Dans une interview accordée à l'hebdomadaire d'Lëtzebuerger Land, parue dans son édition du 19 octobre 2012, le ministre luxembourgeois de l'Economie, Etienne Schneider, revient sur la situation incertaine de l'industrie européenne et sur les moyens de la relancer, débat qui prend de semaine en semaine une importance toujours plus grande suite aux vagues successives de fermetures d'usines et de délocalisations.
Face à cette situation, le 10 octobre 2012, la Commission européenne a lancé un ensemble de documents de travail esquissant les moyens de réindustrialiser l'Union européenne. Le 11 octobre 2012, lors du Conseil Compétitivité, sept Etats membres, dont le Luxembourg, ont remis un courrier défendant la nécessité d'aider, sinon de protéger l'industrie européenne.
"La société de la connaissance, les technologies de l'information, et tout ce qui en dépend, c'est bien beau, mais une économie n'a pas d'avenir – et tous les ministres de l'Economie sont là-dessus d'accord – sans industrie", explique ainsi le ministre de l'Economie, Etienne Schneider, au début de l'interview.
Le ministre détecte plusieurs lacunes à l'origine des difficultés traversées par l'industrie européenne aux prises avec le processus de globalisation. "A travers les marchés mondiaux ouverts, les perspectives d'avenir pour l'industrie européenne en général, et l'industrie luxembourgeoise en particulier, diminuent. Il a suffi pour cela que la pression sur les marges de différents produits ait dramatiquement progressé, ou autrement dit, que les marges sur les produits industriels banals aient beaucoup baissé."
Or, une des lacunes de la lutte contre la désindustrialisation résiderait dans les règles strictes de limitation des subventions initiées par la Commission européenne, incapables par ailleurs de mettre fin à la concurrence sur ce point entre Etats membres de l'UE. Etienne Schneider donne l'exemple local de l'entreprise Luxguard à Dudelange. La direction a demandé une réduction des salaires de 20 à 30 % afin de réparer le four de l'usine, opération nécessaire au maintien de la viabilité économique du site. Le Luxembourg ne pourrait subventionner qu'à hauteur de 8 % la construction de ce nouveau four alors que sa construction sur le site est-allemand de la société-mère de Luxguard donne droit à des aides à hauteur de 30 % du montant. "Combien de temps pouvons-nous encore nous permettre de nous faire concurrence à l'intérieur de l'Europe à travers la politique de subventions?", questionne le ministre. "Quel sens cela a-t-il si la fermeture d'une usine en Europe est portée par de l'argent public, pour qu'à un autre endroit, l'ouverture d'une usine soit subventionnée avec des aides ?"
Le second problème, mentionné dans la lettre transmise par sept pays, concerne la concurrence déséquilibrée entre Etats membres et pays situés hors de l'Union européenne. Ainsi, Etienne Schneider souligne que ces dernières années, en Europe, on a imposé de nombreuses obligations aux entreprises, avant tout dans les domaines social et écologique. Pour, certes, poursuivre l'objectif noble d'une "société meilleure et plus propre", "mais quand les entreprises sont livrées à une concurrence mondiale, et qu'on a le droit d'importer les mêmes produits, fabriqués dans des conditions totalement différentes, nous sommes confrontés à un problème gigantesque", fait-il remarquer.
A ce mal, il y a selon Etienne Schneider deux remèdes : "Soit nous abolissons les obligations pesant sur les entreprises, pour les rendre plus compétitives (…). Ou alors nous établissons des exigences minimales pour les biens importés en Europe. Cela signifierait que qui veut importer librement dans l'UE doit remplir certains standards écologiques et sociaux. Qui, au contraire, ne les remplit pas, doit payer une taxe d'introduction."
Etienne Schneider se défend de tout protectionnisme : "Je ne suis vraiment pas en faveur du protectionnisme", clame-t-il. "Mais nous ne pouvons pas simplement regarder comment tout est mis à terre." Les entreprises qui disparaissent ne reviendraient plus : "Ce savoir-faire est définitivement perdu."
Etienne Schneider explique que la Commission ne s'est pas encore positionnée sur la lettre envoyée par les sept pays. Mais il confie qu'il y a par contre deux écoles de pensée parmi les Etats membres. D'un côté, il y a les grandes nations exportatrices, la Grande-Bretagne, l'Allemagne (elle-même signataire de la lettre), qui ne veulent pas de barrières commerciales car ils craignent, en retour, des "contre-mesures". Etienne Schneider doute de la réalité de la menace et de la logique d'un tel raisonnement en citant le cas des USA qui ont introduit des droits d'importation sur les modules solaires, bien qu'ils "prêchent, comme aucun autre ailleurs, le libre échange".
Etienne Schneider concède toutefois qu'un accord sur ces questions est quasi impossible et explique que le salut pourrait passer par une nouvelle dérégulation, selon un processus consistant à dire : "Si ce n'est pas ce chemin que nous pouvons prendre, alors trouvons un accord sur un démantèlement de la régulation." "Alors, tous seront finalement sur le même bateau, d'accord pour réduire la régulation au minimum", promet-il.
Amené à préciser sa pensée par la journaliste Michèle Sinner, le ministre luxembourgeois livre le fond de sa démarche : "Je ne suis moi-même pas pour plus de protectionnisme, car je crois que ces temps sont révolus. Mais comme ministre d'un petit pays, je me dis que je peux provoquer un peu. On doit mettre cette situation devant les yeux des gens, pour que, au moins, cela débouche sur une avancée à un autre niveau, en l'occurrence dans ce cas, celui de la régulation."
Interrogé sur les déclarations d'un ancien CEO d'ArcelorMittal considérant qu'il faudrait un plan européen de réduction des surcapacités dans l'industrie sidérurgique si cette dernière ne retrouvait son allant d'hier, le ministre de l'Economie s'oppose à cette option, qu'il soupçonne d'être un moyen de laisser le soin à la Commission de supprimer les emplois. "Si Florange ou Liège ferment, Lakshmi Mittal le décide lui-même. Il s'occupe uniquement d'augmenter sa rentabilité, non pas de répartir équitablement les charges entre la France, la Belgique et l'Espagne."
Evoquant les sites de Rodange et Schifflange menacés de fermeture, Etienne Schneider explique qu'une expertise ministérielle d'un projet syndical devrait bientôt conclure à la possibilité de maintenir les deux sites mais considère que la viabilité du site n'est pas le questionnement prioritaire. Au contraire, "le problème, ce sont les surcapacités sur le marché". "La stratégie d'ArcelorMittal n'était pas de tout faire pour maintenir cette usine en vie mais de réduire des surcapacités." Et là, c'est le propriétaire qui décide tout, comme il décide des investissements.
Les moyens d'intervenir sur le sort des usines est mince. Dans un premier scénario, ArcelorMittal ne veut plus investir et il n'y a rien à faire. Dans le deuxième, les syndicats demandent le rachat de ces usines. Mais là aussi ArcelorMittal peut rétorquer qu'il préfère que l'entreprise soit démontée car il veut éliminer des surcapacités. Or, "il n'y a pas au Luxembourg de procédure d'expropriation". La troisième option, un rachat par l'Etat, n'est pas envisageable. "Je ne peux pas, en tant que ministre de l'Economie, jouer les barons de l'industrie. (…) Nous ne sommes pas à un moment où l'Etat peut acheter toute entreprise en difficulté."
Etienne Schneider déclare ainsi n'avoir "aucune influence" sur la disparition de l'industrie "De quels moyens disposé-je ?", s'interroge-t-il, soulignant dans la foulée, pour "ne pas être dépressif" - "Nous n'aurons plus jamais de croissance, si nous ne diffusions que la mauvaise humeur", dit-il -, les promesses des nouveaux domaines d'activité telles que "les technologies du vivant, de la santé, de l'environnement et de l'information, dans lesquels "les perspectives sont très bonnes et où il y a des projets." "Les entreprises industrielles, qui peuvent dans le futur fonctionner ici, sont celles qui créent une haute valeur ajoutée."