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Recherche et société de l'information - Télécommunications
Avant de prendre de la présidence de l'Agence spatiale européenne, le Luxembourg fait le point sur sa politique spatiale et piste l'orientation qu'elle devra prendre dans le futur
05-11-2012


François Biltgen et Rachel Villain (Euroconsult)La coprésidence de l'Agence spatiale européenne (ESA), que le Luxembourg endossera avec la Suisse à l'issue de la conférence de Naples, le 21 novembre 2012, constituera un jalon dans la politique spatiale du pays. Non seulement parce que cette nouvelle responsabilité, vue par le ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, François Biltgen, comme une reconnaissance des efforts luxembourgeois dans le secteur de l'espace, augmentera sa visibilité mais aussi parce que le gouvernement a choisi cette occasion pour faire le bilan de sa politique et choisir la direction que le secteur devra prendre à l'avenir pour participer au développement économique du pays. Pour dresser cet état des lieux, le ministère a fait le choix de faire appel à une expertise externe.

Ainsi, le 5 novembre 2012, le bureau d'études Euroconsult a remis son rapport au ministre François Biltgen. Ce dernier est le fruit d'entretiens avec les vingt entreprises actives dans le secteur, les sept unités de recherche (des Centres de recherche publics Gabriel-Lippmann et Henri-Tudor et de l'Université du Luxembourg) et les départements ministériels et institutions gouvernementales (telles Space Cluster).

Euroconsult y constate d'abord le caractère atypique du développement du secteur national. Pour cause, celui-ci n'a pas eu pour "substrat", selon les mots de Rachel Villain, directrice Espace d'Euroconsult, l'industrie de la défense, mais la création en 1985, à des fins d'abord télévisuelles, de la Société européenne des satellites (SES). Son adhésion à l'Agence spatiale européenne, et en cela le développement d'une recherche publique, n'est intervenue que vingt ans après cette date (et six ans après un premier accord de coopération signé en 1999 avec l'ESA).

Cette adhésion tardive explique pourquoi aujourd'hui, le chiffre d'affaires de SES (1,70 milliard d'euros), devenu entre temps deuxième opérateur de satellites au monde, représente toujours 96 % de la richesse nationale créée dans le secteur et 75 % de l'emploi (620 postes actuellement). Toutefois, la domination du mastodonte mondial cache la dynamique qui anime le secteur depuis 2005.

En participant dès 1999 au programme ARTES (Recherches avancées dans les systèmes de télécommunication) puis aux autres programmes de l'Agence spatiale européenne dans le sillage de son adhésion, soit 74,5 millions injectés entre 2005 et 2011, dont 40 millions placés dans la recherche et le développement par l'industrie nationale et la recherche publique, le Luxembourg a pu développer à côté de SES un secteur qui pèse désormais 65 millions d'euros et emploie 120 salariés.

Le point sur le plan national de 2005

En 2005, le Luxembourg avait réalisé son premier plan de développement spatial, poursuivant quatre objectifs : contribuer à l’effort de diversification et de pérennisation des activités économiques ; consolider et mettre en valeur les compétences existantes dans le domaine des médias et communications électroniques ; renforcer la position compétitive des entreprises et organismes de recherche luxembourgeois dans le secteur spatial et développer les compétences dans le secteur ; amplifier l’intégration des acteurs nationaux dans les réseaux internationaux.

Euroconsult remarque que le pays a atteint deux de ces objectifs. Les succès en termes de compétences internationales sont notamment illustrés par le site emergency.lu, qui met à disposition des services de secours du monde entier les moyens de télécommunication qui peuvent leur faire défaut en période de crise. Pour ce qui est du développement d'acteurs nationaux et de l'attraction de nouvelles activités, la plus belle réussite, enregistrée en 2005,  tient à l'implantation de Luxspace, filiale de la société allemande OHB. Cette société a déjà lancé deux microsatellites, utiles entre autres pour l'observation de la Terre et la science, et est active dans la technique dite des satellites AIS utiles pour l'identification et le contrôle des navires. Cette réussite éclaire aussi la coopération "excellente" avec l'Allemagne. "Les acteurs locaux tirent parti de la force de leurs partenaires", explique Rachel Villain.

Par contre, en termes de développement des compétences nationales et de visibilité du secteur, la politique poursuivie a eu un impact moindre. Le ministre, François Biltgen, a dans ce contexte fait part de l'intention d'investir à un programme de formation de l'ESA à directeur des étudiants diplômés, qui a le double avantage de leur apporter des connaissances et de leur faire connaître les rouages de l'Agence.

Quatre domaines à développer

Euroconsult est d'avis que le Luxembourg, dans sa politique spatiale, a tout intérêt à ne pas disperser ses efforts, à " rester sélectif". Le ministre acquiesce en déclarant qu'il "ne faut pas saupoudrer" et qu'il est nécessaire de prendre en compte les retours sur investissements. Pour l'heure, 92 % des 74,5 millions investis de 2005 à 2011 sont revenus en termes de contrats auprès des entreprises.

Le bureau d'études a identifié quatre domaines dans lesquels il a une véritable chance de se placer, en s'appuyant sur les compétences acquises et en en acquérant de nouvelles. Les restrictions budgétaires de pays concurrents pourraient d'ailleurs lui faciliter la tâche. "C'est le moment pour le Luxembourg de construire un consensus national sur un plan de développement spatial. (…) Il y a des choix à faire pour optimiser le potentiel économique", a déclaré Rachel Villain.

La concentration sur ces quatre domaines serait "un effort de développement à la fois ambitieux dans son intention stratégique et réaliste dans son application". Ceux-ci font appel à dix domaines de compétences. Le Luxembourg est déjà présent dans huit d'entre eux.

Le premier domaine, celui de la propulsion électrique, est un de ceux dans lequel l'industrie nationale n'a pas encore de compétence, bien qu'elle en ait une dans la construction de structures en composite. Cette activité permet de mettre ou de maintenir en orbite des satellites et offre un "potentiel commercial important". Cette nouvelle technique, qui peut réduire considérablement les frais de lancement, est notamment intéressante pour les satellites géostationnaires. Le ministre François Biltgen a d'ailleurs confié que SES était déjà intéressé à la recherche et au développement de cette technique.

Un deuxième domaine est celui des microsatellites, notamment utilisés pour l'observation du trafic maritime. L'enjeu est de développer à la fois de nouvelles charges utiles sur les plates-formes de satellites et de développer des plates-formes plus sophistiquées, de nouvelle génération.

Le troisième domaine relève des équipements au sol. Le rapport conseille d'investir dans les antennes au sol qui permettent d'utiliser la gamme de fréquences dite Bande Ka. Les gouvernements européens y auraient de plus en plus recours pour communiquer, observer la Terre et mener des missions météorologiques.

Enfin, Euroconsult conseille le développement de services associés à l'utilisation de la communication à large bande et des données satellitaires, à l'image de Géoville qui permet l'exploitation de données spatiales. En ce qui concerne les services, le ministre confie que "nous attendons de pied ferme Galileo (LIEN)" et souligne que des applications pourraient également servir pour la Place financière. Il rappelle d'ailleurs que les premières antennes Galileo furent construites au Luxembourg.

L'atout de la présidence

IMG_2438La présidence de l'ESA devrait permettre de "renforcer la visibilité du programme spatial gouvernemental à l'extérieur du pays, en utilisant toutes les possibilités de promotion, augmenter la coopération internationale", comme le rapport le recommande.

Mais le coprésident sera aussi confronté à d'autres enjeux. Le développement des quatre secteurs recommandé par Euroconsult devrait notamment le conduire à œuvrer au sein de l'ESA pour le développement des missions dites Third Party, pour un investissement dans le programme ARTES 21 SAT-AIS qui fournit des données dites AIS qui servent à la surveillance maritime.

Dans le cadre de sa coprésidence avec la Suisse, le Luxembourg aura notamment en charge d'apaiser et clarifier les relations entre l'ESA qui regroupe dix-huit Etats membres  et l'Union européenne. Il peut en cela se reposer sur son expérience acquise durant la présidence de l'UE en 2005, par l'organisation du 2e Conseil Espace, lequel avait pris une résolution à ce sujet. Toutefois, entretemps, le traité de Lisbonne a attribué à l'UE une compétence partagée avec les Etats membres en matière aérospatiale. 

François Biltgen espère par ailleurs que la question du budget de l'ESA sera déjà réglée à Naples. D'ici là, le gouvernement devra d'ailleurs décider du niveau de son engagement financier pour les trois ans à venir. 16,9 millions d'euros (contre 15 en 2011) sont déjà inscrits au budget 2013, pour financer les programmes de l'ESA.

François Biltgen défend également l'idée de réunir plus souvent des membres de l'ESA, au moins une fois tous les trois semestres contre une fois tous les trois ans aujourd'hui. Ceci rendrait d'ailleurs possible la tenue d'une conférence à Luxembourg au début de l'année 2014, alors que le cadre budgétaire européen sera fixé et que les élections européennes s'annonceront.

La nécessité de renforcer les effectifs ministériels

Une des raisons qui ont poussé le directeur de l'ESA à demander au Luxembourg de présenter sa candidature à la présidence est son activisme en faveur du développement de l'ESA. François Biltgen a déjà fait savoir qu'il défendait le maintien des prérogatives de l'ESA, plutôt que sa reconversion en support de la politique européenne. Ce statu quo serait en effet pertinent pour les petits pays qui peuvent s'en servir comme agence spatiale (seuls six pays membres disposent d'une telle agence).

Euroconsult recommande néanmoins au gouvernement de créer un bureau des affaires spatiales qui aurait "un rôle de représentation, décisionnel, de management et un budget opérationnel". Ce serait une "reconnaissance politique de cette volonté de développer l'activité spatiale". François Biltgen a d'ores et déjà déclaré que sa priorité concernait le budget tout en reconnaissant qu'il "faudra se doter d'une structure plus forte", d'une dizaine de personnes.

Selon Euroconsult, le groupe de travail actuel devrait pour sa part être transformé en comité spatial. Il aurait un rôle de conseil au gouvernement et intègrerait tous les types d'acteur représentés. Il serait présidé par le Ministère.

Le ministre, François Biltgen, devrait faire part de l'avis du gouvernement sur l'ensemble de ces propositions et son engagement budgétaire à la fin du mois de novembre 2012, dans sa nouvelle fonction de coprésident de l'ESA.