Le 30 janvier 2013, la Commission européenne a présenté le quatrième paquet ferroviaire, un ensemble de six propositions législatives visant à "achever l’espace ferroviaire européen" en procédant, entre autres, à l’ouverture totale du marché du transport de voyageurs à l’horizon 2019 et à l’amélioration de l’interopérabilité. Dans une interview publiée par le Luxemburger Wort le 22 avril 2013, le ministre du Développement durable et des Infrastructures, Claude Wiseler, explique la position qu’adoptera le Luxembourg au Conseil.
Pour l’heure, seules les discussions sur l’amélioration de l’interopérabilité et l'harmonisation technique dans I'UE, aspect jusqu’ici le moins critiqué du Paquet ferroviaire, ont commencé au sein du Conseil Transports. La présidence irlandaise espère conclure un accord sur ce thème à l'occasion du prochain conseil, le 10 juin 2013 à Luxembourg.
"Alors qu'actuellement un fond d'accord existe, de nombreuses discussions restent à être menées", prévient toutefois Claude Wiseler. Certes, le Luxembourg apporte "son soutien de principe" dans ce dossier. Néanmoins, il émet "des réserves" sur "le transfert important mais incomplet" des compétences des administrations nationales vers l'Agence ferroviaire européenne , explique le ministre, sans entrer dans le détail des conséquences qu’il redoute.
Le Luxembourg a également "mis en garde" sur la perte d’influence que subiraient les Etats membres si l'élaboration des spécifications techniques d'interopérabilité venait à être entièrement déléguée à la Commission, "sans véritable contrôle ou emprise des Etats membres".
Le ministre des Transports, Claude Wiseler, se montre bien plus perplexe au sujet des propositions de règlement préparant les conditions de l’ouverture à une concurrence libre et non faussée du marché du transport national de voyageurs. "La position du Luxembourg est dans la continuité des prises de position en la matière depuis la refonte du premier paquet ferroviaire", explique le ministre. Si cette position n’a pas encore été exposée au sein du Conseil Transports, elle a déjà été discutée, à l’occasion de visites de travail auprès de ministres en charge des transports aériens des Etats membres du FABEC (Belgique, Pays-Bas, Suisse, France, Allemagne).
Claude Wiseler conteste la pertinence d’une séparation juridique entre gestionnaire de l’infrastructure et entreprise ferroviaire exploitante exigée par la Commission européenne afin d’éviter toute discrimination dans l’accès aux infrastructures. Le ministre du Développement durable juge qu’elle figure parmi les exigences "disproportionnées" de la Commission européenne. Ces dernières "mettent en péril les structures et activités actuelles [qui] ont jusqu'à présent donné entière satisfaction dans un pays de petite taille comme le Luxembourg qui depuis toujours favorise la coopération avec les réseaux et opérateurs des pays limitrophes", juge-t-il.
Claude Wiseler estime que les propositions de la Commission européenne devraient laisser aux Etats membres le choix de solutions différentes pour réaliser l'objectif d'un accès non discriminatoire à l'infrastructure. Le Luxembourg fait valoir là aussi la taille modeste de son réseau ferré, qui serait insuffisamment prise en compte. Un tel changement "occasionnerait en effet des coûts hors proportion pour un réseau ferré aussi réduit".
Les paquets ferroviaires précédents ont déjà rendu nécessaire la création de nouveaux acteurs. Les Chemins de fer luxembourgeois (CFL) ont dû abandonner une partie de leurs missions à l'administration des Chemins de fer. La fonction de régulateur du secteur ferroviaire a été attribuée à l'ILR. Ces changements ont déjà occasionné "un facteur coût non négligeable pour un petit pays", explique Claude Wiseler. Ainsi, "une libéralisation plus poussée comme préconisée par la Commission européenne et visant une séparation institutionnelle entre gestionnaire de l'infrastructure ferroviaire et entreprise ferroviaire ne ferait qu'alourdir et rendre plus cher le système actuellement en place."
Claude Wiseler semble aussi regretter que parmi les six options présentées par l’étude d’impact préalable, pour garantir un accès effectif et non discriminatoire au matériel roulant et permettre à une entreprise ferroviaire qui ne disposerait pas de matériel roulant de participer à un appel d'offres, la Commission européenne ait retenu "celle qui est financièrement la plus lourde pour les Etats membres tout en favorisant la concurrence".
Le ministre qualifie également de "disproportionnées" les exigences de la Commission européenne pour ce qui est de la mise en concurrence des transporteurs, telles qu’elles sont exposées dans la proposition de règlement relatif à la libéralisation du transport ferroviaire national de voyageurs et modifiant le règlement 1370/2007 relatif aux services publics de transport de voyageurs par chemin de fer et par route. Il ne serait désormais plus possible d’attribuer directement un contrat de service public par rail, dès lors que la valeur annuelle du contrat dépasse cinq millions d'euros ou que la distance annuelle parcourue est supérieure à 150.000 kilomètres.
Claude Wiseler redoute que cette innovation aille à l’encontre des efforts de son ministère pour augmenter la qualité du service public. Claude Wiseler se demande s’il "est raisonnable de penser que des lignes ferroviaires régionales ou d'importance nationale secondaire suscitent l'intérêt de nouveaux entrants". Les "mauvaises expériences" faites lors de la libéralisation du trafic voyageurs international au 1er janvier 2010, lui font craindre de mauvaises surprises à venir. Ainsi, rappelle-t-il que le train Jean Monnet qui circulait entre Bruxelles, Luxembourg, Strasbourg et Bâle a disparu en décembre 2011. Seul en subsiste désormais le "tronçon de ligne à plus haute rentabilité", Bâle – Strasbourg, arpenté par le matériel roulant.
De même, trois des cinq trains IC qui circulaient entre Luxembourg et l'Allemagne du Nord ont été supprimés par la "DB Fernverkehr". "Le matériel roulant circule maintenant sur d'autres lignes plus rentables en Allemagne", explique Claude Wiseler. Il a fallu ainsi remplacer deux de ces trois trains dans le contexte du service public ferroviaire transfrontalier jusqu'à Trèves et un troisième jusqu'à Wittlich.
En introduisant la concurrence, la Commission européenne vise également l’amélioration des services de transport national de voyageurs. Mais, Claude Wiseler fait remarquer que la Commission est toutefois consciente de certains risques qui sont exposés dans l’étude d’impact. "Les entités adjudicatrices pourraient choisir d'utiliser du vieux matériel roulant pour minimiser les coûts, ce qui nuirait à l'innovation", cite le ministre constatant néanmoins qu’au final, la Commission relève "seulement les effets positifs d'une mise en concurrence".
Le ministre du Développement durable et des infrastructures déplore par ailleurs que la Commission européenne a plus d’égard pour le matériel roulant que pour le personnel. "Finalement, et alors que le matériel roulant est soigné dans le projet de règlement de la Commission européenne, le volet social est complètement négligé", dit-il, dans des termes similaires à ceux employés le 12 avril 2013 par le président du syndicat cheminot chrétien, FCPT-Syprolux, Fernand Heinz. "Aucun élément de la proposition ne prend position sur les conséquences sociales d'un changement de prestataire du service public, ce qui est inacceptable", précise-t-il.
Répondant à une dernière question de Nadia Di Pillo, journaliste du Luxemburger Wort qui a mené l’interview, Claude Wiseler est confiant dans la capacité des Chemins de fer luxembourgeois à s’adapter, comme ils l’ont fait, au moment de la libéralisation du transport de fret ferroviaire, en créant CFL Cargo. "Le moment venu, et dès que les discussions à mener au Conseil et au Parlement européen se cristalliseront, on trouvera les moyens afin de pouvoir assurer la pérennité des CFL", assure le ministre.
Interrogé dans la même édition du Luxemburger Wort, par la journaliste Michèle Gantenbein, l’eurodéputé CSV, Georges Bach, rapporteur fictif pour le Parti populaire européen de la proposition de directive sur la sécurité des chemins de fer et défenseur du maintien du transport national de voyageurs dans le secteur public, défend l’idée que "la Commission européenne enfreint le principe de subsidiarité" en demandant l’ouverture à la concurrence de ce marché. Or, "à terme, la sécurité, la qualité des prestations ainsi les conditions de salaire et de travail des employés en souffriraient" tandis que le transport de proximité deviendrait plus cher.
Concernant la séparation juridique déjà évoquée par le ministre Claude Wiseler dans son interview, Georges Bach rappelle que de nombreux gouvernements et 40 sociétés de chemins de chemins représentés dans la Communauté européenne du rail (CER) y sont opposés. "Quand la proposition est refusée de nombreuses parts, pourquoi la Commission européenne y tient-elle malgré tout ?", se demande l’eurodéputé.
Georges Bach rappelle que la Commission européenne jusqu’il y a sept mois, évoquait encore trois à quatre modèles de gestion possibles sur le marché européen des chemins de fer. "L’ambiance a changé en septembre quand l’union des gestionnaires d’infrastructures et de réseaux ferrés indépendants s’est imposé avec sa revendication d’une stricte séparation du réseau et de l’exploitation", déplore-t-il, alors qu’à son goût, "la législation européenne actuelle est suffisante pour garantir un transport ferroviaire, dépourvu de discriminations, dotés de hauts standards de sécurité et de bonne qualité". Georges Bach entend s’employer pour obtenir "une division du paquet", "pour que les dossiers importants puissent avancer et que les aspects politiques comme la séparation entre gestionnaire et exploitant puissent être discutés en profondeur et dans la sérénité".