Le bref entretien que Luc Frieden a accordé à la Frankfurter Allgemeine Sonntagszeitung, dans lequel il constate que la tendance va vers l’échange automatique d’informations et où il affirme que le Luxembourg n’y est plus strictement opposé, n’a pas manqué de susciter, dès avant sa publication de vifs commentaires.
Au lendemain de la parution du journal allemand, deux partis d’opposition se sont saisis du sujet. Ainsi, le DP a-t-il réagi par voie de communiqué, jugeant qu’il n’était "pas tolérable que de telles déclarations concernant l’un des piliers sinon le pilier le plus important de notre économie à savoir la place financière soient faites sans concertation aucune avec le Parlement". "J’aurais souhaité connaître les arguments respectivement la stratégie qui sont à la base de cette décision mais aussi les conséquences que cela aura sur la place en termes d’emplois et les répercussions sur le budget de l’Etat", y explique Claude Meisch.
Le DP demande donc au ministre des Finances d’expliquer dans les meilleurs délais à la Chambre des Députés les raisons qui ont amené le gouvernement à décider un assouplissement du secret bancaire et si, et dans quelle mesure, cette décision s’inscrit dans une démarche d’ensemble permettant d’assurer la pérennité de la place financière luxembourgeoise.
La même exigence a été formulée par le député Gast Gibéryen (ADR) qui a demandé au président de la Chambre des députés que le ministre des Finances soit convoqué d’urgence pour s’expliquer notamment sur les annonces qu’il a faites dans la presse internationale qui correspondent selon lui "à un assouplissement du secret bancaire". Le député juge "scandaleux que le Parlement luxembourgeois ait été informé des intentions du gouvernement à travers la presse internationale, d’autant que des discussions ont été menées dans les autres parlements européens". "Seul le Parlement luxembourgeois n’a pas été informé comme il se doit", déplore-t-il.
Le secrétariat de l’ADR annonçait dans la foulée que le ministre viendrait devant les députés le 11 avril prochain.
"L’annonce du ministre des Finances dans un quotidien allemand sur un éventuel assouplissement du secret bancaire a non seulement surpris l’Europe toute entière mais au premier chef les milieux concernés au Luxembourg", affirmait le parti libéral (DP) dans son communiqué.
Pourtant, pour Jean-Jacques Rommes, les déclarations de Luc Frieden sont moins étonnantes que la résistance dont a fait preuve la presse internationale pour comprendre ce qui se passe vraiment au Luxembourg. En effet, comme le directeur de l’ABBL l’a expliqué le 8 avril 2013 à la journaliste Mick Entringer sur les ondes de la radio 100,7, les informations demandées par les autorités fiscales étrangères aux banques luxembourgeoises leur sont transmises. "Il n’y a absolument plus ce secret bancaire dont il est tout le temps question", indique Jean-Jacques Rommes.
Si l’ABBL reste opposée à l’échange automatique d’informations, ses membres se sont toutefois préparés à la mise en œuvre d’une stratégie de lutte contre le blanchiment d’argent. Ainsi, affirme Jean-Jacques Rommes, les clients étrangers de la place sont-ils invités depuis des années à payer leurs impôts dans leur pays de résidence. Du point de vue de l’ABBL, l’échange automatique d’informations n’est en rien un problème fiscal, mais il s’agit d’une question ayant trait au marché unique, car il s’agirait d’appliquer pour les comptes qu’ouvrent les étrangers au Luxembourg d’autres règles que celles que leurs pays appliquent chez eux.
Jean-Jacques Rommes a le sentiment que les relations internationales sont désormais plus marquées par la volonté de pouvoir et il imagine par conséquent possible que le Luxembourg soit conduit à l’avenir à faire plus de concessions. Lorsque Mick Entringer lui demande comment le ministre des Finances défend la place financière, Jean-Jacques Rommes lui répond que Luc Frieden "a le dos au mur, comme tout le pays, et il fait ce qu’il peut".
Le ministre de l’Economie, le socialiste Etienne Schneider, confiait sur les ondes de la même radio que le sujet avait été abordé au sein du gouvernement et que le constat avait été fait que "tôt ou tard, viendrait un moment où il faudrait céder à la pression", qui est "massive". La position du gouvernement est par conséquent de décider du moment où le faire afin de ne pas être mis devant le fait accompli et d’avoir assez de temps pour s’y préparer. "Nous laissons assez de temps aux banques", estime le ministre. Ce moment reste à déterminer, avance le ministre qui juge toutefois qu’idéalement, cela pourrait commencer en 2015, ce qui laisserait aux banques le temps nécessaire pour se préparer.
Luc Frieden, attendu par la presse luxembourgeoise à l’occasion d’une conférence de presse donnée au Ministère de l’Economie le 8 avril 2013 afin de présenter le Haut comité pour l’industrie qui vient d’être mis sur pied, estime que ses déclarations ont pris une ampleur qui l’étonne lui-même en raison des événements des derniers jours et semaines, à savoir la crise chypriote, ou encore les révélations de l’enquête dite "offshore leaks" sur les paradis fiscaux. Il estime n’avoir rien révélé de plus que ce qu’il n’avait déjà fait ces derniers mois, notamment à l’issue de sa rencontre avec Eveline Widmer-Schlumpf, présidente et ministre de la Confédération helvétique, ou plus récemment, à la Chambre des députés, lorsqu’il s’est agi de transposer la directive sur la coopération administrative en matière fiscale. A savoir que le Luxembourg mène actuellement une réflexion sur l’avenir de sa place financière et sur sa compétitivité dans un contexte de négociations bilatérales avec les Etats-Unis sur Fatca. Or les négociations sont toujours en cours.
L’interprétation qui est faite de ses propos va pourtant bien au-delà. Le commissaire en charge de la Fiscalité, Algirdas Semeta, a ainsi salué le 8 avril "l’ouverture du Luxembourg sur l'échange automatique d'informations" sur son compte twitter. Auparavant, sa porte-parole, Emer Traynor, avait salué le fait que "le Luxembourg est maintenant prêt à donner son accord sur l’échange automatique d’informations", tout en disant espérer un accord très rapide sur la refonte de la directive sur la fiscalité de l’épargne. "Toutes les déclarations de M. Frieden ce week-end, étaient très claires. Nos services sont en contact avec le Luxembourg", avait-elle indiqué, prenant aussitôt pour cible l’Autriche, qui avait signalé la veille que sa position sur le dossier de la fiscalité de l’épargne n’était en rien changée. "Il est impossible qu'un Etat membre bloque les 26 autres", a estimé Emer Traynor, jugeant "difficile pour l'Autriche de maintenir sa position quand tous les autres Etats membres sont prêts à avancer vers un échange automatique d'informations".
Un peu plus tard pourtant, plusieurs agences de presse évoquaient des entretiens accordés par le chancelier autrichien, Werner Faymann, dans lesquels il déclarait que l’Autriche était prête à négocier une amélioration de l’échange des données bancaires. "Nous verrons au cours de négociations au sein de l'Union européenne comment nous allons procéder, mais nous allons participer pleinement" à la lutte contre l'évasion fiscale en Europe, indiquait-il, conscient que "c'est la réputation du pays qui est en jeu".