La Chambre des Députés a voté le 7 mars 2012 à l'unanimité, le projet de loi 6325 sur l’initiative citoyenne prévue par l’article 11 du Traité sur l’Union européenne. Le député CSV Paul-Henri Meyers en était le rapporteur.
Par le biais d’une initiative citoyenne, les Européen(ne)s pourront inviter la Commission européenne à prendre une initiative dans les domaines relevant de ses attributions.
Les procédures et conditions requises pour la présentation d’une telle initiative sont fixées par le règlement européen (UE) n° 211/2011. Le règlement est d’application directe.
Les Etats membres sont néanmoins obligés de prévoir des sanctions appropriées en cas par exemple de fausses déclarations ou d’utilisation frauduleuse de données. Ils doivent aussi désigner des autorités compétentes devant certifier la conformité du système de collecte en ligne mis en place pour recueillir les déclarations de soutien à une initiative citoyenne et l’autorité compétente pour coordonner le processus de vérification des déclarations de soutien.
Le texte proposé par le Gouvernement luxembourgeois et voté le 7 mars 2012 à la Chambre des députés désigne le Centre des technologies de l’information de l’Etat en tant qu’autorité luxembourgeoise compétente pour opérer les vérifications et établir les certifications.
Il arrête aussi le catalogue des sanctions pénales en cas d’infraction au règlement (UE), à la loi sous revue et aux dispositions légales nationales en matière de protection des données à caractère personnel.
Au Luxembourg, le nombre minimal de signataires devra être de 4 500. Chaque personne devra s’identifier avec son numéro d’identification personnel.
L’initiative citoyenne européenne fut introduite par le Traité de Lisbonne et inscrite à l’endroit de l’article 11 du Traité sur l’Union européenne libellé comme suit: "Les citoyens de l’Union, au nombre d’un million au moins, ressortissants d’un nombre significatif d’Etats membres, peuvent prendre l’initiative d’inviter la Commission, dans le cadre de ses attributions, à soumettre une proposition appropriée sur des questions pour lesquelles ces citoyens considèrent qu’un acte juridique de l’Union est nécessaire aux fins de l’application des traités."
L’article 24 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne prévoit que les procédures et conditions requises pour la présentation d’une initiative citoyenne, y compris le nombre minimum d’Etats membres dont les citoyens qui la présentant doivent provenir, seront arrêtées par le Parlement européen et le Conseil, statuant par voie de règlement, sur proposition de la Commission européenne.
Sur base des dispositions qui précèdent, le législateur communautaire a adopté le Règlement (UE) No 211/2011 du Parlement européen et du Conseil du 16 février 2011 relatif à l’initiative citoyenne, ci-après dénommé le "Règlement (UE) No 211/2011" (JO L 65 du 11 mars 2011). Ce règlement établit les procédures et conditions requises pour une initiative citoyenne. Un comité de citoyens de sept personnes provenant de sept Etats membres peut lancer, à partir du 1er avril 2012, une initiative citoyenne qui, pour aboutir, devra recueillir au moins un million de signatures et réunir le nombre minimal de signataires fixé dans au moins sept Etats membres (4 500 pour le Luxembourg). Peut signer tout citoyen européen âgé d’au moins 18 ans.
Le Règlement (UE) No 211/2011, qui est directement applicable en droit national, impose à chaque Etat membre d’assurer que les infractions à certaines de ses dispositions soient dûment sanctionnées par le droit national et oblige chaque Etat à désigner les autorités nationales compétentes auxquelles les organisateurs d’une initiative citoyenne doivent s’adresser en vue d’obtenir les certificats requis par la Commission européenne, c'est-à-dire le certificat de conformité d’un système de collecte en ligne et la certification des déclarations de soutien collectées.
En présence de l’obligation de sanctionner les infractions au Règlement (UE) No 211/2011, le gouvernement luxembourgeois a choisi une mise en œuvre par voie législative.
Paul-Henri Meyers : L’initiative citoyenne ne constitue pas une participation directe des citoyens européens aux décisions, mais un droit de proposition qui devrait les motiver à s’investir dans les affaires européennes
Dans son intervention, le rapporteur, Paul-Henri Meyers, a mis en exergue que l’UE est basée sur le principe de la démocratie représentative et que ce principe participe donc au sein de l’UE aux décisions à travers le Parlement européen, mais aussi indirectement, par exemple à travers un référendum européen. L’initiative citoyenne ne constitue donc pas une participation directe des citoyens européens aux décisions, mais un droit de proposition qui devrait les motiver à s’investir dans les affaires européennes. La pratique montrera, pense le rapporteur, comment les choses vont se dérouler. La Commission, insiste-t-il, est en tout cas dans l’obligation de publier l’initiative, elle doit donner la possibilité aux initiateurs de s’exprimer, et doit rendre dans les trois mois son avis juridique sur la question posée, les conclusions politiques qui devraient en être tirées et les suites qu’elle entend leur réserver.
Lorsque le citoyen signera une telle initiative, il devra indiquer sur un formulaire ses nom, prénom, date et lieu de naissance, adresse, nationalité ainsi que son matricule national. Ces données personnelles risquent d’être publiées. Il faudra donc, pense le rapporteur, procéder ici avec "une très grande prudence". Un avis de la CNPD a été demandé par la commission des affaires institutionnelles de la Chambre. Dans cet avis, la CNPD dit que pour des fins de vérification, la collecte de la matricule n’est pas nécessaire, comme ce n’est pas le cas non plus en Belgique. Le gouvernement luxembourgeois devrait donc faire usage de son droit d’intervention pour changer cet aspect du formulaire. La Chambre peut recommander cela au gouvernement, mais comme elle ne peut pas changer le texte du règlement qui est d’application directe, il appartiendra au gouvernement de faire usage de son droit. Un droit auquel le gouvernement est disposé à recourir selon les assurances données à la Chambre.
Serge Wilmes : l’initiative citoyenne européenne est un moyen d’ancrer l’UE dans le cœur des citoyens
Le député CSV Serge Wilmes a, dans son intervention, estimé que l’initiative citoyenne européenne renforce la démocratie participative, et que c’est là une chose importante en temps de crise, alors que l’UE a montré ses déficits démocratiques. Bref, l’initiative citoyenne européenne est un moyen d’ancrer l’UE dans le cœur des citoyens et de permettre l’interconnexion de citoyens de différents Etats membres sur un sujet politique important. Serge Wilmes a situé le projet dans un processus de démocratisation progressif du projet européen qui a connu plusieurs étapes. Il a cité l’élection au suffrage universel du Parlement européen depuis 1979, la création d’une citoyenneté européenne en 1992 avec le traité de Maastricht (droit de vote communal et aux élections européennes dans le pays de résidence, droit à la protection consulaire), qui a aussi introduit les principes de subsidiarité et de proportionnalité, le droit de pétition des citoyens européens et la création d’un ombudsman européen.
Anne Brasseur sceptique quant à l'idée que l’initiative citoyenne européenne puisse permettre de rapprocher l’UE du citoyen
La députée libérale Anne Brasseur a assuré le soutien de son parti au projet de loi, tout en se disant sceptique quant à l’idée que l’initiative citoyenne européenne puisse permettre de rapprocher l’UE du citoyen. Elle a posé le problème de l’utilisation du numéro de matricule qui n’est pas indispensable pour identifier les signataires. Les libéraux, a-t-elle souligné, mettent la protection de la sphère privée des citoyens au premier plan et cela n’est pas entièrement garanti par le règlement sur l’initiative citoyenne européenne. Il faudra donc y revenir et toutes les fractions et le gouvernement devraient s’engager à ce que le recours au matricule puisse être évité. À un niveau plus politique, Anne Brasseur a expliqué que la démocratie représentative implique pour ses représentants, dont les députés à la Chambre, de grandes responsabilités et que ceux-ci ne doivent pas se cacher derrière ce genre d’initiatives citoyennes mais se confronter aussi directement aux débats dans la société. Pour elle, c‘est aux députés de faire les lois et de s’exposer ensuite aux élections à la sanction des citoyens. Cela n’exclut en rien la responsabilité du citoyen, et pour que ce dernier puisse être mis en situation d’avoir un recours raisonné à ses droits et à des instruments comme l’initiative citoyenne européenne, la députée plaide pour qu’une éducation à la citoyenneté soit introduite dans les curricula des écoles.
Ben Fayot : "une avancée démocratique"
Le socialiste Ben Fayot a regretté que la Chambre n’ait pas été impliquée davantage dans les consultations sur le règlement à l’ordre du jour qui, bien que d’application directe, concerne en premier lieu l’exercice de la démocratie. Le traité de Lisbonne a introduit, estime l’ancien membre de la Convention sur le traité constitutionnel, d’autres éléments pour plus de démocratie dans l’UE comme l’implication accrue des parlements nationaux dans les processus de décision européens, et le gouvernement serait bien avisé de soutenir la Chambre dans ce contexte. Ben Fayot a par ailleurs mis en garde contre l’idée de référendum européen, car un tel référendum n’a pas de sens pour les citoyens des Etats membres de petite ou de moyenne taille. Ben Fayot a ensuite narré comment lui et son collègue libéral Paul Helminger avaient, vers la fin de la Convention sur le traité constitutionnel, soutenu un amendement introduit à travers des membres de cette convention par des ONG, qui a conduit à ce que l’initiative citoyenne européenne trouve sa place dans le traité constitutionnel puis dans le traité de Lisbonne. Bien sûr, une telle initiative a ses limites pour le député, mais elle constitue malgré tout "une avancée démocratique", ce qui fait que lui-même est, à l’instar de son collègue libéral Paul Helminger, moins sceptique que sa collègue libérale Anne Brasseur.
Félix Braz : exploiter davantage le concept de citoyenneté européenne
Félix Braz, des Verts, a qualifié l’initiative citoyenne européenne d’élément positif du traité européen, et cela malgré les limites du concept. Mais, a-t-il mis en exergue, elle pourrait conduire à des mobilisations importantes sur des sujets importants, comme par exemple une taxe sur les transactions financières. Bref, elle pourrait devenir un instrument qui pourrait jouer un rôle dans le débat politique national et européen, même si tout doit se dérouler dans le cadre strict des traités existants. Pour le député vert, il faut aussi exploiter plus le concept de citoyenneté européenne, notamment au Luxembourg, où l’on a mis selon lui du temps à se défaire des dérogations, notamment en ce qui concerne le droit de vote des citoyens européens résidents aux élections communales et européennes. Il a regretté que les règles relatives au temps de résidence exigent toujours un temps de résidence plus long pour les élections communales que pour les élections européennes. Il faudrait également impliquer davantage les citoyens résidents de pays tiers dans les décisions européennes, s’ils habitent dans l’UE depuis un temps plus ou moins long. Les parlements nationaux, quant à eux, pourraient faire plus en s’investissant très tôt dans les processus de décision européens. Tout cela pour dire qu’il y a nombre d’éléments de démocratie européenne améliorée à la disposition des différents acteurs.
Jacques-Yves Henckes a regretté "le flou artistique" au sujet du sort qui sera réservé par la Commission à une initiative après qu’elle aura donné ses avis juridique et politique
Jacques-Yves Henckes, de l’ADR, a apporté lui aussi le soutien critique de sa sensibilité politique au projet. Abordant la question du matricule national, il a déclaré que le contrôleur européen n’avait pas vu de problème pour qu’il soit publié de manière intégrale. Mais, a demandé le député ADR, qu’en est-il des fonctionnaires européens résidents du Luxembourg qui n‘ont pas eu de matricule national. Seraient-ils donc exclus d’une participation à une initiative citoyenne européenne ? Et si non, quelles données devront-ils fournir ? Jacques-Yves Henckes a aussi regretté "le flou artistique" au sujet du sort qui sera réservé par la Commission à une initiative après qu’elle aura donné ses avis juridique et politique. Reste que le principe de cette initiative citoyenne est pour lui une bonne chose au niveau européen. Mais, a-t-il ajouté, les règlements européens d’application directe peuvent poser des problèmes dans le sens où ils peuvent changer la législation nationale. Cela devrait être selon lui mieux encadré, notamment en ce qui concerne la promulgation et la publication de ces changements
Serge Urbany : la Gauche unie européenne veut lancer une initiative citoyenne européenne sur un fonds de solidarité européen
Serge Urbany, de Déi Lénk, a exprimé son désaccord avec l’idée que l’UE soit basée sur la démocratie représentative, car, a-t-il souligné, dans l’UE, le droit d’initiative législative appartient à la Commission et pas au Parlement européen, de sorte que l’Union n’est pas un exemple de démocratie représentative classique. Pour lui, le déficit démocratique est évident dans l’UE et s’étend avec la crise, dans la mesure où des institutions non élues sont créées qui empiètent sur la souveraineté des Etats membres. D’autre part, a-t-il expliqué, si les institutions européennes prescrivent aux Etats ce qu’ils doivent faire en matière de salaires, de salaire minimum et de pensions, il y a problème. L’Europe dans les cœurs, comme le prône Serge Wilmes ? Ce serait plutôt le contraire pour Serge Urbany. Néanmoins, le député de la Gauche a déclaré qu’il allait voter en faveur du projet, qui n’est pas pour lui un élément de participation démocratique, mais un élément de mobilisation sur des sujets importants, comme cette initiative citoyenne européenne que la Gauche unie européenne veut lancer sur un fonds de solidarité européen.
Jean Asselborn : un moyen de mobilisation en faveur d’une politique sociale de l’UE ou pour que le SEAE soit compétent pour les affaires consulaires des citoyens européens dans des pays tiers
Le ministre des Affaires étrangères, Jean Asselborn, a qualifié l’initiative citoyenne européenne de "progrès dans la citoyenneté européenne". Elle pourrait être un moyen de mobilisation en faveur d’une politique sociale de l’UE, par exemple avec une initiative sur un salaire minimum européen ou pour que le SEAE – le service européen d’action extérieure - soit compétent pour la protection et les affaires consulaires des citoyens européens dans des pays tiers, et cela malgré l’opposition des Britanniques. Le ministre a ensuite expliqué que le gouvernement avait été confronté avec le problème du matricule national au tout dernier moment des discussions avec la commission de travail de la Chambre. Le Gouvernement a rédigé une lettre à la Commission pour que le matricule national puisse être laissé de côté au Luxembourg et il y a de la compréhension pour cela du côté de la Commission. Quant à l’éducation à la citoyenneté, le ministre a recommandé ce site pour ce qui est de l’information sur l’UE et le Luxembourg ainsi que l’initiative citoyenne européenne.