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Droits fondamentaux, lutte contre la discrimination - Justice, liberté, sécurité et immigration
L’asbl Chachipe commente et critique le document transmis par le gouvernement à la Commission européenne au titre de "stratégie nationale pour l’intégration des Roms"
03-02-2012


En avril 2011, la Commission européenne présentait un cadre pour les stratégies nationales pour l’intégration des Roms (COM(2011) 173 final), document qui établissait des objectifs à l'échelon européen pour améliorer la qualité de vie des populations roms, en réduisant les écarts socioéconomiques qui les séparent du reste de la société. Ces objectifs sont les suivants :

  • veiller à ce que chaque enfant rom achève au moins sa scolarité primaire: selon une enquête menée dans six pays de l'UE, ils ne sont actuellement que 42 % à parvenir à ce stade;
  • donner pleinement accès à la formation professionnelle, au marché de l'emploi et aux régimes de travail indépendant: le taux d'emploi des Roms est largement inférieur à la moyenne européenne, particulièrement chez les femmes;
  • assurer un accès équitable aux soins de santé, aux services de prévention et aux services sociaux, pour réduire en priorité le taux de mortalité infantile;
  • supprimer les discriminations en matière de logement, y compris le logement social, par exemple en raccordant les communautés roms aux réseaux publics de distribution d'eau potable et d'électricité.

La Commission avait invité les États membres de l’UE à préparer, sur la base de ces lignes directrices, une stratégie nationale d'intégration des Roms qu’ils devaient soumettre d’ici à la fin 2011. Au 31 décembre 2011, quinze pays avaient transmis leur stratégie nationale, ce qui n’était pas le cas du Luxembourg.

Le 4 janvier 2012, l’asbl Chachipe, qui suit de près la question de la défense des droits des Roms, s’est donc renseignée auprès du Ministère de la Famille et de l’Intégration pour savoir si le Luxembourg avait ou allait présenter une stratégie à la Commission. Le 13 janvier, les responsables du Ministère ont informé l’association que "le document du Grand-Duché de Luxembourg concernant la stratégie ‘Roms’" avait été envoyé à la Commission européenne et qu’il serait publié très prochainement. Le document en question a en effet été publié dans les jours qui ont suivi sur le site de la Commission européenne.

Un document sur lequel l’asbl Chachipe, qui n’a pas été consultée, a réagi par une vingtaine de pages de commentaires. Datés du 30 janvier 2012 et publiés sur son site, ainsi que sur celui de l’ASTI, ces commentaires ont été transmis à la Commission européenne.

"Plus qu’une stratégie, le document luxembourgeois (…) est en réalité un relevé des mesures existantes dans le domaine de l’intégration des ressortissants communautaires résidant légalement au Luxembourg", commente Chachipe

"Plus qu’une stratégie, le document luxembourgeois, qui ne porte pas de titre, est en réalité un relevé des mesures existantes dans le domaine de l’intégration des ressortissants communautaires résidant légalement au Luxembourg", constate l’association. Le document contient en effet une description des "mesures générales d’intégration" dans quatre domaines : l’emploi, la santé, le logement et l’éducation. "Cette description concerne essentiellement le cadre institutionnel et légal, sans pour autant en démontrer le fonctionnement", relève encore Chachipe asbl.

L’association de défense des droits des Roms résume la démarche du Ministère de la Famille et de l’Intégration selon "trois préceptes" :

  1. Il n’y a pas de chiffres officiels concernant la population rom au Luxembourg. D’ailleurs, le traitement des données à caractère ethnique est interdit.
  2. Le Luxembourg respecte le principe constitutionnel d’égalité qui impose un traitement égal, à situation égale.
  3. Le Luxembourg dispose d’un dispositif d’intégration qui ne différencie pas sur base de critères ethniques et ceci notamment en vue "d’éviter toute instrumentalisation d’un groupe fondé sur des critères ethniques".

Pour les auteurs de ce commentaire, "cette démonstration aurait en soi suffi pour mettre fin à l’exercice pour remettre la copie à la Commission européenne, ce que Malte a d’ailleurs fait". Mais, notent-ils, le Ministère poursuit cependant dans sa tentative de répondre à la demande faite par la Commission aux États membres, à savoir "élaborer ou réviser leurs stratégies nationales d’intégration des Roms, et à les présenter à la Commission pour la fin décembre 2011".

"Aucun ressortissant étranger, citoyen communautaire, ne s'est déclaré officiellement faisant partie de ce groupe", indique le gouvernement dans son texte

Le document du gouvernement s’efforce, dans une "remarque préliminaire", de définir le groupe cible de la stratégie, à savoir les "Roms". Jugeant tout d’abord la définition de la Commission "simplifiée à l’extrême", c’est le glossaire sur les Roms et les Gens du voyage du Conseil de l’Europe, considéré comme "beaucoup plus précis", qui est cité. Un glossaire qui "fait bien référence à la présence séculaire des Sintés ou Manouches en France et dans le Benelux et consacre également un paragraphe aux Yéniches, dont la présence est pourtant bien connue au Luxembourg, notamment, sous le terme de `Lakerten´", relève Chachipe.  

"On doit constater qu'aucune de ces définitions n'est suffisante pour fonder une politique ciblée vers un groupe et pour déterminer une stratégie opérationnelle", conclut cependant le document du gouvernement avant d’avancer que "seule la définition du Conseil de l'Europe permet aux personnes concernées de s'autodéterminer et se révéler appartenir à une telle ethnie". Or, "aucun ressortissant étranger, citoyen communautaire, ne s'est déclaré officiellement faisant partie de ce groupe".

"Il n’est pas dans les usages politiques d’établir des politiques spécifiques pour un groupe ethnique particulier fondées sur un style de vie spécifique ou sur une ethnicité", est-il encore indiqué dans le document du gouvernement, qui considère "une telle approche" comme "préventive de la xénophobie et de l'antitziganisme". Chachipe juge "pour le moins surprenant" le lien qui est opéré "entre les mesures ciblées et la xénophobie et l’antiziganisme" : "Dans cette optique, il suffirait en effet de ne rien faire pour les étrangers et les Roms afin maîtriser le racisme, qui est présenté comme une conséquence des mesures prises en faveur de ces populations !", commente ainsi l’association.

Le document du gouvernement insiste aussi sur le fait que la discrimination est interdite au Luxembourg, et que le principe d’égalité de traitement s’impose. "Comme pour les autres domaines, une description de la réalité et un test de sa conformité avec les dispositifs légaux, sont absents", commente Chachipe.

Chachipe dresse un état des lieux de la présence de Roms à Luxembourg, en concluant qu’il "y a bien matière d’agir au Luxembourg"

L’association s’attache alors à décrire, documents à l’appui, la "réalité luxembourgeoise" afin de démontrer la présence de Roms au Luxembourg. "Les estimations du Conseil de l’Europe (…) font état de la présence au Luxembourg de 100 à 500 Roms, toutes populations confondues", expliquent les représentants de Chachipe qui citent aussi un article de l’anthropologue belge Alain Reyniers intitulé "Les Tsiganes au Luxembourg". "Des recherches généalogiques permettent de confirmer l’existence de liens transfrontaliers entre des familles roms ou sintés/manouches en Grande région", affirment les auteurs des commentaires.Chachipe

Chachipe évoque la présence des Yéniches, "fort connue au Luxembourg", et dont la langue "fait partie du patrimoine national" et connaît même "un certain renouveau au Luxembourg".

L’asbl se penche ensuite longuement sur la présence d’une population rom d’origine étrangère, qui est constituée d’une part par des commerçants ou des artisans itinérants des pays voisins, et d’autre part les nouveaux migrants d’Europe de l’Est, parmi lesquels les demandeurs d’asile forment un groupe à part. Chachipe fait le point sur le "rejet" dont font l’objet au Luxembourg tant les Sintés / Manouches et "Gens du Voyage" venant des régions limitrophes, - l’interdiction du colportage, mais aussi les appels lancés par la police invitant à dénoncer les colporteurs sont cités, ainsi que les difficultés rencontrées pour séjourner au Luxembourg -, que les Roms bulgares et roumains.

Ces derniers sont concernés par le maintien du régime transitoire prévu dans le traité d’adhésion de leurs pays d’origine et qui ne peuvent par conséquent bénéficier de la liberté de circulation, et donc des mesures mises en place pour favoriser l’intégration des immigrés, que s’ils sont salariés, étudiants, indépendants, ou qu’ils sont sans cela en mesure d’assurer eux-mêmes leur survie. "Dans cette situation, il ne reste plus que la solution de s’installer de l’autre coté de la frontière, en l’occurrence en France, et de faire des allers et retours quotidiens", constate Chachipe qui soulignent aussi qu’au Luxembourg, "les mendiants roms deviennent rapidement la cible d’une campagne policière" dont l’objectif serait de "dissuader les mendiants roms de venir au Luxembourg". Un sujet sur lequel l’association a d’ailleurs saisi la Commission européenne en octobre 2010. Chachipe mentionne aussi l’incarcération d’enfants roms au centre pénitentiaire de Luxembourg, "un sujet récurrent au Luxembourg", relève-t-elle, et ce de longue date.

Chachipe se penche ensuite sur le cas des Roms demandeurs d’asile, rappelant que les premiers d’entre eux sont venus au Luxembourg dans les années 90, au moment des guerres en Yougoslavie. "Les statistiques pour le mois de mars 2011 font apparaître que sur 48 demandes d’asile, 45 concernent des Roms, soit 142 personnes sur 179", relève l’association qui souligne l’importance qu’a prise le sujet dans les débats politiques depuis 2010. Le Premier ministre, qui avait appelé à les "bien traiter" au Luxembourg tout en insistant sur la nécessité de les aider "chez eux", est ainsi cité par l’association pour expliquer qu’"aucune politique d’intégration n’a été mise en œuvre pour les demandeurs d’asile". L’association rappelle notamment la mise en place d’une procédure accélérée pour faire face à cet afflux de demandeurs d’asile, ainsi que les démarches entreprises auprès des autorités serbes, sans oublier la récente décision visant à aligner les aides aux demandeurs d’asile sur le niveau de celui des pays voisins afin de réduire "le tourisme d’asile".

"On est désormais bien loin du ´Le Luxembourg n’a pas de problème avec les Roms´, répété encore, il y a un an, et il devient de plus en plus difficile de maintenir l’assertion que le Luxembourg traite tout le monde de la même façon, indépendamment de son origine ethnique". C’est ainsi que Chachipe conclut le long tableau descriptif de la situation qu’elle a brossé.

Chachipe dénonce "une politique essentiellement répressive qui se contente d’évacuer les problèmes chez les voisins" et reproche au gouvernement de "se dédouaner de sa tâche"

"Il y a bien matière d’agir au Luxembourg", poursuit l’asbl qui constate d’ailleurs que "depuis 2010, le gouvernement luxembourgeois démultiplie ses interventions par rapport à ce qu’on appelle parfois et malencontreusement, la problématique des Roms". Chachipe recense un certain nombre d’actions mises en œuvre depuis cette date dont elle déplore cependant qu’elles "s’inscrivent directement dans la ligne des politiques passées, dont le but était de maintenir les Roms en dehors des frontières du pays et, par la même, obliger ceux qui s’y installent, a se fondre dans la masse des non-Roms". Pour les défenseurs des droits des Roms, "il en résulte une politique essentiellement répressive et qui se contente d’évacuer les problèmes chez les voisins". "Nous jugeons que le maintien des restrictions visant à empêcher l’arrivée et l’installation de Roms au Luxembourg inacceptable, ceci concerne notamment l’interdiction du colportage et la répression des mendiants Roms", défend Chachipe asbl, qui juge par ailleurs que l’expulsion des Roms vers les pays des Balkans "dans lesquels ils n’ont pas de base de survie constitue un traitement inhumain".

"Pourquoi le gouvernement luxembourgeois n’a-t-il pas profité de l’appel de la Commission européenne pour élaborer une proposition qui va au-delà du cadre proposé et associerait, par exemple, promotion des droits de l’Homme et intégration des migrants?", se demande Chachipe qui soulève nombre de questions : "A quand la transposition des recommandations du Conseil de l’Europe, notamment relatives au logement des Roms et des gens du voyage ? A quand la signature de la convention-cadre pour la protection de minorités nationales, qui inciterait éventuellement des personnes issues de la communauté rom à s’auto-identifier et à revendiquer leur origines roms ?"

Car pour Chachipe, la solution "passe par une concertation européenne".

Chachipe regrette le fait que le programme cadre de la Commission européenne ne tient pas compte du phénomène de la migration et des problèmes particuliers rencontrés par les migrants roms, dont la Commission affirme néanmoins qu’ils "partagent les conditions de vie difficiles de nombreux Roms possédant la citoyenneté de l’UE, tout en étant en outre confrontés aux difficultés des migrants provenant de l’extérieur de l’UE". Prendre en compte cet aspect de la question "aurait certainement permis d’aborder la situation spécifique du Luxembourg", selon l’association.

Mais Chachipe déplore que le gouvernement luxembourgeois, "en (se) simplifiant la tâche, en prétendant que celle-ci se résumerait a intégrer les Roms ressortissants de pays membres de l’Union européenne dans le cadre de la mise en œuvre du principe de libre circulation, qui seraient traités de la même façon que tous les autres citoyens européens souhaitant s’installer au Luxembourg", ait fait le choix de "se dédouaner de sa tâche".

"Les Roms sont un peuple européen. Les migrations ont toujours existé et continueront d’exister. Il est par conséquent du devoir des gouvernements de créer les conditions pour que ces migrations puissent avoir lieu dans les meilleures conditions pour les migrants et les sociétés d’accueil", conclut l’association de défense des droits des Roms qui appelle le Luxembourg à se "séparer une fois pour toutes de ses pratiques ancestrales de déni et de rejet" et à mettre "fin a cette exceptionnalité qui en fait, avec Malte, le seul pays en Europe ou la présence de Roms n’est pas reconnue"..