Le 26 mars 2013, la Banque centrale du Luxembourg (BCL) a présenté son nouveau bulletin trimestriel, duquel il ressort que la relance économique en 2013 est loin d’être acquise.
Certes, le risque d’inflation est très limité, notamment après que, le 7 mars 2013, le Conseil des gouverneurs a décidé de laisser inchangés les taux d’intérêt directeurs. "Les tensions inflationnistes devraient rester contenues", considère le directeur de la Banque centrale du Luxembourg, Gaston Reinesch. L’objectif consistant à maintenir l’inflation à des taux inférieurs à 2 % à moyen terme serait ainsi atteint.
Néanmoins, les nouvelles économiques concernant la zone euro sont plutôt incertaines et moroses. La faiblesse de l’activité s’est poursuivie en début d’année 2013. On peut y voir les "signes d’une stabilisation d’un certain nombre d’indicateurs, à de faibles niveaux toutefois", souligne Gaston Reinesch. Mais le «nécessaire» processus d’ajustement des bilans dans les secteurs public et privé "continuera de peser sur l’économie", de telle sorte qu’une "reprise progressive de l’activité" est renvoyée "plus tard en 2013". Ce sursaut proviendrait, le cas échéant, "d’un raffermissement de la demande mondiale et de l’orientation accommodante de la politique monétaire". La BCL rappelle les projections macroéconomiques établies par la BCE en mars 2013. La zone euro devrait atteindre une croissance annuelle moyenne du PIB en volume comprise entre -0,9 % et -0,1 % en 2013 et entre 0 % et 2 % en 2014.
"Des risques à la baisse pèsent en outre sur ces perspectives", pointe le bulletin. La BCL craint ainsi "que la demande intérieure et les exportations soient plus faibles que prévu" et redoute "la lenteur ou l’insuffisance de la mise en œuvre des réformes structurelles dans la zone euro". En ce cas, la confiance ne s’améliorerait pas et la reprise en serait d’autant plus retardée. Les résultats du dernier trimestre 2012, qui fut un trimestre de récession, en sont à l’origine. Selon les estimations d’Eurostat, le PIB réel de la zone euro aurait alors décru de 0,6 % par rapport au trimestre précédent (0,9 % par rapport au dernier trimestre de 2011). La moyenne annuelle de croissance pour 2012 s’établit ainsi à - 0,5 % par rapport à 2011.
Dans ce contexte, la Banque centrale du Luxembourg s’inquiète de la situation économique du Luxembourg. Elle le voit exposé à "une grande incertitude sur le plan macroéconomique". La BCL affirme ainsi que "certains risques à la baisse" laissent penser que les projections qu’elle avait présentées dans son précédent bulletin en décembre 2012, pourraient avoir été trop optimistes. Elle avait alors anticipé une progression du PIB en volume se situant entre 0,2 % et 0,8 % en 2012 et de 0 % à 2 % en 2013.
Cela serait d’autant plus regrettable qu’il y aurait lieu de quitter la mauvaise pente prise depuis 2007. Entre 2007 et 2011, le PIB en volume a décru de 0,4 %, le PIB en volume par emploi intérieur (frontaliers inclus par conséquent) de 10 % et le revenu national brut (RNB) par résident, exprimé en termes réels, a subi un déclin de 14 %. "Ces chiffres sont inquiétants", estime Gaston Reinesch, soulignant que la BCL ferait dans le futur une analyse approfondie de ces points.
La BCL met en avant deux évolutions qui la préoccupent plus que les autres. L’activité ralentie de la zone euro pourrait avoir un impact négatif sur le Luxembourg, dont les exportations sont "massivement orientées" vers cette zone. La BCL ne se rassure pas plus en regardant les évolutions relatives à la place financière qu’elle juge "pour le moins ambiguës". Derrière l’impression favorable laissée par la hausse de la valeur nette d’inventaire des organismes de placement collectif et l’amélioration entre 2011 et 2012 des comptes de profits et pertes des établissements de crédit luxembourgeois, la BCL détecte "une évolution moins rassurante". Les comptes de profits et pertes révèleraient un recul du produit bancaire au quatrième trimestre de 2012 considéré isolément. "Le produit bancaire (…) accuserait une diminution de l’ordre de 3 % par rapport au trimestre précédent et de quelque 5 % par rapport au dernier trimestre de 2011", souligne la BCL.
La BCL ajoute à ce sombre tableau "une situation compromise sur le plan structurel" qu’elle a régulièrement, par le passé, déplorée.
Dans son bulletin, elle consacre un article à l’étude de l’évolution des coûts salariaux unitaires (CSU) au Luxembourg. Elle déplore un "décrochage à l’égard de l’Allemagne" de près de 40 % depuis 1998. "L’évolution de nos coûts salariaux unitaires (CSU) est littéralement en lévitation par rapport aux autres pays de la zone euro", commente Gaston Reinesch. La crise n’a pas ralenti la dérive des CSU. Cette dernière, au contraire, s’est "fortement accentuée".
Le secteur public au sens large "contribue systématiquement" à l’augmentation des CSU tandis que "les autres secteurs, en particulier l’industrie et la finance, affichent une contribution qui est davantage liée aux évolutions cycliques de l’économie", lit-on dans le bulletin. Cherchant à comprendre quels sont les coûts du travail qui font grimper les CSU, la BCL épargne les salaires qui ne "semblent (…) pas constituer le moteur principal de l’accélération observée récemment". En faisant abstraction des effets de l’indexation automatique des salaires sur les prix, "ces progressions salariales sont négligeables, voire même négatives lors de la phase aigüe de la crise, soit en 2008 et 2009", constate la BCL.
En fait, selon l’analyse de la BCL, «la très forte hausse des CSU a principalement trouvé son origine dans une chute brutale de la productivité du travail, en particulier dans les secteurs de l’industrie et de la finance." Contrairement à ce qui a pu être observé dans d’autres pays, "la productivité n’a nullement rebondi dans la phase de reprise, contrairement à ce qu’on aurait pu anticiper".
La chute brutale de la productivité est "un phénomène typique observé en phase de repli conjoncturel", observe la BCL. Les entreprises retiennent leur main-d’œuvre pour éviter les coûts de licenciement et les éventuelles difficultés qu’elles auraient à retrouver du personnel lorsque la reprise se matérialiserait. Cette rétention a pris toutefois "une ampleur exceptionnelle dans l’économie luxembourgeoise".
Le Luxembourg est le pays de la zone euro ayant enregistré le choc extérieur le plus important (soit un effondrement des exportations au début de la crise) et figure parmi les pays où l’élasticité de l’emploi au PIB a été la plus faible (0,1 point au Luxembourg contre 0,3 point en zone euro).
La BCL considère par ailleurs que la législation du travail, "traditionnellement plus stricte" au Luxembourg, constitue un frein au processus d’ajustement de la main-d’œuvre, tandis que "l’existence d’une tradition de dialogue social (…) et une forte proportion de contrats à durée indéterminée contribueraient également à réduire l’impact à court terme d’un ralentissement conjoncturel".
Le recul plus prononcé de la productivité au Luxembourg pourrait également s’expliquer par la part relativement plus importante de la sidérurgie dans l’industrie luxembourgeoise que dans les autres pays. Or, c’est sur ce secteur que se penche plus particulièrement le Bulletin pour ausculter la question de la productivité. La rétention d’emploi a entraîné une chute brutale de la productivité horaire du travail dans l’industrie luxembourgeoise, celle-ci se trouvant en 2011 à un niveau inférieur de près de 30 % à celui qui était observé avant la crise. Au contraire, dans la zone euro, après avoir reculé de maximum 5 % au plus fort de la crise, la productivité horaire dépassait en 2011 à nouveau son niveau d’avant crise, constate la Banque centrale.
Les marges de profit relativement élevées au moment d’entrer dans la crise ont pu jouer en faveur de cette rétention d’emploi. De même, l’irruption de la crise, et l’assouplissement sans précédent de la politique monétaire qui s’en est suivi, ont pu jouer en faveur d’entreprises qui avaient emprunté à taux variable, comme c’est le cas de la grande majorité d’entre elles.
Néanmoins, la dérive des CSU doit être considérée comme "particulièrement inquiétante". "Dans ce contexte, on ne peut exclure à l’avenir un ajustement plus abrupt sur le front de l’emploi si les performances exportatrices des entreprises luxembourgeoises continuaient à se détériorer, entre autres dans un cadre conjoncturel atone", souligne la BCL.
La seconde crainte principale ressentie par la BCL sur la situation économique du pays dans un contexte européen en récession, c’est l’évolution des finances publiques. Le déficit de l’Administration centrale, situé entre 1,2 et 1,5 milliards d’euros en 2012, soit plus de 3 % du PIB, a atteint "un seuil problématique". Seuls "les importants excédents actuellement encore engrangés par les systèmes de pension" qui entrent dans le calcul du déficit autorisé par le traité de Maastricht, permettent au pays de rester dans les clous. Ainsi, la position à moyen et à long terme des finances publiques apparaît "fort préoccupante". La BCL s’inquiète notamment pour le régime des pensions. La récente réforme des pensions fut "un pas dans la bonne direction" mais "devra impérativement et de manière proactive s’accompagner de mesures additionnelles", écrit Gaston Reinesch en introduction du bulletin.
Justement, la BCL propose "une réforme globale" baptisée réforme LOLA (pour "Luxembourg overlapping generation model for policy analysis"), du nom du modèle d’équilibre général qui a donné son cadre à l’analyse de l’impact de différentes simulations de réformes. La BCL vante une réforme qui "ne détériore pas la croissance – voire l’augmente – et entraîne une plus grande efficacité en matière d’assainissement des finances publiques (petite perte de bien-être de la population pour une plus grande réduction du déficit)". Les mesures qu’elle contient devraient être mises en œuvre à partir de 2015 jusqu’en 2030. Elles permettraient de se doter d’un système de pensions qui aurait un déficit primaire égal à 8 % du PIB en 2060 (contre 16,5 % après la récente réforme du gouvernement). Ainsi, «par rapport à la plupart des pays voisins, la situation au Luxembourg resterait probablement relativement confortable en 2060."
La première de ces mesures consiste à augmenter progressivement l’âge effectif de la retraite, actuellement de 61 ans, soit "l’un des plus bas en Europe", pour le porter à 65 ans en 2060. Le deuxième élément consiste à diminuer, progressivement, de 40 points d’ici 2060, le taux de remplacement de toutes les pensions. Il s’effectuerait notamment par la neutralisation totale (et non partielle à raison de 50 %) de l’ajustement aux salaires réels.
Enfin, les cotisations à charge des entreprises seraient augmentées de 5 points d’ici 2035. Cette mesure serait "compensée par une baisse de 1 point d’ici 2035 du paramètre du modèle exprimant le pouvoir de négociation des travailleurs". Ainsi, il faudrait limiter la hausse salariale à 0,25 % par an au cours de cette période. "Un tel ajustement est amplement justifié eu égard à la forte dérive des coûts salariaux unitaires du Luxembourg observée au cours de la dernière décennie", explique la BCL qui renvoie à sa démonstration sur les CSU. La BCL note notamment parmi les alternatives, une "modulation permanente" de l’indexation automatique des salaires aux prix et l’instauration d’une norme conditionnant davantage les salaires luxembourgeois à l’évolution observée chez nos principaux partenaires commerciaux.
La BCL avance également des propositions pour améliorer les finances publiques via une modification du financement des communes luxembourgeoises. Il s’agit notamment de réformer l’impôt foncier, par une révision des valeurs unitaires servant de base au calcul de cette taxe, comme elle l’a déjà proposé dans son avis sur le budget 2013. De façon plus générale, "une réflexion d’ensemble sur la fiscalité immobilière, directe et indirecte, serait de mise au Luxembourg", explique le directeur de la BCL, Gaston Reinesch.
Dans son rapport, la BCL fournit aussi le résultat d’études sur l’évolution des crédits au secteur privé et sur la composition du patrimoine des ménages.
En marge de la présentation face à la presse de ce bulletin, l’économiste en chef de la BCL, Jean-Pierre Schoder a répondu à une question de RTL sur le sujet polémique des similitudes et différences entre les systèmes bancaires luxembourgeois et chypriote. Alors que dans son communiqué de presse diffusé le 27 mars 2013, le gouvernement luxembourgeois soulignait le "caractère fondamentalement international" du secteur financier luxembourgeois, "qui fait de lui un point d’entrée important pour les investissements dans la zone euro", Jean-Pierre Schoder s’appuie sur cette même caractéristique de la place financière luxembourgeoise pour écarter tout scénario chypriote.
Ainsi, a-t-il rappelé que la place financière est "diversifiée" en termes d’origine géographique des entreprises qui la composent. Ce sont, pour la majeure partie, des sociétés étrangères qui s’y implantent. La situation est donc différente de pays comme Chypre, où se trouvent des entreprises nationales surdimensionnées", au déficit éventuel desquelles les actionnaires publics et / ou l’Etat doivent parer.
Sur la place luxembourgeoise qui ne compte qu’un petit nombre d’entreprises luxembourgeoises, en cas d’accident, dans la majorité des cas, "ce n’est pas l’Etat luxembourgeois ou les actionnaires luxembourgeois qui doivent agir directement, mais des actionnaires ou des Etats étrangers", a-t-il fait remarquer.