Alors que les chefs d’État et de gouvernement de la zone euro vont se rencontrer le 30 janvier 2012 afin de finaliser les négociations portant sur le traité international qui résulte des décisions du Conseil européen du 9 décembre 2011, la journée du 13 janvier 2012 aura été marquée par une nette accentuation de la pression exercée sur la zone euro.
Tandis que le résultat des négociations que la Grèce mène avec ses créanciers privés sont attendues avec une certaine impatience, les banques ont en effet annoncé dans l’après-midi du vendredi 13 janvier qu’elles suspendaient leurs négociations avec Athènes sur les modalités de la restructuration de la dette publique de la Grèce.
Un peu plus tard dans la soirée, l’agence de notation Standard & Poor’s (S&P), qui avait déjà fait éclat début décembre 2011 en annonçant qu’elle plaçait "sous surveillance négative" les notes de quinze pays de la zone euro, a dégradé la note de neuf de ces pays
L’Autriche et la France, deux pays dotés du précieux AAA, la note la plus élevée qui soit, ont ainsi vu dégrader leur note d’un cran, affichant désormais un AA+. Les quatre autres pays dotés du triple A, - Allemagne, Finlande, Luxembourg et Pays-Bas, - conservent leur note.
L'Italie et l'Espagne sont quant à elles dégradées de deux crans, passant pour l’Espagne de AA- à A et pour l’Italie de A à BBB +, tandis que les dettes du Portugal, qui passe de BBB- à BB, et de Chypre, qui passe de BBB à BB+, sont reléguées par S&P au rang d'investissements "spéculatifs". Les notes de Malte, qui passe de A à A-, de la Slovaquie, qui passe de A+ à A, et de la Slovénie, qui passe de AA- à A+, sont abaissées d'un cran.
L'agence laisse qui plus est planer la menace d'une nouvelle dégradation d'ici fin 2013 pour tous les pays de la zone euro, à l’exception de l'Allemagne et de la Slovaquie, qui conservent une "perspective stable", tandis que les autres pays de la zone euro affichent une "perspective négative".
"L'environnement politique dans la zone euro n'a pas été à la hauteur des défis croissants engendrés par la crise", a résumé au lendemain de cette annonce Moritz Kraemer, le responsable de l'agence pour la notation des dettes européennes. "L'efficacité, la stabilité et la prévisibilité de la politique et des institutions politiques européennes ne sont pas aussi solides qu'il le faudrait", estime l’agence S&P.
Revenant sur le sommet européen du 9 décembre 2011, Moritz Kraemer a estimé décevant ses résultats : "le sommet n'a pas abouti à une percée (...) à une solution suffisante à la fois en termes d'impact et dans son champ d'application", a-t-il jugé en effet.
"L'éclatement de la zone euro n'est pas un facteur déterminant retenu dans aucune des décisions que nous avons prises concernant les notes" des pays européens a cependant affirmé Moritz Kraemer qui a par ailleurs souligné que, malgré ces dégradations, les notations des pays de la zone euro restaient très fortes.
Les risques en zone euro restent élevés, a encore souligné Moritz Kraemer, jugeant la probabilité d'une récession en 2012 de l'ordre de 40 %. S&P table toutefois, comme de nombreux analystes, sur une amélioration lors du second semestre.
Moritz Kraemer a justifié la décision de l'agence de notation d'abaisser de deux crans des pays déjà fragilisés comme l'Italie, l'Espagne ou le Portugal, en expliquant que ces pays étaient "les plus vulnérables" dans un scénario potentiel d'aggravation de la crise. Le niveau des taux d'intérêt des emprunts d'Etat pour ces pays reste très élevé, même s'ils ont baissé récemment, et avec des besoins de financement très importants comme ceux de l'Italie, la situation est très tendue, a-t-il indiqué. "Le niveau actuel des taux", près de 7 % pour les emprunts à dix ans italiens, "vont rendre les choses beaucoup plus difficiles", a-t-il averti.
Pour autant, S&P se dit "tout à fait conscient des efforts de réforme entrepris par le gouvernement" de Mario Monti en Italie, mais encore une fois, ce pays comme d'autres en Europe, à l'instar du Portugal ou de l'Espagne, sont les plus fragilisés par les défaillances de la gouvernance européenne, a affirmé Moritz Kraemer.
Mais les conséquences de cette dégradation sur les taux que vont devoir payer les États concernés pour se financer sur les marchés sont scrutées avec appréhension. La France a ainsi prévu par exemple une importante émission d’obligations et de bons du Trésor pour le 19 janvier 2012.
Autre conséquence de cette dégradation, la possible dégradation de la note de l’EFSF. "L’EFSF a été placé sous surveillance avec d'autres institutions européennes début décembre", a en effet rappelé Moritz Kraemer qui a indiqué que Standard and Poor's rendrait "très prochainement" son verdict sur la notation de l’EFSF, expliquant que l'agence était "en train d'évaluer l'impact des dégradations" de vendredi sur ce fonds.
Le président de l’Eurogroupe a réagi par voie de communiqué dans la soirée du 13 janvier 2012. Jean-Claude Juncker, qui rappelle que le nouveau traité fera l’objet d’un accord à la fin du mois avant d’être signé et transmis aux parlements nationaux pour ratification, insiste sur les mesures prises par les chefs d’Etat et de gouvernement et par la BCE qui ont déjà conduit à réduire de façon nette les tensions connues par les marchés obligataire et interbancaire.
L’EFSF "dispose de ressources suffisantes pour remplir ses engagements actuels et éventuellement d'autres dans le futur", indique le président de l’Eurogroupe dans le communiqué avant de réaffirmer la détermination des pays qui apportent leur garantie à l’EFSF "à explorer les options pour maintenir son triple A". Quant au futur mécanisme permanent de stabilité, l’EMS, Jean-Claude Juncker rappelle qu’il a été décidé le 9 décembre d’en avancer la mise en place à juillet 2012. "L’EMS aura son propre capital et sera de fait moins affecté par les notations des Etats membres", précise le président de l’Eurogroupe qui rappelle aussi que le capital de 500 milliards d’euros dont doivent être dotés ces deux instruments va être réévalué en mars 2012. Jean-Claude Juncker ne manque pas de rappeler l’accord trouvé pour apporter au FMI des capitaux supplémentaires.
La zone euro est déterminée "à faire tout son possible pour surmonter la crise, améliorer les finances publiques et retrouver le chemin de la croissance et de l'emploi", conclut Jean-Claude Juncker.
Face aux questions que cela soulève pour les quatre pays encore dotés du triple A qui apportent leur garantie à l’EFSF, Angela Merkel a dit le 14 janvier 2012 ne pas croire "que les dégradations aient de quelque manière que ce soit pour conséquence que l'Allemagne doive faire plus par rapport aux autres". Les dégradations "ne vont pas torpiller le travail de l’EFSF et je ne vois pas de nécessité de changer quelque chose" à ce fonds, a-t-elle assuré. La chancelière allemande a expliqué n'avoir jamais pensé qu'une notation triple A était indispensable pour l’EFSF. "Nous devons faire en sorte d'élargir la base de notre plan de sauvetage" à un maximum de pays, a-t-elle dit, soulignant l'importance pour l'avenir de l’EMS, qu'elle souhaite voir mis en œuvre "au plus vite".
Le 16 janvier 2012, son ministre des Finances, Wolfgang Schäuble, a dit, dans un entretien à la radio Deutschlandfunk, ne pas juger nécessaire une augmentation des garanties apportées à l’EFSF : "les garanties apportées à l’EFSF suffisent largement pour ce qu'il a à faire au cours des prochains mois", a-t-il déclaré. L’EFSF "a déjà dû payer des taux plus élevés lors de ses dernières émissions", a-t-il souligné, ce qui signifie à ses yeux "que cela ne dépend donc pas seulement de la notation" des pays qui s'en portent garants.
Depuis l’annonce faite par S&P, les réactions n’ont pas manqué dans les capitales européennes, à commencer par les pays concernés par une dégradation.
En France, la nouvelle est en effet tombée à moins de cent jours de l’élection présidentielle, et ce alors que le président Nicolas Sarkozy avait fait du maintien du triple A une de ses priorités. "Nicolas Sarkozy avait fait de la conservation du triple A un objectif de sa politique et même une obligation pour son gouvernement", a souligné ainsi son principal adversaire, le candidat socialiste François Hollande. "C'est ainsi qu'avaient été justifiés pas moins de deux plans de rigueur en quatre mois", a-t-il expliqué, concluant que "cette bataille, et je le regrette, a été perdue". Le Premier ministre François Fillon a quant à lui expliqué que la dégradation est "une alerte qui ne doit pas être dramatisée, pas plus qu'elle ne doit être sous-estimée". Pour le Premier ministre, "la France reste un pays sûr" financièrement, et la perte du triple A n'aura pas de "conséquences immédiates pour la vie quotidienne des Français".
Pour la ministre des Finances autrichienne, Maria Fekter, S&P a montré "un carton jaune" à l'Autriche, l'obligeant à "prendre encore plus au sérieux la nécessité de réduire son déficit". "Avant l'automne nous n'avons peut-être pas assez pris en compte l'épée de Damoclès que constitue notre dette (...) mais maintenant nous sommes sur le bon chemin", a-t-elle estimé. Cette mauvaise nouvelle, a-t-elle commenté sur la radio publique ORF, doit "amener à réduire les dépenses et la dette, même si les soucis envers les banques apparaissent exagérés". A chaud, la ministre avait estimé que "la situation en Hongrie et en Italie" était "la raison principale" de la dégradation de la note souveraine de son pays. Le chancelier Werner Faymann a pour sa part qualifié d'"incompréhensible" cette dégradation, arguant que les deux autres agences de notation avaient bien noté son pays. S&P "voit le rôle des banques de façon négative ce qui est injuste dans le cas de l'Autriche" a-t-il estimé. Pour le gouverneur de la Banque centrale, Ewald Nowotny, cette dégradation "risque de freiner" le léger mieux observé récemment" et "ne facilitera pas une issue positive à la crise en cours" dans la zone euro. Il a critiqué la décision de S&P, qui, selon lui, se comporte "beaucoup plus agressivement et plus politiquement que les deux autres agences de notation", Fitch et Moody's qui ont récemment maintenu avec une "perspective stable" la note triple "AAA" de l'Autriche. Il dénonce "un acte politique car, d'un coup, toute l'Europe est concernée".
Le gouvernement slovène sortant a déploré lui aussi l'abaissement d'un cran de la note de la Slovénie. "En dépit du processus en cours pour former un nouveau gouvernement, la Slovénie met en œuvre toutes les mesures nécessaires pour consolider ses finances publiques", a déclaré le Ministère des Finances dans un communiqué. "Nous croyons que le prochain gouvernement de la Slovénie va continuer à renforcer la consolidation des finances publiques en 2012 et 2013, ramener le déficit public sous les 3 % du PIB et mener les réformes structurelles nécessaires", ajoute ce texte.
"Le gouvernement portugais déplore la décision de S&P", indique un communiqué du Ministère des Finances publié le 13 janvier. Pour le Portugal, l'agence de notation a "substitué à une analyse sur chaque pays, une analyse systémique basée sur la zone euro"."Il en découle des évaluations que ne reflètent pas de manière adéquate les réalités nationales", estime ainsi le gouvernement portugais, qui juge que Standard and Poor"s n'a pas tenu compte des efforts entrepris par le gouvernement pour assainir la situation financière du pays.
Le ministre des Finances luxembourgeois a réagi le 14 janvier 2012 sur les ondes de RTL Radio Lëtzebuerg. Pour Luc Frieden, il ne faut pas surestimer la nouvelle. "Ce n’est une bonne nouvelle ni pour la France, ni pour l’Europe, mais ce n’est pas non plus une catastrophe", juge-t-il.
Certes, reconnaît-il, ce n’est pas une bonne nouvelle de voir dégradée la note d’un pays comme la France, qui est la deuxième économie de la zone euro. Cette annonce, le ministre l’entend aussi comme un appel à la France à mettre sur pied au plus vite une politique budgétaire saine.
Mais il faut aussi prendre en considération le fait que la France ne saurait être comparée à des pays comme la Grèce ou le Portugal, affirme Luc Frieden qui souligne que la note AA+ dont est dotée désormais la France chez S&P reste synonyme d’un investissement très sûr. Luc Frieden juge donc "l’effet psychologique de l’annonce" plus fort que le fait même de la dégradation d’un seul cran. Le ministre souligne aussi, comme autre raison de ne pas surestimer la nouvelle, le fait que toute une série de mécanismes sont en train d’être mis en œuvre tant dans la zone euro que dans chacun de ses États membres.
Le fait que le Luxembourg voit, comme l’Allemagne, la Finlande et les Pays-Bas, maintenu son triple A est aux yeux de Luc Frieden "une très bonne note pour la politique financière luxembourgeoise". "Nous avons beaucoup fait pour que cela reste ainsi", se félicite le ministre qui juge essentiel de faire tout le possible à l’avenir pour conserver ce statut. "Je suis optimiste si nous poursuivons sur la voie des réformes que nous avons entreprises, si nous les poursuivons de façon responsable sur le plan économique et de façon juste sur le plan social", a déclaré le ministre, se disant "confiant" quant au fait que le Luxembourg peut conserver son triple A.
Si les commentaires critiquant le moment choisi, jugé par beaucoup inopportun, pour faire annoncer cette dégradation foisonnent, Luc Frieden se montre plus réservé : "ce sont des agences privées", rappelle-t-il en effet, soulignant que le moment où une entreprise privée fait un commentaire sur un pays ne saurait être contrôlé ou influencé. Le ministre émet cependant l’espoir que toutes les mesures qui sont en train d’être mises en œuvre conduiront à l’avenir à des évaluations plus positives.
Guido Westerwelle, le ministre allemand des Affaires étrangères, s’est montré critique quant au timing choisi : "à peine ces bonnes nouvelles surgissent-elles, et avec elles, un peu de détente" que la tension est "artificiellement" de retour, a-t-il déclaré. François Fillon a insisté sur le fait que la dégradation de la note de la France arrivait "à contretemps au regard des efforts engagés par la zone euro, des efforts que les investisseurs d'ailleurs commencent à reconnaître".
Michel Barnier, le commissaire européen en charge des Services financiers, "reste étonné du moment choisi par l'agence Standard and Poor's et sur le fond, de son évaluation qui ne prend pas en compte les progrès actuels". "Au-delà de cette note, qui ne constitue qu'un avis parmi d'autres, ce qui me paraît le plus important, c'est l'évaluation économique objective que nous faisons de la situation actuelle", a-t-il déclaré, soulignant "partout, dans chaque pays, des efforts sans précédent pour maîtriser les dépenses publiques, des règles communes assurant enfin pour l'avenir une union économique et budgétaire qui doit aller avec l'union monétaire, enfin un engagement déterminé de la Banque centrale européenne" pour soutenir la stabilité financière de la zone euro.
Olli Rehn, le commissaire en charge des Affaires économiques et de l’euro, avait réagi le premier dès l’annonce de S&P, donnant le ton en disant "regretter la décision aberrante" de S&P.
"Les agences de notation jouent leur rôle, mais d'une manière très curieuse, car elles ont tendance à nous entraîner vers une spirale négative par leur attitude, leur tempo", a observé le Premier ministre belge Elio Di Rupo dans une interview à la télévision RTL-TVI.
Quant à la chancelière allemande, Angela Merkel, elle n’a pas manqué de souligner non seulement qu’un AA+ n’était pas vraiment une mauvaise notation, mais aussi que la dégradation de neuf pays n’était la décision que "d'une agence parmi trois". On peut en effet souligner que le 16 janvier 2012, l'agence de notation Moody's a maintenu le triple A de la France, confirmant aussi son examen de la perspective du pays, actuellement "stable".
Il reste "encore un long chemin" à la zone euro pour regagner "la confiance des investisseurs", a concédé Angela Merkel. "Il est cependant aussi visible que nous sommes engagés de façon décidée sur ce chemin d'une monnaie stable, de finances solides et d'une croissance durable", a-t-elle toutefois affirmé, rejointe en cela par Wolfgang Schäuble qui a souligné que "nous sommes ensemble sur la bonne voie".
Pour William Hague, le chef de la diplomatie britannique, l’annonce de la dégradation de neuf pays de la zone euro "souligne l'importance de ce que nous faisons au Royaume-Uni". La nouvelle est "grave" selon lui et démontre que "l'eurozone n'est pas au bout de ses problèmes". "Cela signifie plus d'accords de libre-échange avec le reste du monde, cela passe par la promotion du marché unique, cela signifie arrêter d'adopter des régulations qui rendent la vie plus compliquée pour les entreprises", a-t-il expliqué, insistant sur la nécessité de ne "plus perdre de temps avec des directives bureaucratiques". "L'accent doit être mis sur le libre-échange. C'est ce que doit faire l'Europe pour avancer", plaide William Hague.