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Droits fondamentaux, lutte contre la discrimination - Marché intérieur
Liberté d’établissement des avocats européens : le Luxembourg clarifie et adapte ses exigences linguistiques
14-05-2013


chd-avocats-modertLe 14 mai 2013, la Chambre des députés a adopté, à une large majorité (48 voix pour, neuf abstentions et deux contre), un projet de loi modifiant la loi modifiée du 10 août 1991 sur la profession d'avocat. L’adaptation de la législation avait été rendue nécessaire par l’émission par la Commission européenne, le 27 septembre 2012, d’un avis motivé demandant au Luxembourg de respecter ses obligations en vertu du droit de l’UE et de permettre aux avocats de s’établir librement au Luxembourg. Elle estimait que les exigences linguistiques en luxembourgeois, allemand et français constituaient un obstacle à la libre circulation des avocats consacrée par la directive 98/5/CE concernant le droit d'établissement des avocats.
Le texte adopté par la Chambre des députés, maintient les exigences linguistiques dans les trois langues du pays pour les avocats nationaux mais accorde une dérogation pour les avocats dits européens.

Déjà, le 21 mars 2007, la Commission européenne, suite à un arrêt de la CJUE du 19 septembre 2006, avait lancé une procédure en infraction après avoir jugé "disproportionnée" l’exigence de la connaissance des trois langues administratives comme condition d’inscription au tableau I des avocats et lancé une procédure d’infraction pour non-respect de l’article 10 de la directive 98/5/CE concernant le droit d’établissement des avocats.

La Chambre des députés avait adopté le 15 décembre 2011, un projet de loi qui maintenait l’exigence que tous les avocats parlent français, allemand et luxembourgeois et faisait largement consensus. Néanmoins, cette première adaptation de la législation n’avait pas convaincu la Commission européenne. Par son avis motivé du 27 septembre 2012, cette dernière avait demandé une nouvelle fois au Luxembourg de respecter ses obligations en vertu du droit de l’UE, estimant qu’il existe des moyens moins restrictifs et plus performants de garantir l’efficacité du système judiciaire, la protection des clients et le patrimoine linguistique du pays.

Finalement, le conseil de gouvernement avait adopté un nouveau projet de loi le 15 février 2013, clarifiant les exigences linguistiques requises, (un niveau B2 pour la compréhension et  l’expression orale ou écrite en français, tandis qu’un niveau B1 suffirait pour l’expression orale en allemand et en luxembourgeois, et la compréhension écrite en allemand). Le texte prévoit également une dérogation pour les avocats européens dans le sens où ils pourraient être inscrits, à titre individuel, au tableau de l’Ordre des avocats sur la liste I, après trois ans  d’inscription sur la liste IV, à la condition de passer avec succès un examen de français, et non pas des trois langues officielles, devant  attester d’un même niveau de connaissance (B 2) que celui exigé pour les avocats luxembourgeois.

Le parti libéral favorable à une séparation, sur le modèle ango-saxon, entre avocat-conseil et avocat-plaideur

Cette solution n’a pas satisfait le parti libéral (DP), qui lui préférait l’introduction d’une nouvelle distinction, assortie d’exigences linguistiques différentes, entre avocat-conseil et avocat-plaideur. Lors des débats du 14 mai 2013 à la Chambre des députés, le député libéral Xavier Bettel a rappelé que le 22 mai 2007, la Chambre des députés avait adopté à l’unanimité une motion affirmant "qu’il existe (…) des situations au cours d’un procès, où, dans l’intérêt de la défense, la connaissance de la langue luxembourgeoise est indispensable, notamment lors de l’audition de témoins», et demandant que l’opportunité d’une telle séparation soit étudiée. Toutefois, cette motion est devenue "caduque" avant d’avoir été suivie d’effets. Xavier Bettel a jugé qu’il s’agissait de la part du gouvernement d’un "mépris flagrant de la Chambre". Redéposée telle quelle, la motion de 2007 a cette fois été rejetée par 42 voix contre et 18 pour.

Le rapporteur du projet de loi, le député CSV, Gilles Roth, a énoncé trois limites existantes qui devraient suffire, dans ce contexte de maintien de l’unicité du métier d’avocat, à empêcher tout problème de communication dans les affaires judiciaires, que pourrait engendrer l’introduction de cette dérogation accordée aux avocats européens. Les sanctions disciplinaires prévues par l’ordre des Avocats au cas où l’un de ses membres accepte une affaire sans en avoir les compétences (y compris linguistiques), le recours en droit civil que le client de l’avocat peut introduire et la facturation des coûts de traduction par le client devraient suffire à dissuader les avocats européens qui ne disposent pas des compétences linguistiques.

Le député ADR Gast Gybérien a déploré que le Luxembourg soit "quasiment forcé" de changer sa législation par la Commission européenne, à laquelle il n’accorde pas de légitimité pour s’immiscer dans les questions linguistiques du pays. Néanmoins, il a ironisé sur la volonté de défendre la langue luxembourgeoise manifestée par un gouvernement qui a négocié les textes européens et des partis de la Chambre des députés qui les ont adoptés. 

Concluant les débats, la nouvelle ministre de la Justice, Octavie Modert, a déclaré que la nouvelle loi constituait une "solution objective et sans discrimination" qui garantissait "un service de qualité dans l’intérêt du justiciable". Elle a par ailleurs considéré que cette loi constituait un renforcement de la langue luxembourgeoise plutôt que le recul suggéré par Gast Gybérien. Elle a fait savoir que la Commission européenne considérait que le nouveau texte était en accord avec les textes européens de lutte contre les discriminations et de libre circulation des avocats. Enfin, après avoir évoqué la possibilité d’étudier la fin de l’unicité du métier d’avocat, elle a rappelé que, selon les chiffres livrés par l’Ordre des avocats, il y a actuellement 381 avocats européens inscrits au barreau du Luxembourg. Et que les nationalités française (148 inscrits), belge (81) et allemande (79) étaient les plus représentées.