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Economie, finances et monnaie
L’agence de notation Moody’s, inquiète d’une éventuelle sortie de la Grèce de la zone euro ou de l’éventuelle nécessité d’aider financièrement l’Espagne et l’Italie, a revu à la baisse les perspectives de l’Allemagne, du Luxembourg et des Pays-Bas
23-07-2012


Le 23 juillet 2012, l’agence de notation Moody’s a annoncé depuis Londres qu’elle avait modifié les perspectives de l’Allemagne, des Pays-Bas et du Luxembourg, trois pays notés du triple AAA dont la perspective est désormais L'agence de notation Moody's"négative", et non plus "stable". L’agence de notation a dans le même communiqué confirmé la note de la Finlande, qui reste ainsi le seul pays de la zone euro à être noté, chez Moody’s, d’un triple AAA avec perspective stable.

La nouvelle est tombée après deux journées particulièrement agitées sur les marchés financiers. La pression sur un certain nombre de pays de la zone euro a été telle que l’Italie et l’Espagne ont décidé d’interdire les ventes à découvert de certains titres dans le courant de la journée du 23 juillet 2012.

La réaction du président de l’Eurogroupe, Jean-Claude Juncker, a été diffusée le 24 juillet 2012 au matin sous la forme d’un communiqué lapidaire. "Nous prenons bonne note de la décision de Moody's qui confirme la notation élevée d'un nombre important d'Etats de la zone euro, soutenue par les fondamentaux sains qu'ont ces (trois) pays et d'autres au sein de la zone euro", indique-t-il avant de réaffirmer son "ferme engagement pour assurer la stabilité de la zone euro dans son ensemble".

Luc Frieden, le ministre des Finances luxembourgeois, ne s’est pas montré surpris par l’évaluation de Moody’s, comme le rapporte RTL.lu. Le Luxembourg reste toutefois parmi les rares pays qui sont noté d’un triple A, a souligné le ministre qui entend veiller à ce que cela dure. A ses yeux, la nouvelle évaluation de Moody’s est certes une mauvaise nouvelle pour l’Europe, mais le ministre a aussi rappelé que la fin de la zone euro est prédite depuis un certain temps, sans pour autant qu’elle advienne. Et elle n’arrivera pas, estime-t-il.

Le Ministère allemand des Finances avait réagi dès le 23 juillet en clamant que l’Allemagne continuerait d'être une "ancre de stabilité" dans la zone euro."L'Allemagne va tout faire avec ses partenaires pour surmonter le plus rapidement possible la crise de la dette européenne", ajoutait-il encore.

L’agence de notation justifie sa décision dans un long communiqué qui explique que les quatre pays visés par cette révision sont affectés par l’incertitude qui pèse sur les perspectives de la zone euro et l’impact potentiel de scénarios plausibles sur ces Etats membres.

La probabilité d’une sortie de la Grèce de la zone euro : "menace matérielle" dont Moody’s s’inquiète des éventuelles conséquences

Premièrement, Moody’s juge que le risque d’une sortie de la Grèce de la zone euro a augmenté par rapport aux précédentes prévisions de l’agence qui souligne toutefois que ce n’est pas là son scénario de base.

Du point de vue de l’agence, la sortie de la Grèce de l’Union monétaire représenterait "une menace matérielle pour l’euro". Et si Moody’s dit s’attendre, le cas échéant, à une réponse politique forte de la part de la zone euro, un tel événement déclencherait de son point de vue une chaîne de chocs pour le secteur financier et de pressions sur les liquidités des Etats et des banques que les politiques ne pourraient contenir qu’à un coût très élevé. Et s’il devait échouer, le résultat serait un délitement progressif de l’union monétaire, ce qui serait, juge Moody’s "profondément négatif" pour tous les Etats membres de la zone euro.

L’agence a donc choisi de faire apparaître ce risque en augmentant de "très bas" à "bas" le niveau du facteur de "probabilité d’un risque d’évènement" dans sa méthodologie de notation des Etats pour l’Allemagne, le Luxembourg et les Pays-Bas.

Les pressions qui s’accentuent sur l’Espagne et l’Italie risquent de faire peser sur les pays les mieux noter une charge financière importante s’il devait s’avérer nécessaire de soutenir ces pays

En second lieu, Moody’s juge que, même si aucune sortie de la zone euro ne devait advenir, les engagements financiers pris par les pays de la zone euro les plus forts augmentent en conséquence de la réponse jugée "réactive et graduelle" des décideurs politiques européens. Pour Moody’s, qui s’était déjà exprimé sur ce point dans une note datant du 5 juillet dernier, cette approche ne saurait produire de perspectives stables et sera très probablement associée à une série de chocs dont la magnitude risque d’augmenter avec la persistance de la crise.

Moody’s part en effet du postulat que la détérioration continue de l’environnement macroéconomique et de financement de l’Espagne et de l’Italie a accru le risque que ces deux pays ne demandent une aide extérieure. Or, imagine l’agence de notation, le niveau des engagements éventuels que cela impliquerait serait d’une toute autre dimension pour ces pays du fait de leur taille et de la charge que représente leur dette. Moody’s souligne ainsi par exemple que la taille de l’économie et du marché obligataire espagnols est environ le double de celle de la Grèce, du Portugal et de l’Irlande pris ensemble.

Même si la probabilité croissante d’un besoin de soutien de pays de la zone euro plus fort n’a pas encore affecté leur notation dans l’évaluation qu’en fait Moody’s, l’agence juge nécessaire de prendre en compte l’impact que ces engagements financiers supplémentaires auraient sur l’évaluation de leur solidité financière, vue la détérioration des données budgétaires de ces pays depuis 2007. A long terme, Moody’s dit "croire que les réformes institutionnelles au sein de la zone euro ont le potentiel de renforcer la cote de crédit de la plupart ou de tous les gouvernements de la zone euro", mais l’agence souligne aussi que pendant la période de transition, qui pourrait durer plusieurs années, la pression additionnelle qui pourrait s’exercer sur les finances publiques des nations les plus fortes risque d’accentuer la pression sur leur cote de crédit.

Moody’s envisage par conséquent des perspectives négatives pour ces pays de la zone euro notés AAA dont les finances publiques risquent d’avoir à assumer la principale charge des aides financières, que ce soit en raison d’une nécessité d’élargir l’ESM ou de développer des soutiens en liquidités sous des formes ad hoc. Et, suite à l’Autriche et à la France, dont les perspectives avaient déjà étaient revues à la négative le 13 février 2012, l’Allemagne et les Pays-Bas subissent le même sort puisque leur profil de crédit est le plus affecté par le dilemme politique analysé par l’agence de notation.

La Finlande, qui conserve ses perspectives stables, fait exception. Non qu’elle ne risque pas d’être affectée par la crise de l’euro, mais elle se distingue des autres pays notés AAA par ses avoirs nets, son système bancaire à la fois petit et orienté vers le marché national, son exposition limitée et son relatif isolement par rapport à la zone euro en termes de commerce, ainsi que par ses efforts pour garantir son aide financière à d’autres pays de la zone euro.

Dans le cas du Luxembourg, Moody’s souligne notamment l’impact qu’aurait une sortie de la Grèce de la zone euro sur l’industrie des services financiers

Lorsqu’elle précise ses explications, l’agence de notation rappelle que le premier argument repose sur l’incertitude qui pèse sur l’évolution de la zone euro. Dans le cas du Luxembourg, Moody’s souligne notamment l’impact qu’aurait une sortie de la Grèce de la zone euro sur l’industrie des services financiers qui représente 25 à 30 % du PIB du Luxembourg. Le risque potentiel de devoir assumer de nouveaux engagements financiers pour venir en soutien à des pays ou des banques en difficulté est "mitigé" dans le cas du Luxembourg du fait de son faible taux d’endettement.

Mais Moody’s évoque aussi son inquiétude quant à la résilience économique du pays au vue de sa forte dépendance à l’égard de l’industrie des services financiers en termes d’emploi, de revenu national et de ressources budgétaires. Tout problème dans le secteur financier impacterait inévitablement l’économie nationale, relève l’agence qui, malgré la relative résilience du à des chocs et crises dont a fait preuve jusqu’ici le Luxembourg, considère que la résilience du Grand-Duché s’est peu à peu affaiblie.

Les atouts du Luxembourg

Moody’s expose aussi les arguments jouant en faveur du Luxembourg, pays qui est l’un des mieux positionnés dans le monde en termes de PIB par habitant et de parités de pouvoir d’achat. La notation du Luxembourg reflète aussi ses solides antécédents en termes de croissance économique, rappelle Moody’s qui se souvient que les autorités nationales ont été capables de tirer profit de leur avance en matière de mise en œuvre de directives européennes en améliorant l’environnement d’affaires, en attirant de la main d’œuvre très qualifiée et en préservant certains avantages liés à la législation sur le secret bancaire. Et si l’impact des avoirs du secteur bancaire et des services financiers sur l’économie reste très important, Moody’s reconnaît que les risques y liés sont bas. Le secteur de la banque de détail est dominé par trois banques et a des avoirs équivalant à plus de 200 % du PIB, relève Moody’s qui ne perd pas de vue que ces trois banques ont, dans l’ensemble, maintenu de forts ratios de fonds propres, ce qui limite les risques pour les finances publiques.

Pour ce qui est du segment offshore du système financier, il est encore plus important, constitué d’une part de fonds d’investissements, dont les avoirs administrés représentent 50 fois le PIB, et d’autre part d’opérations bancaires extraterritoriales, dont les avoirs équivalent à 20 fois le PIB. Moody’s juge bas le risque de contagion entre ces différents segments de l’industrie financière.

La note AAA est aussi due à la très forte flexibilité budgétaire dont fait preuve le Luxembourg avec un gouvernement à la faible inertie en matière fiscale, capable d’ajuster les taux, notamment la TVA, des investissements à hauteur de 4 % du PIB et certains paramètres de sécurité sociale. Le Luxembourg continue d’afficher une situation budgétaire saine bien que le gouvernement ait eu recours aux finances publiques pour soutenir l’économie et le secteur bancaire pendant la crise, ce qui a, souligne Moody’s, entraîné une hausse de la dette publique, qui reste toutefois modeste. Et Moody’s ne perd pas non plus de vue les réserves financières importantes dont dispose le gouvernement sous la forme des avoirs du fonds de pensions qui équivalent à 27 % du PIB.

Comment l’agence Moody’s imagine-t-elle une dégradation ou une amélioration de la note du Luxembourg ?

Ce qui pourrait amener Moody’s à dégrader la note du Luxembourg, ce serait de voir une forte augmentation du fardeau de la dette du gouvernement. Car de son point de vue, la petite taille du pays limiterait sa capacité à assumer d’importantes quantités de dette supplémentaire. Plus largement, prévient l’agence de notation, si des événements dans la zone euro devait grever la résilience du secteur financier ou de l’économie luxembourgeoise, cela pourrait aussi avoir pour conséquence une dégradation de la note du Grand-Duché.

Ce qui pourrait amener Moody’s à rendre au Luxembourg ses perspectives stables, ce serait d’avoir des perspectives favorables pour la zone euro, une réduction des tensions sur les pays de la périphérie et des conditions macroéconomiques moins difficiles en Europe.