Le communiqué officiel luxembourgeois annonçant la tenue du Conseil européen du 4 février 2011, auquel participe le Premier ministre Juncker, annonçait que les discussions porteraient "essentiellement sur les orientations futures de l'Union européenne en matière de stratégie et de sécurité énergétique, ainsi qu'en matière de recherche et d'innovation". "Les chefs d'État et de gouvernement auront également une discussion sur la situation économique et financière et sur les mesures à mettre en œuvre pour contrecarrer la crise. Ces discussions porteront notamment sur la question de la gouvernance économique, le renforcement du Fonds européen de stabilité financière, et sur le futur Mécanisme de stabilité permanent.", indiquait le communiqué.
La proposition germano-française d’un "pacte de compétitivité" a cependant pris une grande place alors que s'amorçaient les préparatifs du sommet et que commençait la réunion.
Pourtant, pour le "pacte de compétitivité", pas de texte rendu public, mais des rumeurs et des informations sur les grandes orientations d’un tel pacte de compétitivité qui ont été distillées à petites doses par les agences de presse nationales dpa et AFP, puis une tribune publiée dans Le Monde par le ministre des Finances allemand, Wolfgang Schäuble.
Que demandent l’Allemagne et la France pour renforcer la discipline et la coordination des politiques économiques au sein de la zone euro, un objectif convenu en UE ? En échange d'un renforcement du Fonds de secours pour les pays en difficulté, les Etats membres devraient suivre des objectifs communs en matière de retraite, avec un recul de l'âge de départ en retraite si nécessaire, de dette publique avec des plafonds contraignants ou de politique salariale.
Dans le domaine de la politique salariale, le "pacte" propose la suppression de l'indexation des salaires sur l'inflation dans les pays qui la pratiquent, comme la Belgique, le Luxembourg ou le Portugal. Ce système a été régulièrement critiqué par la Banque centrale européenne (BCE), qui estime que de tels mécanismes créent des risques de spirale inflationniste, particulièrement sensibles quand les prix à la consommation augmentent, comme c'est le cas à nouveau actuellement.
Au Luxembourg, le Premier ministre Jean-Claude Juncker a souvent défendu ce mécanisme, alors que le gouverneur de la Banque centrale nationale, Yves Mersch, également membre du conseil des gouverneurs de la BCE, s’y est opposé à de nombreuses occasions.
Comment aller sur le chemin de la gouvernance économique ? Dans son article intitulé "Inventons un outil juridique pour garantir la stabilité de la zone euro" et publié dans l'édition datée du 4 février 2011 du journal du soir "Le Monde", Wolfgang Schäuble prône une approche à plusieurs niveaux. Au niveau de l'union monétaire, il pense que "les dispositions institutionnelles existantes (..) sont en mesure d'obliger les membres de la zone euro à suivre une politique budgétaire et financière responsable vis-à-vis de la monnaie commune". "A cet égard, l'incitation et la sanction résident dans un risque de taux d'intérêt plus élevé, exprimé par ce que l'on appelle les spreads (écarts de taux)", explique le ministre.
Mais comme "ce mécanisme n'a pas permis d'empêcher les risques de contagion à d'autres pays de la zone euro", l’Union veut parvenir, comme le rapporte le ministre allemand, à une stabilisation durable de l'euro et de l'union monétaire européenne en réformant les règles financières européennes sur trois axes :
Pour avancer sur le dernier de ces axes, qui ont tous été décidés en principe au Conseils européens d’octobre et de décembre 2010, le ministre Schäuble propose "une coopération renforcée - dans un premier temps au niveau intergouvernemental - entre les membres de I'UE", ce qui lui apparaît comme le "traitement de choix" pour une meilleure coordination des politiques financières, économiques et sociales nationales. Il veut que ce type de "gouvernement économique" soit intergouvernemental, donc en dehors des structures de l’UE. D’une part, il pense que la population accepterait mal une communautarisation plus poussée. D’autre part, une coopération renforcée dans le domaine économique et monétaire est, selon les clauses de l’art. 136 TFUE auquel Wolfgang Schäuble fait référence, réservée aux Etats membres qui ont l’euro pour monnaie. Or, Wolfgang Schäuble voudrait que "d'autres Etats membres de I'UE qui ne font pas encore partie de la zone euro puissent y participer volontairement."
La Commission s'est immédiatement inquiétée du fait que Français et Allemands veuillent mener ce projet de renforcement de la coordination économique dans un cadre "intergouvernemental", alors qu'une réflexion sur ces sujets est déjà engagée au niveau "communautaire" et sous son impulsion dans le cadre de l’examen de la croissance dans l’UE. Le président de la Commission, José Manuel Barroso, a critiqué les propositions de Berlin et Paris, dans lesquelles il voit un risque de marginalisation de la Commission, mais aussi et surtout les prémisses d'une nouvelle "structure parallèle" de la zone euro qui conduirait à "l'incohérence".
Lors d’une conférence de presse tenue le 3 février 2011, le ministre luxembourgeois des Finances avait réagi, tout en précisant qu’il n’était pas membre du Conseil européen, aux informations qui circulaient sur le "pacte de compétitivité", et notamment sur la question de l’indexation automatique des salaires. "Je n’ai pas encore été saisi jusqu’à ce jour d’un tel plan", répondait ainsi le ministre à une question d’un journaliste.
Ce que le ministre a pu lire dans les journaux, ce ne sont pas du tout des réflexions nouvelles, mais des idées qui ont déjà été discutées dans l’Eurogroupe et que les Allemands auraient reprises. L’indexation et l’évolution des salaires comptent en effet parmi les nombreux facteurs analysés dans le contexte de coordination des politiques économiques. Luc Frieden a rappelé que, dans le cadre de l’examen des déséquilibres macroéconomiques mené par les ministres des Finances de la zone euro, la question de l’indexation des salaires et celle du système de pensions luxembourgeois avaient été pointées par ses pairs. "La Chambre en a d’ailleurs été informée par un courrier de Didier Reynders", a-t-il ajouté.
Par ailleurs, il n’est pas possible selon lui, "ni juridiquement, ni politiquement", que deux pays – en l’occurrence l’Allemagne et la France avec leur "pacte de compétitivité" - décident tout seuls. "Chaque pays peut faire des propositions dans les différentes formations du Conseil, mais elles doivent être discutées par l’ensemble des Etats membres", a-t-il rappelé.
Le premier des participants au Conseil européen à réagir a été le Premier ministre belge Yves Leterme. Il a déclaré avant d’aller à la réunion n’être "absolument pas d'accord" avec une proposition franco-allemande de coordination accrue des politiques économiques dans la zone euro, impliquant la suppression de l'indexation des salaires sur les prix. "Il doit y avoir plus de coopération économique (en Europe), mais les Etats membres doivent avoir l'espace de mener leurs propres politiques", a-t-il encore déclaré. "Je ne suis pas contre la convergence économique, mais nous devons laisser les moyens d'y parvenir dans les mains des Etats membres", a-t-il ajouté. "Chaque Etat membre a ses propres accents, ses propres traditions. Nous n'accepterons pas que notre modèle de concertation sociale soit détricoté."
La Confédération européenne des syndicats (CES) a catégoriquement rejeté le plan franco-allemand de coordination accrue des politiques économiques dans la zone euro qui prévoit notamment la suppression de l'indexation des salaires sur les prix.
Dans son communiqué, "la CES affirme avec force qu'elle ne peut pas tolérer que la compétitivité soit encore utilisée comme un alibi pour intervenir dans les systèmes de négociation collective à travers l'Europe". Si le plan, préparé à Berlin, se met en œuvre en Europe, il s'agira "du début d'un travail de sape" du dialogue social. Son secrétaire général, John Monks a aussi dit : "Ce n'est pas un pacte pour la compétitivité, c'est un pacte pervers pour un niveau de vie plus bas, davantage d'inégalités et un travail plus précaire."