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Agriculture, Viticulture et Développement rural - Énergie - Environnement
Agrocarburants - Le secteur agricole fourbit ses arguments contre les propositions de la Commission européenne
19-10-2012


Le 17 octobre 2012, la Commission européenne a mis sur la table une proposition visant à restreindre la conversion de terres en cultures destinées à la production d'agrocarburants et à accroître les effets bénéfiques pour le climat des biocarburants utilisés dans l'Union européenne. L'utilisation d'agrocarburants produits à partir de denrées alimentaires pour atteindre l'objectif de 10 % d'énergies renouvelables fixé par la directive sur les énergies renouvelables sera limitée à 5 %, propose ainsi la Commission.De Letzeburger Bauer, organe hebdomadaire de la Centrale Paysanne Luxembourgeoise

Dans son édition datée du 19 octobre 2012, le Lëtzeburger Bauer, l’organe de la Centrale paysanne, critique avec virulence cette proposition contre laquelle le syndicat Copa-Cogeca a tenté de lutter en amont jusqu’à la dernière minute, comme en témoignent deux lettres datées du 11 et 16 octobre 2012 adressées à la Commission européenne pour s’opposer au projet. L’article du Lëtzeburger Bauer fait référence aux arguments avancés par le Copa-Cogeca et les principaux représentants du secteur des agrocarburants. Un article qui est un appel au Parlement européen et au Conseil des ministres à revoir les propositions de la Commission.  

L’étude de l’IFPRI sur laquelle se base la Commission pour limiter l’impact des agrocarburants en termes de changement d’affectation des sols est contestée

Premier argument mis en avant par la Centrale paysanne luxembourgeoise, le fait que l’étude sur laquelle la Commission base sa proposition, réalisée par l'Institut international de recherche sur les politiques alimentaires (IFPRI), est très contestée. La problématique de ces travaux est de mesurer l’impact de la production des agrocarburants de première génération en termes de changement d’affectation des sols et d’émissions de gaz à effet de serre. Or, nombre de voix s’élèvent pour souligner des erreurs de données critiques et d’importants problèmes méthodologiques dans ce rapport qui n’a, souligne encore le Copa-Cogeca, pas fait l'objet d'une évaluation par les pairs. Le syndicat juge "absolument inadmissible" que ce rapport serve de référence pour introduire des facteurs ILUC, qui mesurent l’impact de la production d'agrocarburants en termes de changement d’affectation des sols (CASI en français).

Un revirement politique "totalement irresponsable" qui menace l’investissement dans la bio-économie, dénoncent le Copa-Cogeca et la Centrale paysanne

Le Copa-Cogeca avait dénoncé de la part de la Commission un "revirement totalement irresponsable qui menacerait l'approvisionnement en aliments pour animaux, l'emploi et la croissance verte dans les zones rurales de l'UE". Sans compter le préjudice que ce changement d’orientation politique porterait à la crédibilité de la copa-cogecaCommission.

A l’échelle de l’UE, ce sont des milliards qui ont été investis dans la production de biocarburants, et des dizaines de milliers d’emplois qui ont été créés, rappelle la Centrale paysanne en se faisant l’écho des arguments du Copa-Cogeca qui chiffre ces investissements à  hauteur de 14 milliards d'euros et évalue l’emploi direct du secteur à quelque 100 000 citoyens européens.

Or, la proposition de la Commission reviendrait selon les représentants agricoles à limiter aux installations existantes la production d'agrocarburant et d’éthanol et à mettre une fin brutale à tous les plans de croissance de la branche. La Centrale paysanne souligne que les pays qui ont déjà prévu des investissements pour aller au-delà des 5 % d’ici 2020 en seraient particulièrement affectés.

Pour les principaux représentants du secteur européen des agrocarburants, ce changement majeur dans la politique européenne en matière d'agrocarburants entraînera une perte de confiance importante dans les décisions politiques de l'UE et menacera les futurs investissements dans le secteur des agrocarburants et dans la bioéconomie en général. "Sans cadre politique stable, il n'y aura pas d'investissements dans les biocarburants avancés en Europe", ont-ils mis en garde. Ils soulignent également que les effets combinés des projets de la Commission empêcheront l'UE d'atteindre ses objectifs fixés à l'horizon 2020, notamment ceux de la Directive sur la qualité des carburants.

La production d'agrocarburants permet de réduire la dépendance de l’UE en importations de protéines utilisées dans l’alimentation animale

Le Lëtzeburger Bauer s’inquiète aussi des conséquences graves que ce texte aurait sur l’agriculture, notamment pour les cultivateurs de soja et de betterave sucrière qui seraient contraints de se restructurer fondamentalement.

La surface de culture du soja est passée depuis 2000 de 2 millions à 6,7 millions d’hectares dans l’UE grâce à la production d'agrocarburants, rappelle l’organe de la Centrale paysanne, soulignant que cela a permis d’augmenter la production de protéines nécessaires à l’alimentation animale, réduisant d’autant la forte dépendance de l’UE aux importations de telles protéines. En effet, seule une partie des cultures d'oléagineux, de céréales et de betteraves sucrières utilisées pour produire des agrocarburants est réellement convertie en énergie. La majorité des coproduits à haute teneur en protéines qui sont issus de la production d'agrocarburants reste dans le secteur de l'alimentation animale.

La Centrale paysanne rapporte ainsi que le soja cultivé pour produire du biodiesel a permis de réduire de près de 3 millions de tonnes les importations de soja de l’Allemagne, ce qui correspond au soja produit sur une surface de 1,4 millions d’hectares en Amérique du Sud. Et le syndicat agricole luxembourgeois souligne aussi que la production d'agrocarburants se fait de façon bien plus durable dans l’UE.

Résultat, juge la Centrale paysanne, la production d'agrocarburants dans l’UE réduit la pression sur les terres agricoles dans le reste du monde et contribue même à lutter contre le déboisement des forêts tropicales en vue de la mise en culture de ces terres.

Un appel au Parlement européen et au Conseil des ministres à revoir les propositions de la Commission

Le Lëtzeburger Bauer dément aussi l’argument selon lequel la production d'agrocarburants menacerait la sécurité alimentaire en faisant pression sur les prix alimentaires. A l’échelle de l’UE, seules 5 % des surfaces agricoles sont utilisées pour produire des agrocarburants et il n’est pas juste de chercher les raisons de la fin dans le monde et de la hausse des prix alimentaires en Europe.

Quant aux facteurs iLUC, dont le Lëtzeburger Bauer est bien conscient qu’ils continueront de faire la controverse, la Centrale paysanne appelle à prendre de la hauteur de vue. Car le changement d’affectation des sols n’est pas lié qu’à la production d'agrocarburants, mais il est aussi le fruit de l’agriculture extensive, l’augmentation du nombre de surfaces imperméables ou encore les jachères écologiques, est-il expliqué.

Dernier argument avancé dans l’organe de la Centrale paysanne, quand bien même l’Europe ferait le choix d’une politique aussi restrictive, d’autres pays continueront de produire des agrocarburants, quel que soit l’impact en termes de changement d’affectation des sols. 87 % de la production de bioéthanol venait des Etats-Unis et du Brésil en 2008, et, souligne encore le Lëtzburger Bauer, nombre d’experts prévoient que la croissance sera particulièrement forte en Chine et en Inde dans les années à venir.

Pour le Lëtzeburger Bauer, les propositions de la Commission reviendraient à faire faire à l’UE un grand pas en arrière qui aurait des effets négatifs non seulement sur l’économie européenne, mais aussi sur la dépendance en matière d’importations de protéine et d’énergie. Car, comme l’affirme Pekka Pesonen, secrétaire général du Copa-Cogeca, "les biocarburants offrent de nombreux avantages en termes de réduction des émissions de gaz à effet de serre et de la dépendance énergétique ainsi que d'emploi dans les zones rurales européennes".