par les grands pays".
Relancé sur l’accord trouvé à Deauville par les deux pays, un accord sur lequel Jean Asselborn s’était montré très critique, le ministre des Affaires étrangères précise que ce n’est là qu’un exemple, mais qu’il a "laissé des traces". "Quand quelque chose mûrit qui, comme l’idée des euro-obligations, n’a pas poussé en Allemagne ou en France, il semble que cela n’ait pas le droit, par avance, d’être dans l’intérêt européen", regrette ainsi le chef de la diplomatie luxembourgeoise.
Quant à la chancelière allemande Angela Merkel, Jean Asselborn se dit sûr qu’elle saura tirer les leçons du passé. "Elle va comprendre qu’elle a trop longtemps hésité pour les aides à Athènes et que le sauvetage de la Grèce est devenu plus cher qu’il n’aurait dû", affirme ainsi Jean Asselborn. "L’Allemagne va comprendre que les entrées en scène théâtrales des derniers mois ne servent à rien", poursuit-il, confiant que ce qui le gêne c’est l’aspect "théâtral" des choses. "J’ai eu l’impression qu’il y a eu des mises en scènes", explique Jean Asselborn, "que la France et l’Allemagne ont créé des problèmes juste avant un Conseil européen, qu’elles sont venues ensuite à Bruxelles et ont montré théâtralement qu’elles avaient résolu les problèmes et fait avancer l’Europe".
Interrogé sur ses attentes quant au Conseil européen des 16 et 17 décembre 2010, Jean Asselborn évoque le besoin de "décisions claires sur le futur mécanisme permanent de gestion des crises afin de calmer les marchés". Le ministre des Affaires étrangères appelle donc à ne pas prendre de "décisions susceptibles de provoquer de nouvelles incertitudes et d’attiser les spéculations qui pourraient plonger la zone euro dans de nouvelles turbulences". "Nous ne devrions pas non plus reparler de retrait du droit de vote en dernier recours ni de la responsabilité du secteur privé", ajoute Jean Asselborn qui salue, sur ce dernier point, "l’excellent travail" réalisé par l’Eurogroupe. La position exprimée par ce dernier devrait, selon les vœux de Jean Asselborn, être suivie par le Conseil européen .