La Chambre des députés a abordé le 9 mars 2011, dans le cadre d’un débat d’orientation, la question du Programme national de réformes (PNR) que le Luxembourg doit présenter à la Commission européenne dans le cadre de la stratégie Europe 2020.
Pour rappel, la Commission européenne a lancé le 3 mars 2010 la stratégie "Europe 2020" pour sortir de la crise et préparer l'économie de l'Union européenne pour la décennie à venir. Elle distingue trois grands moteurs de croissance, à mettre en œuvre aux niveaux européen et nationaux au moyen d'actions concrètes:
Les progrès accomplis dans la réalisation de ces objectifs seront mesurés à l'aune des cinq grands objectifs ou "benchmarks" représentatifs de l'UE, que les États membres seront invités à convertir en objectifs nationaux en partant des postulats suivants:
Le Luxembourg a répondu en novembre 2010 avec un PNR provisoire qui pose les objectifs suivants, qui étaient l’objet du débat d’orientation à la Chambre des députés :
Dans son intervention devant la Chambre des députés, Alex Bodry, le président du LSAP et de la commission de travail économique, a fait le constat qu’après l’échec de la stratégie de Lisbonne qui n’a pas été analysé suffisamment, le Luxembourg avait formulé des objectifs qui restaient en deçà des objectifs de la Commission. Le PNR luxembourgeois lui semble réaliste, mais en restant en deçà des benchmarks de la Commission, il montre que celle-ci a formulé des objectifs qui ne pouvaient être atteints, ce qui pose un problème de crédibilité. Ce qui manque à Europe 2020 est une stratégie visant le plein emploi.
Lucien Thiel du CSV a jugé que le premier PNR soumis par le gouvernement était vague et pas très utile pour les commissions de travail de la Chambre, même s’il ne s’agit que d’une ébauche provisoire et transitoire. Europe 2020 pourrait être compris comme une feuille de route pour une sortie de crise dans un cadre stratégique européen. Reste que la Commission se base selon Lucien Thiel sur des données "dont on se demande d’où elle a pu les tirer". Et avec le nouveau papier qu’elle a produit sur les questions de l'énergie et du climat le 8 mars, elle s’est aventurée sur le terrain des "prophéties jusqu’en 2050". Jugeant que le Luxembourg avait aussi pris le parti des réformes avec le rééquilibrage budgétaire jusqu’en 2014, une forte attention donnée à la compétitivité, une réforme du système des pensions et une adaptation de fait de l’indexation, adaptation avec une tranche qui tombera en octobre et non pas en mai 2011, et enfin avec sa réflexion sur les forces et les faiblesses de la place financière, et les adaptations et diversifications qu’une telle réflexion entraîne, Lucien Thiel a pensé que le cap des réformes nationales devrait être maintenu de manière prioritaire. Quant à l’objectif de 2,6 % d’investissements dans le R&D, il l’a trouvé "difficile à atteindre". Et les 40 % de diplômés supérieurs signifieraient "un grand bond en avant" qui ne pourrait être réalisé que si les diplômés BTS feront parti des diplômés comptabilisés.
Fernand Etgen (DP) a fait le constat que les moyens engagés par l’UE pour lutter contre la crise, que ce soit le pacte de compétitivité, le pacte de gouvernance économique ou les mécanismes anti-crise EFSF et ESM montraient que la méthode communautaire était en recul dans l’Union. Le député libéral aurait également préféré que les débats d’orientation sur la gouvernance économique et le PNR dans le cadre de la stratégie Europe 2020 eussent été menés ensemble.
Quant aux objectifs chiffrés proposés par le gouvernement, il juge ceux consacrés à la réduction d’émissions de CO2 de trop vagues, et regrette qu’il n’y ait pas encore de vrai plan national pour l’efficience énergétique. Les 2,6 % du PIB annuel consacrés à la R&D ne sont selon lui réalistes que s’ils ne sont pas seulement consacrés à la recherche pure, mais aussi à la recherche appliquée. Elever le taux d’activité au Luxembourg est juste, même s’il juge que le progrès de 14 % à faire en ce qui concerne le taux d’activité des femmes est très élevé et ne pourra être atteint que si des mesures d’appui sont prises pour favoriser ce taux d’activité. Il n’y a rien de concret sur une réforme du système de pensions. Hausser l’âge de départ à la retraite ne lui semble pas juste. Il faudrait plutôt arriver à un respect de l’âge légal actuel.
L’objectif luxembourgeois sur le taux de décrochage en-dessous de 10 % est un statu quo. Pour Fernand Etgen, il y a d’autres problèmes plus importants : le trilinguisme à l’école et un enseignement des langues à la traîne de l’évolution de la société luxembourgeoise. Le député libéral est d’accord avec l’objectif des de 40 % de jeunes détenteurs de diplômes supérieurs, mais il ne faut pas sous-estimer les formations professionnelles, comme celle des artisans. L’école ne prépare pas assez les jeunes aux études supérieures, ce que montrent selon Fernand Etgen les nombreux abandons en première année d’université.
Fernand Etgen a demandé comme député de l’opposition que l’on "donne une chance à Nicolas Schmit" dans sa lutte contre le chômage et pour une réforme de l’ADEM qui devrait devenir aussi une agence de formation. Il a aussi souhaité que la politique du marché du travail s’entende comme une politique scolaire et inversement.
Henri Kox des Verts a trouvé que depuis le premier débat d’orientation sur la stratégie Europe 2020 en juin 2020, rien ne s’est plus passé sauf un exercice rapide dans les commissions parlementaires. Quant au fond, le papier du gouvernement contient selon lui "une ribambelle de mesures". Pas plus que la stratégie de Lisbonne qui a échoué, Europe 2020 n’est pour Kox une stratégie durable.
Elle ne mise que sur la croissance et la compétitivité, "même si elle se targue d’un masque social et environnemental". Elle favorise les gros imposables et ne lie pas le croissance à un recours efficace aux ressources. Elle fait l’impasse sur le développement durable, ne répond pas à la question "dans quelle société nous voulons vivre". Les Verts contestent les chiffres de la Commission en matière d’énergie et le fait que les prix de l’énergie soient prévisibles. Les Verts prônent la sortie progressive du recours aux énergies fossiles, mais refusent radicalement le recours à l’énergie nucléaire. Ils veulent plus de concentration sur les énergies renouvelables et sont très critiques à l’égard des carburants qui recourent à des mélanges avec des biocarburants. Henri Kox a également relancé l’attaque des Verts contre la décision du gouvernement luxembourgeois de participer à un transfert de droits d'émission combiné à un programme de rénovation d'immeubles à appartements en Estonie pour une somme de 30 millions d'euros.
Jacques-Yves Henckes de l’ADR aurait préféré, comme Fernand Etgen, que le débat sur Europe 2020 et celui sur la gouvernance économique eussent été menés de concert. La stratégie Europe 2020 est selon lui en recul de la stratégie de Lisbonne qui l’a précédée et il la trouve surtout très technocratique. Citant un discours du ministre du Travail Nicolas Schmit sur la stratégie de Lisbonne, il insiste sur la croissance du nombre des "working-poors"en Europe.
Il a souligné l’importance des objectifs de lutte contre la pauvreté. Reste que le député ADR trouve que le PNR ne dit pas "comment donner plus de travail aux jeunes et aux faibles" et qu’il ne communique pas de message politique. "Cela ne suffit donc pas." Pour Jacques-Yves Henckes, le Luxembourg a une mauvaise position de départ dans le cadre d’Europe 2020, se retrouvant le plus souvent en fin de liste dans les classifications des pays, et de citer les plus de 13 % de personnes en risque de pauvreté financière relative après transferts sociaux, "et ce dans le pays le plus riche d’Europe".
Le député ADR a ensuite critiqué le fait que les parlements nationaux ne sont pas assez impliqués dans les processus de décision, prenant à titre d’exemple les décisions du Conseil européen du 4 février 2011 en matière d’énergie, prises sans que les parlements ne soient consultés. Il a aussi critiqué le fait que la Commission "submerge" les décideurs en Europe avec des papiers sur les émissions de gaz à effet de serre jusqu’en 2020 et puis en 2050.
André Hoffmann de la Gauche a commencé par citer le "Manifeste des économistes atterrés": " La vision dominante actuellement à Bruxelles et au sein de la plupart des gouvernements nationaux est (..) celle d’une Europe libérale, dont l’objectif est d’adapter les sociétés européennes aux exigences de la mondialisation : la construction européenne est l’occasion de mettre en cause le modèle social européen et de déréguler l’économie. La prééminence du droit de la concurrence sur les réglementations nationales et sur les droits sociaux dans le Marché unique permet d’introduire plus de concurrence sur les marchés des produits et des services, de diminuer l’importance des services publics et d’organiser la mise en concurrence des travailleurs européens."
Ce qui domine dans l'UE est, pour André Hoffmann, une politique de croissance par l’offre aux dépens des salariés. Les mises en garde d’Alex Bodry, de Lucien Lux et de Jean-Claude Juncker la veille devraient être prises au sérieux ! Bref, il faut reformuler le PNR. Même la partie sur la pauvreté est insuffisante. Avec la stratégie Europe 2020, la légitimité de l’UE est en jeu selon le député de la Gauche : "Nous ne sommes pas des élèves auxquels l’on prescrit des tâches, mais des détenteurs de la souveraineté démocratique", a-t-il déclaré pour conclure que sa sensibilité politique était en faveur d’un salaire minimum européen, d'un système européen d’indexation des salaires, pour plus de justice fiscale, pour plus de démocratie économique et pour une autre répartition des richesses. Plutôt que de se fixer sur un PIB quantitatif, mieux vaudrait se concentrer sur le concept de PIBien-être, "une approche qui n’a pas atterri dans nos débats ni dans Europe 2020".
Marc Spautz, du CSV, a ensuite critiqué un PNR qui manque de mesures concrètes, déclinant tout un train de mesures nationales qu’il faudrait prendre pour renforcer l’employabilité des jeunes, pour mieux les former et orienter, pour développer la formation continue, augmenter le taux d’emploi féminin avec crèches et foyers de jour pour enfants et le taux d’activité des seniors. L’ADEM doit prendre selon lui "une nouvelle orientation fondamentale pour agir sur le marché du travail national, la Grande Région s’épuisant comme réservoir de main d’œuvre."
Robert Weber, député CSV et président du syndicat LCGB, a critiqué dans la stratégie Europe 2020 "l’approche avant tout quantitative basée sur le bench-marking, et ce malgré des idées qualitatives" qui se retrouvent dans le PNR. Il observe dans l’UE une tendance à faire payer la crise à la population à travers des politiques d’austérité, alors que ces mêmes citoyens ont soutenu la lutte contre l’inflation, comme cela a été le cas au Luxembourg. Il a exigé que l’on aille certes, comme la Commission le demande, vers plus de croissance et de meilleure qualité, mais celle-ci sera seulement possible si la politique agit plus sur demande et mise sur une croissance qualitative avec une distribution plus juste des richesses, une meilleure qualité de vie et un modèle social durable. Comme André Hoffmann, il a apporté son soutien au concept de PIBien-être, un indicateur plus difficile à mesurer. La clef d’une croissance qualitative est pour Robert Weber l’innovation et l’économie sociale de marché. Il faut donc dans l’UE des normes sociales minimales pour rendre au citoyen un sentiment de sécurité mis en pièces selon Weber par une approche basée sur la seule rentabilité, avec une précarisation accrue des salariés à travers toute une gamme de contrats atypiques et une flexibilisation qui appauvrit les travailleurs.
Robert Weber a ensuite jugé qu’au vu du grand nombre de chômeurs au Luxembourg - plus de 17 000, dont 15 000 résidents, tous ne recevant pas une allocation, mais avec seulement 4000 emplois ouverts déclarés –, même "la meilleure ADEM ne réussira pas à placer toutes ces personnes". Les pistes proposées par Robert Weber : un reclassement interne plutôt qu’externe des salariés dans le cadre de restructurations, l’accent mis sur les initiatives pour l’emploi, même si celles-ci sont la cible de critiques, ainsi qu'une réflexion sur des mesures contraignantes contre chômage le domestique.
Fernand Boden, lui aussi CSV, est intervenu sur un seul et grand point : le changement climatique et la politique énergétique. Le PNR devrait selon lui encore être discuté à la Chambre avant d’aller à Bruxelles. Le plan devrait être rédigé selon les normes établies par Bruxelles, ce qui n’est pas encore le cas. Après que des objectifs sur les émissions de CO2 ont été fixés pour 2020, voilà que la Commission vient avec un plan pour 2050. Cela désoriente autant que le fait que le partenariat climatique n’a pas encore été lancé au niveau local. En ce qui concerne les énergies renouvelables, Fernand Boden trouve que l'objectif de 10 % de carburants renouvelables doit être repensé. Sceptique, il l’est aussi à l’égard des objectifs en matière de ressources éoliennes, objectivement limitées, de biogaz, à cause du risque de concurrence entre production alimentaire et production énergétique, mais aussi du problème de rentabilité inhérent à la chose.
Le ministre de l’Economie, Jeannot Krecké, en charge de la coordination du PNR, a clairement mis en exergue que le débat d’orientation des députés concernait un PNR provisoire. Néanmoins, trouva-t-il, bien peu de propositions ont été faites, mais beaucoup de critiques de ce qui a été programmé. Selon lui, des textes sont encore en gestation dans les administrations. Il y a eu de nombreuses consultations, contrairement à ce qui a pu être affirmé, notamment à travers des ateliers sur des questions partielles et sans que cela soit explicitement lié au PNR, par exemple sur les énergies renouvelables ou l’efficacité énergétique. Le ministre du travail Nicolas Schmit ira encore une fois au Comité permanent du travail et de l’emploi.
Pour le ministre Krecké, il est vrai que le lien entre Europe 2020 et le programme de stabilité n’est pas clair et le lien entre les mesures envisagées n’est pas évident non plus. Dès 2012, l’exercice Europe 2020 sera annuel, et sa mise en œuvre sera évaluée par la Commission. Les critiques contre les propositions de la Commission viennent par contre trop tard. D’autre part, un objectif comme l’investissement de 2,6 % du PIB annuel dans la R&D reste très ambitieux et pourrait poser des problèmes budgétaires. Répondant à Fernand Boden, Jeannot Krecké a admis que les ressources éoliennes et hydroélectriques du Luxembourg sont limitées, et il en est de même de l’efficacité dans la captation de l’énergie solaire, mais c’est là la raison de la participation du Luxembourg au projet éolien dans la Mer du Nord. Quant aux biocarburants, les 10 % sont bel et bien prescrits, mais il est vrai qu’il faudra maîtriser le contrôle des critères de durabilité.