Alors que les chefs d’Etat et de gouvernement de l’UE doivent se réunir les 7 et 8 février prochains pour tenter de trouver un accord sur le cadre financier pluriannuel 2014-2020 (CFP), à savoir le budget qui doit encadrer les priorités que va se donner l’UE dans les sept prochaines années, le bureau d’information du Parlement européen au Luxembourg a convié autour d’un petit déjeuner les eurodéputés luxembourgeois pour qu’ils présentent les enjeux du débat et puissent exposer leurs positions et interrogations.
Cette rencontre, qui s’est tenue le 4 février 2013 dans les locaux de la Maison de l’Europe, en présence de Georges Bach (PPE), Frank Engel (PPE), Robert Goebbels (S&D), Charles Goerens (ALDE) et Claude Turmes (Verts/ALE), a notamment permis de rappeler que dans ces négociations, le Parlement européen aura aussi son mot à dire, et que la position qu’il défend est loin de celle qui pourrait servir de base à un compromis au Conseil européen.
Pour rappel, la Commission européenne avait mis sur la table en juin 2011 une proposition dans laquelle elle s’était efforcée de tenir compte de la crise et des efforts que font nombre de gouvernements pour consolider leurs finances publiques, tout en misant sur la croissance et l'emploi.
En novembre 2012, les chefs d’Etat et de gouvernement n’ont pas réussi à trouver un accord sur la base d’une proposition de compromis dans laquelle Herman Van Rompuy revoyait à la baisse le budget proposé par la Commission de l’ordre de 80 milliards d’euros. Ils vont donc consacrer le Conseil européen de février à cette question.
Le Parlement européen affiche depuis de longs mois une position assez constante, et ce avant même que la Commission ne mette sur la table sa proposition en juin 2011 : il s’agit de doter l’UE d’un cadre financier pluriannuel qui permette de favoriser la croissance. Le Parlement a donc d’ores et déjà adressé plusieurs mises en garde aux chefs d’Etat et de gouvernement en les appelant à ne pas faire de coupes budgétaires qui pourraient nuire à la croissance. Il y a quelques jours à peine, le président du Parlement européen, le socialiste Martin Schulz a réaffirmé la position de l’institution qu’il préside : "Le Parlement européen n'approuvera pas un budget qui n'inclue pas une politique active de croissance", a-t-il mis en garde en rappelant que le Parlement a le dernier mot en matière budgétaire.
L’issue des négociations du Conseil européen reste en premier lieu une inconnue, et les parlementaires luxembourgeois ont des pronostics différents à ce sujet : Claude Turmes est d’avis que tout est fait pour qu’il y ait un accord qui se fera selon lui au dépens de l’UE, de l’avenir et des politiques sociales. Frank Engel est lui aussi conscient que les chefs d’Etat et de gouvernement veulent et doivent trouver un accord. Robert Goebbels ne sait pas s’il y aura un accord, mais il rejoint Claude Turmes en affirmant qu’Herman Van Rompuy est décidé à trouver un accord à tout prix. Quant à Georges Bach, il est pour sa part d’avis que les chefs d’Etat et de gouvernement ne trouveront pas d’accord.
Pour autant, avec toutes les nuances qu’il convient de prendre en compte, leurs positions à l’égard de ce futur cadre financier pluriannuel se rencontrent à maints égards.
Pour Georges Bach, qui juge à la fois ambitieuse et courageuse la position du Parlement européen, il importe d’adopter un cadre financier cohérent qui permettent de donner aux domaines dans lesquels il faudrait plus d’Europe les moyens d’agir. Il pense notamment à des instruments qui relèvent des politiques sociales et de l’emploi, comme le FSE et le fonds de globalisation qu’il juge essentiels pour faire face à la rude situation sociale qui frappe nombre d’Européens. Autre élément sur lequel l’eurodéputé appelle à ne pas faire de concession et à mettre l’accent, le programme connecting europe qui permettra d’investir dans les infrastructures de transport, de réseaux énergétiques que de réseaux numériques.
Frank Engel n’a de cesse de rappeler que le budget de l’UE ne représente que 1 % du PIB européen, une "broutille", alors qu’il faudrait selon lui, pour que l’euro puisse survivre, un budget de l’ordre de 5 à 10 % du PIB. A titre d’exemples, l’eurodéputé évoque les budgets fédéraux des Etats-Unis ou de l’Allemagne, qui représentent 25 % du PIB, ou même celui de la confédération suisse, qui est d’environ 11 à 13 % du PIB. Le budget de l’UE, c’est moins de la moitié du budget allemand, c’est à peine 10 fois le budget du Luxembourg.
Une analyse que partage Robert Goebbels qui estime toutefois que l’enjeu va bien au-delà du cadre budgétaire dans un contexte de crise structurelle. En citant les chiffres qui témoignent du déclin de la production industrielle en Europe, il dénonce l’absence de politique industrielle européenne, et surtout le fait que la seule politique mise en pratique en la matière consiste à lutter contre le changement climatique alors que l’UE, bien seule dans cette bataille, ne peut sauver à elle seule le climat. Robert Goebbels est attristé par l’image que l’UE donne d’elle-même et s’insurge contre la fuite en avant de la Commission qui fait des feuilles de route pour 2050 alors qu’il faudrait déjà mettre en œuvre la stratégie Europe 2020. Il faudrait investir dans les infrastructures, affirme-t-il, mais il voit aussi avec étonnement les oppositions que suscitent nombre de grands projets d’infrastructure. En bref, comme l’a indiqué l’eurodéputé socialiste en guise de conclusion, l’UE pourrait fonctionner avec un budget de l’ordre de 3 % du PIB au moins, ce qui est l’équivalent de la dotation du budget fédéral américain avant la première guerre mondiale.
Aux yeux de Charles Goerens, la politique budgétaire et les acteurs qui la font ne sont pas à la hauteur d’une situation marquée par un nombre immense de personnes en grande précarité et l’envolée du chômage. Lui non plus ne pense pas qu’un budget représentant 1 % du PIB peut suffire. Plus largement, il rappelle que les Etats membres ont pris des engagements dans le cadre de la stratégie Europe 2020, et il est effaré de constater que l’attitude des Etats membres face au budget, notamment en matière de recherche, témoigne de leur manque de volonté face à leurs engagements. Il dénonce notamment une certaine hypocrisie de leur part en matière de coopération au développement, un domaine dans lequel il pointe aussi un certain déficit démocratique, le Parlement européen n’ayant pas toujours son mot à dire en la matière.
Pour Claude Turmes, la proposition de compromis qu’Herman Van Rompuy a mise sur la table est "anti-sociale et anti-futur". Il dénonce des réductions de budget de l’ordre de 15 % pour les projets d’avenir, de 5 % pour le FSE, ce qui revient selon lui à ruiner d’emblée, faute de moyens pour la financer, la mesure pourtant prometteuse visant à introduire une garantie jeunes, ou encore de 15 % pour le programme d’aide aux plus démunis, un programme pourtant très concret et nécessaire en ces temps difficile. Face à cela, il constate, amer, que des lignes budgétaires comme la PAC ou le FEDER qui ont à ses yeux peu de valeur ajoutée européenne et sont dépensées au niveau national sont elles restées épargnées par les coupes drastiques envisagées pour permettre de trouver un compromis.
Georges Bach, qui déplore que les nouveaux moyens dont le traité de Lisbonne a doté le Parlement européen ne sont pas utilisés à cause de la crise et qui est angoissé de voir les décisions prises dans des enceintes comme l’ECOFIN ou bien par le biais d’actes délégués sur lesquels le Parlement n’a pas un mot à dire, avoue que pour sa part, il voit mal comment il pourrait voter en faveur du compromis auquel risque d’aboutir le Conseil. "Le message que défendent les chefs d’Etat et de gouvernement, à savoir que si on fait des économies sur les budgets nationaux, il faut en faire au niveau européen, est faux" estime Georges Bach, qui devine là une once de populisme. Il s’inquiète et s’interroge cependant sur les conséquences que pourrait avoir ce veto du Parlement européen, notamment en raison du vide juridique qui risque de poser problème pour les nouveaux programmes prévus. Sans compter que négocier chaque année un budget annuel ne sera pas chose aisée non plus.
Frank Engel affiche d’emblée sa position : le Parlement européen ne peut accepter la moindre coupe budgétaire, car un budget moindre encore, ce serait renoncer au projet européen. Il s’agit de ne pas abdiquer et d’assumer ses responsabilités devant les électeurs qui comprennent très bien d’après lui l’impact négatif des politiques de rigueur qui sont menées et qui sont bien conscients qu’aucun Etat membre ne peut sans sortir seul alors que la part du gâteau qui reviendra au continent européen sera toujours plus réduite. "Rien ne va de soi sur ce continent", a mis en garde Frank Engel en faisant écho aux guerres qui ont déchiré les Balkans il n’y a pas si longtemps, et en affirmant qu’il est hors de question que le Parlement laisse passer un tel compromis comme si de rien n’était. "Nous sommes arrivés au bout de la logique d’intégration actuelle", juge l’eurodéputé qui estime qu’il faut résoudre la question de savoir comment va fonctionner l’UE jusqu’en 2020.
Robert Goebbels, qui estime que l’UE est à la croisée des chemins, est d’avis que si les chefs d’Etat et de gouvernement ne viennent pas avec une proposition raisonnable, alors le Parlement européen doit dire non, quelles qu’en soient les conséquences. Ce pouvoir de dire non, le Parlement européen en est doté depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, et il serait absurde de ne pas s’en servir. Ne pas en faire usage reviendrait à laisser le gouvernail à "Cameron et compagnie", ce que l’eurodéputé socialiste verrait d’un très mauvais œil. Pour autant, Robert Goebbels est bien conscient que ce sera compliqué eu égard au vide juridique évoqué par Georges Bach, mais aussi parce que les rabais d’un certain nombre de pays, à l’exception du rabais "bétonné" du Royaume-Uni, ne pourront s’appliquer.
Pour Claude Turmes, le Parlement européen doit s’opposer à l’accord que vont trouver les chefs d’Etat et de gouvernement. Car il n’y aura pas de meilleures propositions que celle mise sur la table par Herman Van Rompuy, et les marges de manœuvre sont très réduites. Ne pas dire non à ce compromis, ce serait remettre en cause la crédibilité du Parlement européen vis-à-vis du Conseil, estime Claude Turmes. L’eurodéputé pointe d’ailleurs la pression qui pèse sur certains eurodéputés de la part des gouvernements de leur pays d’origine qui les menacent de ne pas les laisser se représenter aux prochaines élections s’ils devaient s’opposer au compromis. Une "effronterie démocratique" qu’illustre la demande exprimée par le conservateur Joseph Daul de voter sur le CFP à bulletin secret. Claude Turmes est d’avis que les conséquences de ce véto du Parlement européen seront tout à fait vivables, en imaginant que le budget soit adopté sur une base annuelle pendant deux exercices avant de parvenir à un accord pluriannuel sur cinq ans après la nouvelle dynamique politique qui ressortira des élections prévues notamment en Allemagne et au Parlement européen, ainsi que de la nomination de la prochaine Commission.
Pour les quatre eurodéputés d’ores et déjà prêts à voter contre le compromis qui sera trouvé, l’ultime limite à ne pas dépasser reste la proposition qu’avait faite la Commission.
Charles Goerens, lui, s’interroge : ne vaut-il pas mieux avoir un mauvais accord ? Le parlementaire est d’avis qu’il faut amorcer un grand chantier institutionnel afin de se doter d’une union politique dotée d’un gouvernement légitimé par le Parlement européen. Et l’eurodéputé libéral plaide donc pour que le Parlement européen mène en cas d’échec des négociations ouvertes avec le Conseil en affichant un haut degré d’exigence et en incluant les questions institutionnelles, un domaine dans lequel il ne manque pas de rappeler l’orientation fédéraliste que prône son groupe politique. C’est à ses yeux une question de crédibilité que de négocier.
Y aura-t-il une vraie campagne électorale européenne pour les élections au Parlement européen, a voulu savoir un journaliste.
Robert Goebbels pense que les élections européennes auront lieu en mai 2014, vraisemblablement le 25 mai, et que les élections législatives luxembourgeoises auront elles-aussi lieu le même jour. Il semble par ailleurs y avoir un consensus entre les quatre grands groupes politiques au Parlement européen – le PPE, le S&D, l’ALDE et les Verts – sur le fait que chacun présentera un candidat tête de liste européen et que celui dont le groupe aura recueilli le plus grand nombre de voix sera candidat au poste de président de la Commission européenne. Pour Robert Goebbels, cela change du tout au tout la manière dont les débats et la campagne seront menés.
Georges Bach a expliqué de son côté qu’un premier pas vers une européanisation des élections européennes avait été fait au Luxembourg avec la constitution de listes séparées pour les élections nationales et européennes. Après les élections européennes de 2014, la Commission sera déterminée comme un gouvernement, et, pour Georges Bach, c’est vers un modèle où elle tiendrait ce rôle, où le Parlement européen ferait office de pouvoir législatif et le Conseil de deuxième chambre qu’il faudrait que tende l’UE. Actuellement, estime Georges Bach, le Conseil est trop fort et les Etats membres mènent à l’égard de l’UE "une politique lamentable".
Les parlementaires ont aussi été interrogés sur leur position à l’égard de la taxe sur les transactions financières (TTF), dont la Commission imaginait dans sa proposition initiale, avant qu’elle ne fasse l’objet d’une coopération renforcée faute d’unanimité, qu’elle pourrait représenter une ressource propre de l’UE. L’occasion pour la plupart d’entre eux d’afficher des prises de position assez nuancées.
Georges Bach se positionne en faveur d’une TTF, et il estime d’ailleurs qu’il est loin d’être le seul au Luxembourg. Les messages qui mettent en avant les risques qu’elle pourrait représenter sont récents, constate-t-il en effet en déplorant n'avoir reçu de la part du gouvernement ni une analyse détaillée de son éventuel impact, ni une vraie position étayée.
Frank Engel, auteur d’un avis sur le sujet adopté en mars 2012 par la commission Marché intérieur et protection des consommateurs (IMCO) du Parlement européen, estime qu’une telle taxe ne ferait aucun sens si elle n’était pas appliquée à l’échelle de l’UE, tant du point de vue du marché intérieur que du point de vue de son éventuelle affectation au budget de l’UE. Il pointe notamment le risque que les recettes que la TTF pourrait générer, dont le montant est d’ailleurs très incertain, ne reviennent aux Etats membres. "Nous ne sommes pas au Parlement européen pour voter pour un nouvel impôt national !", souligne Frank Engel qui déplore que les gouvernements n’aient toujours pas pris position sur la question cruciale des recettes de l’UE.
L’idée d’une taxe Tobin est sympathique aux yeux de Robert Goebbels. Pour autant, il est d’avis qu’elle ne pourrait fonctionner que si les places financières importantes devaient y participer, au risque sinon de voir se déplacer les flux financiers pour la contourner. On risque de constater que la TTF rapportera moins que prévu, met en garde Robert Goebbels qui craint aussi que le budget de l’UE ne soit pas le bénéficiaire de ces revenus.
Charles Goerens est en faveur de principe et pour ce qui est de l’affectation de ses revenus, il plaiderait pour sa part pour qu’ils abondent le budget de la politique européenne de développement. Mais l’eurodéputé a aussi rappelé qu’il a déjà demandé au gouvernement une étude d’impact portant sur cette TTF, et qu’il l’attend toujours. D’autre part, Charles Goerens constate que ce dossier crée un précédent dans la mesure où ce sera la première coopération renforcée à laquelle ne participera pas le Luxembourg. "J’aurais préféré que le Luxembourg soit à la table des négociations plutôt que de ne rien y avoir à dire", confie l’eurodéputé. Il déplore par ailleurs l’idée d’Herman Van Rompuy de faire en sorte que les revenus de la TTF abondent le budget de l’UE, mais que son montant soit déduit des contributions nationales des pays participant à la coopération renforcée : car il n’y a pas là un seul centime de plus pour le budget de l’UE !
Claude Turmes, toujours aussi virulent dans ce dossier, estime qu’on est avec la TTF "au cœur de l’hypocrisie du gouvernement dans sa politique européenne". D’un côté on plaide la cause de l’intégration européenne et de l’autre on oriente sa politique fiscale et financière vers l’Irlande et le Royaume-Uni, et ce alors que la Commission vient d’estimer qu’un an d’évasion fiscale coûte à l’UE l’équivalent de son budget pluriannuel. Claude Turmes est lui aussi d’avis que la TTF risque de ne pas être la solution pour le budget de l’UE. Toutefois, il se fait l’écho de doutes au sein du gouvernement quant à la position choisie : car il se pourrait bien qu’en ne participant pas, le Luxembourg prenne le risque de ne rien percevoir sur des transactions dans lesquelles la place luxembourgeoise sera impliquée mais qui rapporteront seulement à d’autres.