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Agriculture, Viticulture et Développement rural - Environnement
Directive-cadre sur l'eau : écologistes, pêcheurs et gestionnaires des services d'eau demandent une action plus énergique de l'Etat pour atteindre les objectifs européens
24-01-2013


© natur&ëmweltEn 2000, la directive-cadre européenne sur l'eau établissait le cadre d'une politique communautaire sur l'eau et imposait aux Etats membres des objectifs environnementaux visant à remettre les eaux de surface et eaux souterraines dans un "bon état écologique" pour 2015, puis de supprimer d’ici à 2021 tout rejet de "substances prioritaires dangereuses".

Dix ans après l'entrée en vigueur de la directive-cadre, l'association écologiste natur&ëmwelt, et ses deux partenaires, l'Association Luxembourgeoise des Services d’Eau (ALUSEAU) et la Fédération Luxembourgeoise des Pêcheurs Sportifs (FPLS), ont organisé, le 24 janvier 2013, une conférence de presse pour tirer le bilan de l'action nationale pour la protection de la qualité des eaux. Or, il s'avère très mitigé…

L'application de la directive aura nécessité un long travail de préparation. Elle impliquait en effet un minutieux travail d'identification des eaux et de leurs caractéristiques, par bassin et district hydrographiques. Il fallait notamment étudier l'incidence de l'activité humaine sur les eaux, procéder à une analyse économique de leur utilisation, dresser un registre de zones nécessitant une protection spéciale et encore faire le recensement de toutes les masses d'eau utilisées pour la consommation humaine.

Ce n'est que par la loi du 19 décembre 2008 que fut transposée la directive-cadre sur l'eau et put ainsi être mis en place le cadre nécessaire à la réalisation de "plans de gestion" et de "programmes de mesures" prévus par la directive-cadre. Le programme de mesures est finalement entré en vigueur en 2012.

Une "grande discordance entre la pratique et la théorie"

Les trois associations reconnaissent que la transposition de la directive-cadre sur l'eau fut "un pas important" dans le domaine de la protection de l'eau. Elle a occasionné "un changement de pensée dans le rapport aux eaux et aux zones humides". Mais, elles soulignent toutefois une "grande discordance entre la pratique et la théorie".

Il n'y aurait pour s'en convaincre qu'à parcourir les chiffres publiés en 2009 par l'Administration de la gestion de l'eau, lesquels révélaient que seules 7 % des masses d'eau de surface étaient, "chimiquement et écologiquement", dans un état satisfaisant, 54 % dans un état moyen, 27 % dans un état insatisfaisant et 12 % dans un mauvais état.

Natur&ëmwelt explique que le manque de stations d'épuration et l'obsolescence de certaines déjà existantes sont responsables d'expositions "ponctuelles" à la pollution, en raison de l'apport en nutriments charriés par le déversement d'eaux résiduaires pas ou insuffisamment filtrés.

Il y a ensuite les pollutions "diffuses". Ainsi, près de 40 % des eaux de surface sont "assez fortement à très hautement polluées" par le nitrate et le phosphate ainsi que des sédiments fins. Ces pollutions proviennent majoritairement de l'agriculture et de l'élevage intensifs, du recours aux engrais, mais aussi à l'érosion des terrains.

Ainsi, bien qu'elles comptent parmi les eaux bien classées du Luxembourg, l'Our présentait en 2012 des valeurs de nitrates encore largement au-dessus du taux maximal pour que des "espèces sensibles", comme la moule perlière d'eau douce, puissent y vivre.

La directive-cadre sur l'eau implique aussi l'étude de l'état hydromorphologique des cours d'eau, à savoir les conditions qui permettent à un cours d'eau de faire plein usage de ses capacités naturelles d'auto-régénération. Sous cet aspect, 60 % des cours d'eau du pays sont dans un état bon à très bon, mais 40 % dans un état moyen voire mauvais.

Pour ce qui est des nappes phréatiques, l'analyse des trois associations révèle que les masses d'eaux souterraines du Lias inférieur (grès luxembourgeois) et du Trias (grès bigarré et Muschelkalk) sont dans un mauvais état chimique. Ils sont avant tout pollués par les produits phytosanitaires, les nitrates et les micropolluants, tels que les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) et PCB, et des métaux lourds.

Les conditions de vie dégradées des poissons

La FPLS n'est pas plus rassurée de l'état de la population des poissons. En raison de leurs besoins très variés, les poissons sont de bons indicateurs de l'état des eaux. Ils réagissent aux pollutions chimiques mais aussi à un grand nombre d'autres facteurs qui influencent leur cadre de vie. On compte parmi ces facteurs l'introduction d'espèces allogènes. Or, un relevé de 2005 a révélé l'existence de 48 espèces de poissons dans les cours d'eau : aux 33 espèces de poisson autochtones s'ajoutaient quinze autres nouvellement implantées.

Les nombreux usages des cours d'eau constituent pour l'écosystème et les poissons un "grand problème", poursuit la FPLS. Les eaux de surface n'offriraient souvent plus les conditions de vie suffisante aux poissons. Qu'il y manquent les substrats de graviers dans lesquels les poissons peuvent frayer, des eaux peu profondes abritant des plantes aquatiques favorables à la reproduction, une teneur suffisante en oxygène ou encore une végétation ripicole suffisante et adaptée.

A ces problèmes s'ajoutent le fait que les poissons sont sensibles à la pollution par les polychlorobiphényles (PCB) et qu'à cause de cette dernière, "il est souvent déconseillé de les manger".

Les recommandations des trois associations

Au vu du tableau ainsi dressé, les associations pensent que le gouvernement ne pourra pas atteindre les objectifs fixés par la directive-cadre sur l'eau pour 2015. Le Luxembourg devra, comme certains de ses voisins, demander un allongement des délais. Il pourrait atteindre ses objectifs au plus tôt en 2021,  mais la date de 2027 est "plus crédible", selon elles. "Pour atteindre le but en 2015, il faut agir rapidement. Avec la vitesse actuelle, il paraît plutôt invraisemblable de l'atteindre", a en effet déclaré Jean-Marie Ries, vice-président de l'Aluseau.

Les associations ont développé une longue énumération des causes qui ont mené à la  situation actuelle. Pour accélérer la cadence gouvernementale, il faudra, disent-ils, remédier aux lenteurs administratives en accélérant les procédures d'autorisation pour l'amélioration des stations d'épuration, mais aussi introduire une procédure simplifiée pour le subventionnement par les fonds sur l'eau. Les associations déplorent également qu'il n'existe toujours pas de registre des zones nécessitant une protection spéciale, comme la directive-cadre le prévoit. 

© natur&ëmweltElles mettent ensuite en avant la nécessité de maintenir, sinon restituer, les structures aquatiques, indispensables pour pouvoir profiter des capacités auto-régénérantes des eaux courantes. "A travers la concurrence des espaces, les eaux sont repoussées dans un corset étroit, il y a trop peu d'espaces pour le processus naturel hydromorphologique", disaient-elles. Ainsi, il faudrait multiplier les projets de renaturation des cours d'eau, dont le nombre actuel est jugé insuffisant, il faudrait racheter des terrains pour favoriser notamment le développement de méandres, de rétentions naturelles et parer à le menace que le béton fait porter sur l'eau. L'existence de rives naturelles le long des cours d'eau devrait être obligatoire. Pour cette vaste entreprise de restitution des bassins aquatiques, les écologistes considèrent que l'Etat devra davantage coopérer avec les syndicats communaux pour réaliser cette tâche.

En termes de qualité de l'eau, il y a un "besoin de remise à niveau" dans le processus de purification des eaux résiduaires. Ceci implique l'agrandissement rapide des stations d'épurations qui ne sont "pas adaptées au développement de la population", la modernisation des stations vétustes et la création, sans hésiter à recourir à de petites unités si besoin, de nouvelles installations décentralisées. Les eaux de pluie seraient par ailleurs insuffisamment traitées.

Ensuite, les associations n'oublient pas de rappeler qu'il faut agir à tous les niveaux de la société, pour ce qui y est par exemple de l'usage des pesticides. Communes, Etat, CFL et  privés sont cités comme entités devant être conduites à y renoncer. Il conviendrait également de revoir les méthodes agricoles. Le problème réside dans le fait que l'agriculture est intensive, incluant l'ajout de nombreux nutriments et l'emploi de pesticides. Le remède passerait par l'observation du "programme de développement rural", favorable à la promotion d'une exploitation extensive des terres et de l'agriculture biologique.

Enfin, les associations écologiques déplorent le manque de conscience de l'importance de la protection de l'eau dans la population. Elles notent à ce sujet que la discussion publique se concentre uniquement sur le prix de l'eau et estiment que la sensibilisation de la population sur la valeur de l'eau, par l'entremise, par exemple, du soutien des partenariats fluviaux, pourrait permettre de redonner de la profondeur au débat.