Les ministres des Affaires intérieures et de l’Immigration ont discuté le 26 avril 2012, lors du Conseil JAI qui s’est tenu à Luxembourg, de la fameuse lettre adressée par l’Allemagne et la France dans le contexte de la réforme de Schengen. Le sujet n’a pas manqué de susciter des réactions au Luxembourg. Ainsi, après le ministre des Affaires étrangères, Jean Asselborn, qui s’était exprimé dans le Spiegel, puis le ministre de l’Immigration, Nicolas Schmit, qui représentait le Luxembourg lors des discussions qui ont lieu au Conseil JAI, c’est au tour de Robert Goebbels, eurodéputé socialiste qui est aussi un des signataires historiques des accords de Schengen, de s’exprimer dans une tribune publiée dans le Tageblatt le 28 avril 2012. La commissaire luxembourgeoise Viviane Reding lui a emboîté le pas en cosignant avec l’eurodéputé Manfred Weber (PPE) une tribune publiée dans le Luxemburger Wort daté du 30 avril 2012.
Robert Goebbels commence sa tribune par un rappel, qu’il fait d’un ton acerbe. Il s’en prend en effet, de façon peu amène, au président français et au ministre allemand qui veulent "donner aux Etats membres de l’UE le droit d’introduire de leur propre chef des contrôles à leurs frontières avec d’autres Etats membres de l’UE". Et il entend leur faire un rappel : "Même une lecture superficielle des traités de l’UE qui sont en vigueur leur apprendrait que l’UE garantit aux citoyens européens et même aux voyageurs issus de pays-tiers la liberté de circuler au sein de ce que l’on appelle l’espace Schengen". "Il ne doit pas y avoir de contrôles, excepté quand un ou plusieurs Etats se voient faire face à une vague de demandeurs d’asile ou à un quelconque risque pour leur sécurité intérieure", souligne Robert Goebbels qui précise que, dans ce cas, des contrôles aux frontières intérieures peuvent être autorisés de façon temporaire sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen.
"Les propositions de Berlin et Paris sont contraires au traité", conclut par conséquent l’eurodéputé. Et pour les mettre en œuvre, il faudrait convoquer une conférence intergouvernementale qui devrait décider d’une modification des traités, poursuit Robert Goebbels, qui ajoute que le Parlement européen devrait aussi donner son assentiment à ces modifications, sans compter que les 27 parlements nationaux devraient ratifier le nouveau traité, certains, comme l’Irlande, par voie référendaire. Or, juge Robert Goebbels, "tout cela est complètement irréaliste". "Lorsque le président de la Grande Nation, qui a muté de la droite à l’extrême droite, affirme à présent que la France va se retirer des accords de Schengen si l’UE ne satisfait pas les exigences de la France, ce n’est que gesticulation de campagne électorale", commente l’eurodéputé socialiste qui souligne que, depuis le traité d’Amsterdam, les accords de Schengen font partie intégrante des traités européens. "Sortir de Schengen ne serait possible qu’en sortant de l’UE", en déduit Robert Goebbels.
La tribune de Viviane Reding et Manfred Weber joue sur un registre différent, plus institutionnel, se concentrant sur la proposition de réforme de Schengen que la Commission européenne a mise sur la table en septembre dernier et sur laquelle la commission LIBE du Parlement européen vient de prendre position.
L’ouverture des frontières et la liberté de voyager sont aujourd’hui une évidence du vivre ensemble européen, rappellent, en substance, la commissaire et le parlementaire, pour qui la libre circulation est la conquête la plus visible et la plus concrète de l’intégration européenne. Une avancée qu’ils évoquent en quelques chiffres : neuf Européens sur dix savent très précisément qu’ils ont le droit de passer les frontières en Europe sans être soumis à un contrôle d’identité, et ils usent de ce droit au quotidien, ainsi 1,25 milliard de voyages sont entrepris chaque année au sein de l’UE. Viviane Reding et Manfred Weber insistent aussi sur les avantages économiques liés à la liberté de circulation : entre 2004 et 2007, le PIB de l’UE a augmenté de 40 milliards d’euros en raison de la plus grande mobilité des travailleurs issus des nouveaux Etats membres de l’UE, ont-ils par exemple calculé.
"Réintroduire des contrôles d’identité aux frontières serait un recul dramatique dans les temps les plus sombres de notre histoire", écrivent Viviane Reding et Manfred Weber. "Cela réduirait à néant 60 ans d’intégration européenne", déplorent-ils encore avant de mettre en garde ceux qui parlent d’une réforme des accords de Schengen : "il faut avoir clairement à l’esprit que l’on parle d’une des racines de la coopération", lancent-ils en effet.
Certes, ils ne perdent pas de vue que les Etats membres doivent veiller à la sécurité et à l’ordre public, et c’est pourquoi le pendant de la liberté de circulation est, selon eux, la responsabilité des Etats en matière de sécurité aux frontières extérieures. "Le laxisme d’un Etat membre aux frontières extérieures peut vite devenir un fardeau pour la communauté des Européens", reconnaissent ainsi Viviane Reding et Manfred Weber. Mais, estiment-ils, "les problèmes qui peuvent se poser sur certains segments des frontières extérieures d’un seul Etat membre ne sauraient être résolus, au sein de l’Europe unie, par les mesures unilatérales de certains gouvernements". La commissaire et le parlementaire en appellent eux aussi au caractère exceptionnel des contrôles aux frontières intérieures. "Une telle décision concerne tous les Européens", plaident-ils, se référant clairement à la proposition de la Commission qui prévoit que les contrôles aux frontières ne soient possibles que de façon exceptionnelle après examen et accord du Parlement européen et de la Commission européenne.
A leurs yeux, la meilleure solution est un renforcement des contrôles communs aux frontières extérieures et la consolidation de l’agence Frontex en vue de la mise en place d’une police européenne de protection des frontières efficace. Une agence européenne comme Frontex est mieux adaptée que des contrôles réciproques des Etats membres pour veiller au respect des règles du jeu par des contrôles surprises indépendants aux frontières extérieures, estiment encore Viviane Reding et Manfred Weber. Ils plaident pour que les résultats de ces évaluations soient discutés au Conseil et au Parlement, le rôle de la Commission étant de mettre en œuvre les standards de Schengen y compris dans les pays où ils ne sont pas exactement respectés.
"Il est devenu évident dans le passé récent que les forces populistes de certains Etats membres, par exemple le Danemark, les Pays-Bas, l’Italie, la France, tentent d’utiliser la politique européenne pour gagner des voix", dénoncent Viviane Reding et Manfred Weber. Une raison de plus à leurs yeux pour que les organes communautaires aient un droit de regard quand il en va de la règlementation sur la liberté de circulation.
La commissaire et le parlementaire en appellent à l’esprit de compromis des Etats membres, soulignant que des décisions communes sont nécessaires. Ils plaident pour leur part, afin de préserver la plus grande conquête de l’UE, à savoir la liberté de circulation des citoyens de l’UE, pour le respect de l’intégrité des accords de Schengen et le renforcement de son caractère communautaire.