Le 21 février 2013, les eurodéputés de la commission en charge du Marché intérieur se sont prononcés pour l’ouverture des négociations interinstitutionnelles avec la présidence irlandaise afin de parvenir à un accord en première lecture concernant deux textes du paquet dit "Marchés publics", à savoir la révision de la directive "marchés dans les services d’utilité publique" et la directive "concessions". La commission IMCO s'était prononcée sur ces deux textes le 24 janvier dernier.
La discussion a été vive quant au mandat à donner aux négociateurs sur ce texte qui ne cesse de faire débat. Ainsi, il fait notamment l’objet d’une pétition lancée en Allemagne, en Autriche et en Slovénie en raison des risques que ce texte n’aboutisse à une privatisation de l’eau. Le débat est d’ailleurs vif au Luxembourg aussi, où l’eurodéputé Claude Turmes (Verts/ALE), l’échevin de la ville de Luxembourg François Bausch (Déi Gréng) ou encore le parti Déi Lénk ont d’ores et déjà attiré l’attention de la presse et du public sur leurs préoccupations liées à ce projet de directive.
S’il se montre très critique à l’égard des détracteurs de ce projet de directive, dont il accuse certains de "manipuler clairement l’opinion pour créer des polémiques en vue des élections nationales", Philippe Juvin (PPE), qui est rapporteur sur ce texte, semble cependant avoir entendu les inquiétudes de ceux "qui craignent vraiment que la directive ne mène à la privatisation de services publics".
"En tant que rapporteur de la directive au Parlement, et en accord avec le Commissaire Barnier, je vais donc proposer que le texte de la loi affirme solennellement dans son premier article que cette directive ne demande la privatisation d'aucune activité publique, et particulièrement celle de l'eau. Ainsi rédigée, cette affirmation aura force de loi et devrait rassurer ceux qui sont de bonne foi", a en effet assuré Philippe Juvin le 21 février.
De son côté, le commissaire en charge du Marché intérieur, Michel Barnier, est venu expliquer aux eurodéputés, dans le cadre du dialogue structuré, sa position sur ce dossier.
Pour Michel Barnier, la directive concessions "présente un grand potentiel", car "les autorités publiques en ont besoin pour être juridiquement sûres dans leurs choix des concessionnaires, car les entreprises en ont besoin pour ne plus être discriminées et enfin parce que les citoyens en ont besoin pour obtenir des services essentiels au meilleur rapport qualité-prix".
Toutefois, le commissaire a souhaité se montrer "attentif au débat public sur le sujet, et aux malentendus qui sont en train de gagner du terrain".
Dans un premier temps, Michel Barnier a réitéré ce qu’il a déjà maintes fois assuré, à savoir que "la Commission ne cherche en aucune façon à privatiser la gestion de l'eau – ni aujourd'hui, ni demain. Et cette directive n’a pas pour but, et n’aura pas pour effet une privatisation forcée des services d’eau potable". Souhaitant démentir les informations qui circulent allant dans ce sens, Michel Barnier a rappelé que le texte "reconnaît clairement la liberté des Etats membres et l'autonomie des collectivités locales en la matière", ce qui est d’ailleurs garanti par les traités et le protocole 26. Mais il aussi indiqué que les règles du marché intérieur sont dans l’intérêt des consommateurs et des citoyens puisqu’elles permettent d’assurer des critères de qualité et de respect de l’environnement identiques sur le marché unique.
Michel Barnier a ensuite montré quelques ouvertures qui pourraient permettre de résoudre la difficulté qui se pose dans le cas des Stadtwerke multi-activité ou multi-secteurs. "Ces entreprises, en tant que fournisseurs d'eau traditionnels, ont un monopole public protégé de distribution de l'eau dans leur commune", a-t-il rappelé, assurant qu’il n’était "pas question de le remettre en cause".
Le problème qui se pose est qu’elles sont souvent actives aussi dans des secteurs qui sont ouverts à la concurrence, tels que l'énergie ou les transports. La règle actuellement en vigueur, basée sur la jurisprudence de la CJUE et de plusieurs juridictions allemandes, ainsi que sur la directive "secteurs spéciaux", prévoit que ces entreprises, même à capital privé, peuvent bénéficier de contrats directs octroyés par les municipalités à condition qu’elles soient réellement sous le contrôle de la municipalité ET que 80 % de leurs activités soient effectués pour le compte de la municipalité. Or, si une entreprise "multi-secteurs" a une part très importante d'activités dans d'autres secteurs que l'eau, sur les marchés libres, elle ne remplit pas généralement ce critère de 80 %, constate Michel Barnier, qui estime que c'est le principal problème qui existe en Allemagne.
Le commissaire, soucieux de "trouver une solution juste et équilibrée, qui résout ce problème tout en évitant des distorsions de concurrence" s’est donc dit prêt à soutenir que la règle des 80 % ne s'applique qu'aux activités liées à la gestion de l'eau (et pas à l'ensemble du chiffre d'affaires) à la condition que l'entreprise mette en place une séparation structurelle ou à défaut une comptabilité séparée entre les activités publiques (eau) et privées (électricité ou autre). Autre possibilité de compromis ouverte par Michel Barnier, celle qui consisterait à "ajuster la définition d' "entreprise liée" pour régler le problème des Zweckverband et des communes voisines".
En résumé, a conclu Michel Barnier sur ce point, "le texte garantit que :
Heide Rühle, porte-parole du groupe des Verts/AE sur la politique du marché intérieur, qui est rapporteur fictif sur la directive concessions, a salué comme "un pas dans la bonne direction" les déclarations de Michel Barnier et Philippe Juvin dans lesquelles ils affirment leur volonté de respecter la structure traditionnelle des entreprises publiques dans les États membres et, pour les sociétés pluri-sectorielles qui fournissent, par exemple, des services aussi divers que l'eau et l'énergie, de ne pas les obliger à un appel d'offres européen dans le domaine de l'eau. "Nous veillerons à ce que cela se reflète dans le trilogue qui va commencer avec la Commission et le Conseil", a-t-elle assuré, ajoutant toutefois qu’il restait quelques problèmes à régler, notamment pour les petites municipalités qui ont des moyens budgétaires limités et qui risquent d’avoir du mal à faire face à leurs obligations.
Les futurs négociateurs du groupe S&D, Marc Tarabella et Pier Antonio Panzeri, ainsi qu’Evelyne Gebhardt, porte-parole du Groupe S&D pour le marché intérieur, ont rappelé que l’eau constitue à leurs yeux "un bien essentiel qui doit rester à l’écart des forces du marché"
"Dans cet esprit, nous veillerons à garantir dans ces négociations l’accès de tout citoyen à l’eau – ainsi qu’à tout autre service d’intérêt économique général – moyennant un prix abordable", ont-ils assuré. Ils promettent donc de veiller "à ce que les contrats, qu'ils concernent les marchés publics ou les concessions octroyées par des autorités locales, respectent pleinement les droits sociaux comme les conventions collectives et les exigences environnementales de l’UE". "Nous voulons également rendre plus transparents ces types de contrats pour lutter contre la corruption", annoncent-ils.