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Economie, finances et monnaie - Énergie
Le commissaire européen à l’énergie, Günther Oettinger, a exposé au Bridge Forum Dialogue les grandes lignes de sa politique de l’énergie
Sans états d’âme sur le nucléaire, il a défendu une approche pragmatique en faveur d’une nouvelle politique industrielle de l’UE
02-07-2012


Bridge Forum DialogueLe Bridge Forum Dialogue avait invité le 2 juillet 2012 le commissaire européen en charge de l’énergie, Günther Oettinger, à venir parler au siège de la BEI de la politique énergétique du futur et des perspectives qui s’ouvrent pour l’Europe dans ce domaine.

Yves Mersch, président de la BCL, lors du Bridge Forum Dialogue du 2 juillet 2012 sur la politique énergétique de l'EuropeDans ses mots d’introduction, le président de la BCL, Yves Mersch, a parlé de la question de l’énergie en termes de prix, de fourniture, de demande, d’accès, de production et de durabilité, bref comme un élément politique central.

Werner Hoyer, le président de la BEI, a de son côté souligné que le rôle que l’UE saura jouer dans le cadre de la globalisation dépendra de la manière dont l’UE arrivera à résoudre la question de l’énergie, notamment en développant une politique de prévention des pénuries. La BEI a une grande expérience, a-t-il souligné, avec les entreprises publiques et privées qui investissent dans les projets liés à l’énergie, elle est même le plus grand bailleur de fonds dans ce domaine. Avec l’augmentation du capital de la BEI et la décision du Conseil européen qui Werner Hoyer, président de la BEI, lors du Bridge Forum Dialogue du 2 juillet 2012 sur la politique énergétique de l'Europerecommande le recours aux project bonds, "deux bonnes nouvelles" pour Werner Hoyer, l’année 2013 s’annonce fructueuse et la BEI se coordonnera avec la Commission pour avancer dans le domaine des investissements dans les grands projets liés à l’énergie.

Dans son introduction, Günther Oettinger a parlé de la décennie passée comme d’une décennie perdue en termes de politique industrielle et énergétique. Il s’en est pris à la régression de l’industrie en Europe, une industrie qui est pour lui le vrai moteur de croissance et qui est la voie royale pour sortir de la crise et de l’endettement. La part de valeur ajoutée de l’industrie dans l’économie de l’UE est passée en 10 ans de 22 à 18 %. En France, cette part est passée de 19 à 13 %. Des pays comme le Royaume-Uni ont voulu cette sortie des anciennes activités industrielles, en démantelant l’industrie charbonnière, automobile, les chantiers navals, etc. Ils ont remplacé l’activité industrielle par l’activité du secteur financier et des services. A long terme, la conséquence en est que le chômage explose.

Günther Oettinger ne veut pas d’un tel avenir pour l’UE. Il veut que les industries de la chimie, de la sidérurgie, de la construction de machines, comme elles fonctionnent avant tout en Allemagne, au Nord de l’Italie, dans la région autour de Paris, aux Pays-Bas, en Autriche, en Slovaquie et en République tchèque, pour lui les seuls vrais centres industriels de l’UE,  soient préservées là où elles fonctionnent actuellement et redéployées dans d’autres pays et régions. Pour lui, ce n’est pas un hasard si les pays qui ont une industrie forte sont aussi des pays notés avec un triple A, connaissant un marché du travail tant soit peu stable et affichant une bonne compétitivité.

Günther Oettinger, commissaire européen à l'énergie, lors du Bridge Forum Dialogue du 2 juillet 2012 sur la politique énergétique de l'EuropeMais pour que ce redéploiement industriel en Europe puisse devenir réalité, la question de l’énergie appelle une solution qui englobe la question du coût et la sécurité de l’approvisionnement. Car les matières traditionnelles auxquelles l’Europe a recours – le pétrole, le charbon, le gaz et la biomasse – sont limitées et la dépendance de l’Europe sera pour ces matières de l’ordre de 70 % d’ici 10 ans, vu le recul de l’extraction de ces matières et l’augmentation globale des besoins d’énergie. Et dans la mesure où la plupart des fournisseurs de ces matières sont des Etats qui ont une autre culture politique et juridique, la dépendance, met en garde Günther Oettinger, expose l’UE aux chantages de toute sorte. D’où la nécessité de concevoir une politique énergétique commune pour le grand marché intérieur qui se décline sur cinq grands axes : l’efficacité énergétique, la sécurité des centrales énergétiques, la lutte contre le changement climatique, la sécurité de l’approvisionnement et la question d’un prix supportable à payer.

Pour le commissaire, la directive sur l’efficacité énergétique est un grand pas en avant. Elle inaugure une politique qui se concentrera sur la construction, 40 % des besoins en énergie étant absorbés par le parc immobilier européen, les appareils électriques, les transports, la conception des moteurs et la transparence de la facturation, afin que les consommateurs finaux puissent identifier les sources de gaspillage et corriger le tir.

La sécurité joue un rôle accru, notamment dans la perception de l’énergie atomique, et ce surtout après la catastrophe de Fukushima. Mais impossible selon Günther Oettinger d’arrêter toutes les centrales nucléaires de l’UE. D’autre part, même si l’on programme la sortie du nucléaire dans certains Etats membres, d’autres pays de l’UE sont sur le point d’y entrer ou de mettre en service de nouvelles centrales. Sans compter la Russie qui inaugurera d’ici peu une centrale nucléaire dans l’enclave de Kaliningrad, non pas pour la consommation propre de cette enclave, mais pour vendre de l’électricité à des Etats membres de l’UE, ce que l’on ne pourra évidemment pas lui interdire. "Les centrales nucléaires continueront à exister" et "il faudra les accepter" pour nous garantir contre des pénuries soudaines, a dit à plusieurs reprises et sans illusions Günther Oettinger, qui ne s’est jamais distingué au cours de sa carrière comme un adversaire de ce type de source d’énergie.

La sécurité comme le choix de la technique relèvent selon les traités européens, a-t-il souligné, et comme "les pères des traités l’ont décidé avec sagesse", de la compétence nationale. Reste que pour lui, l’on n’a jamais eu autant d’informations sur le fonctionnement et la sécurité des centrales nucléaires dans l’UE que comme dans le cadre des stress-tests ou tests de sécurité européens, "bien plus que n’en obtiendrait une question parlementaire sur Cattenom au parlement luxembourgeois". 

Si l’UE lutte contre le changement climatique en prônant une économie faible en carbone et en misant sur le développement des énergies renouvelables, "elle ne résoudra pas toute seule la question climatique", affirme Günther Oettinger avec "son réalisme de Souabe", comme l’a dit de lui Werner Hoyer. Il a largement détaillé l’isolement de l’UE à la conférence mondiale Rio +20, boudée par les BRICS et le groupe des 78 Etats, attaquée par le Canada, les Etats-Unis, dont le président Obama est selon le commissaire paralysé par le Tea Party, et la Chine, qui dit selon lui oui à l’environnement, mais donne priorité à l’objectif de devenir le numéro un économique.

Dans la même logique, Günther Oettinger a dit du système d’échange de quotas d’émission de l’UE qui couvre, depuis le 1er janvier 2012, les émissions de gaz à effet de serre imputables au transport aérien et qui prévoit donc que toutes les compagnies aériennes – y compris celles des pays tiers – devront acquérir et restituer des quotas d’émission pour leurs vols au départ et à l’arrivée des aéroports européens, que c’est un bon système et une mesure importante. "Mais que faire si les pays tiers ne jouent pas le jeu, quand les Chinois retirent des permis d’atterrir, les Russes ne veulent pas payer et les Etats-Unis déposent des plaintes ?", s’est-il interrogé.

La sécurité de l’approvisionnement est un autre grand problème de l’UE. Les Etats membres de l’UE disposent maintenant de manière obligatoire de réserves pétrolières pour 90 jours, et bientôt 30 jours de réserves de gaz seront-elles aussi obligatoires. De nouvelles infrastructures doivent être créées à cet effet. La Russie, la Norvège sont les partenaires les plus importants de l’UE. Le Qatar et le Nigéria sont les partenaires montants. L’Azerbaïdjan recèle des richesses que l’UE voudrait voir acheminées de la meilleure manière, par la Russie, mais aussi par la Géorgie et la Turquie.

Mais "la mesure de toute chose, c’est l’électricité", pense le commissaire, dont l’usage prend partout de l’ampleur. Et de citer des exemples : 80 % des trains qui circulent dans l’UE ; une entreprise comme BASF consomme autant que tout le Danemark en un jour ; une usine d’aluminium dans le Bade-Wurtemberg qui emploie 2600 salariés consomme à elle-seule 1 % de l’électricité disponible en Allemagne, mais permet en retour l’économie dans les transports de millions et de millions de litres de carburant. Mais en retour, l’UE ne dispose que de 24 minutes de réserves de courant électrique accumulées face à une demande aussi grande. Pour le commissaire, les énergies renouvelables, - 3 % d’énergie solaire, 12 % d’énergie éolienne, -ne pourront jamais compenser les éventuelles et soudaines pénuries à tout moment, avec les 800 heures de soleil au nord de l’Europe, contre néanmoins 2000 heures au sud. Et s’il y a de l’avenir dans ce domaine, il est en Espagne, et ensuite au Maroc, en Tunisie et en Algérie.

L’avenir est pour le commissaire à ceux qui trouveront des solutions permettant d’accumuler l’électricité, prédit le commissaire, qui pense que les énergies renouvelables ne doivent cependant pas être négligées, mais bien distribuées. Si l’UE arrive à trouver les moyens d’accumuler 7 jours de courant électrique, "elle sera du côté des gagnants globaux". Mais cela ne sera pas le cas avant 10 ou 15 ans. Le plus grand potentiel de systèmes d’accumulation massive est à chercher dans les hauteurs en Autriche, en Suisse, en Norvège et en Serbie. L’accumulation massive dans des batteries est encore trop chère. Les nouveaux réseaux ne seront par ailleurs utiles que s’ils sont paneuropéens. 

Reste la question du prix de l’énergie. Des pays comme le Japon restent complètement dépendants. Les Etats-Unis ont réduit les importations en provenance des pays arabes et se rabattent sur les forages dans le golfe du Mexique – avec tous les dangers que cela comporte, rappelle le commissaire - et l’exploitation du gaz de schistes dans le nord du continent américain. Leur politique : le gallon en-dessous d’un dollar. Quel chemin prendre en Europe pour les prix ? Günther Oettinger est contre une taxation de l’énergie qui vise à "boucher les trous budgétaires". Il n’est pas enthousiaste à l’égard des interdictions qui frappent l’exploitation du gaz de schistes en France ou en Allemagne. Pour lui, les Européens sont beaucoup moins regardants quand il s’agit de la pollution environnementale au Nigéria. Tout cela conduit à augmenter par exemple le prix des voitures en Europe. Conséquence : PSA, Opel, Vauxhall ferment des usines ou entrent en crise, lors que KIA et Hyundai prospèrent.      

La conclusion du commissaire européen : l’idéologie et l’idéalisme européens poussent les industries européennes à s’expatrier pendant que les Etats-Unis mènent leur réindustrialisation aux frais de l’UE. Quant au pacte pour la croissance sur lequel les chefs d’Etat et de gouvernement se sont engagés lors du Conseil européen des 28 et 29 juin 2012, qui représente 1 % du PIB de l’UE, l’équivalent d’un budget annuel actuel de l’Union, « il vaut autant que la foi qu’on a en lui ». Pour Günther Oettinger, il faudrait un budget de l’UE qui aille vers les 1,2 % du PIB de l’Union, et il devrait aller vers une politique de croissance durable, par des prêts des garanties, des subventions, selon les besoins, avec une priorité pour les TIC, l’énergie, les infrastructures, afin que la nouvelle phase de croissance qui pourrait venir ne se révèle pas être un feu de paille.