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Economie, finances et monnaie - Emploi et politique sociale
Out of paradise? Un débat sur le futur du Luxembourg qui ne peut être conçu que dans l’UE
23-04-2013


Débat "Out of paradise?": le groupe des discutants, le 23 avril 2013Deux semaines après les débats sur l'état de la nation et après l’annonce que le Luxembourg prendra le chemin de l’échange automatique d’informations entre les administrations des contributions, un geste appelé communément "abandon du secret bancaire", même si ce terme n'est pas très juste, l'hebdomadaire woxx, a organisé avec RTL Radio, le 23 avril 2013 au CarréRotondes, une table ronde sur les perspectives de la société luxembourgeoise et sur les alternatives à un modèle économique trop monolithique. Les intervenants étaient Xavier Bettel, président du Parti Démocratique (DP) et député-maire de la Ville de Luxembourg, Luc Frieden, ministre des Finances (CSV), Etienne Schneider, ministre de l'Économie (LSAP) et Claude Turmes, député européen (Déi Gréng).

Le passage à l’échange automatique d’informations

Débat "Out of paradise?": Luc Frieden, le 23 avril 2013La décision du Luxembourg de passer à l’échange automatique d’informations a été le premier sujet abordé. "Cet échange automatique d’informations est devenu entretemps la norme internationale", a expliqué Luc Frieden, pour qui il est devenu nécessaire que le Luxembourg s’y soumette après y avoir réfléchi et s’y être préparé depuis longtemps, peu importe qu’on pense que ces règles soient les plus efficaces ou non. Ce qui compte, c’est la décision prise. "La question est maintenant de savoir à quels produits cet échange sera appliqué, et ce ne sera pas facile d’y répondre", a ajouté le ministre.

Claude Turmes a mis dans son intervention en exergue la dépendance du Luxembourg de son secteur financier, alors que de l’autre côté, des Etats membres de l’UE se trouvent devant des caisses vides entre autres à cause des milliers de milliards d’euros qui ont contourné le fisc. Le Luxembourg a ici un grand problème d’image en Europe, comme il a pu le constater lui-même au parlement européen. Il souhaite voir venir une place financière qui ne sera plus basée sur la minimalisation fiscale, mais qui servira aux investissements dans l’économie réelle. Dans ce sens, la place financière peut être un grand atout dans l’UE et pour l’UE et se défaire à terme de sa mauvaise image.

Quelles alternatives après les derniers revirements dans le secteur financier ?

Pour Luc Frieden, les professionnels de la place se sont préparés depuis cinq à six ans au passage probable à l’échange automatique d’informations. Ils ont cherché à attirer un autre type de clients que ceux qui voulaient apporter de l’argent caché à leur fisc. L’on est passé à l’administration des fortunes par le conseil, la création de comptes et de sociétés. L’industrie des OPC luxembourgeoise est la deuxième au monde après celle des USA. Les investisseurs en Asie et en Amérique latine sont ses nouveaux groupes-cibles. Le personnel des sociétés financières a changé de profil. D’où la nécessité du Luxembourg de veiller à ce qu’il y ait un vrai level playing field international. Pour le reste, il n’y a pas d’alternative à court terme à un secteur qui représente plus de 36 % du PIB. Et comme la lutte devient chaque jour plus dure entre les places financières et les pays pour avoir des parts de marché, il faut développer la place financière.

Dans ce contexte, a-t-il aussi expliqué, le Luxembourg a besoin de l’UE pour réaliser toutes ses opérations transfrontalières sur les marchés internationaux. Mais le débat qui vient d’être lancé dans le cadre des décisions qui ont dû être prises pour la réduction des secteurs financiers de Chypre et d’autres pays à un ration moyen entre les dépôts financiers et le PIB d’un Etat membre, est "inacceptable" pour Luc Frieden. "Impossible pour le Luxembourg d’accepter que l’on passe à une moyenne qui signifierait un  passage à la médiocrité". Il y a eu ici pour lui "une attitude peu sympathique à l’égard de Chypre" qui a été "maltraité". D’autre part, a-t-il aussi donné à penser, le Luxembourg a tant besoin du modèle européen, mais ce modèle européen est fortement remis en question. Il a donné pour exemple l’union bancaire, pour laquelle l’Allemagne veut certes une supervision unique, qui est un des trois piliers de cette union, mais renâcle quand il s’agit d’aller vers un fonds de résolution et la garantie de dépôt au niveau européen.

Débat "Out of paradise?": Etienne Schneider, le 23 avril 2013Etienne Schneider a enchaîné sur la place de l’économie réelle dans le nouveau modèle luxembourgeois. Comme Luc Frieden, il est d’avis que le secteur financier devra se développer. Par ailleurs, son travail consiste à créer un cadre favorable à l’élargissement de la base industrielle du Luxembourg vers quatre piliers : les écotechnologies, les biotechnologies, les TIC et la logistique. Trois de ces piliers attireront de la main d’œuvre hautement qualifiée, le dernier pouvant par contre aussi recourir à une main-d’œuvre moins qualifiée. Du point de vue de la qualité de ses infrastructures et de sa connectivité, mais aussi du coût salarial, le Luxembourg est compétitif, mais il peut faire mieux. Notamment dans la gestion horizontale des dossiers d’autorisation pour de nouvelles entreprises industrielles, afin que ces délais ne s’étalent plus sur plusieurs années, comme cela est le cas actuellement.  D’où sa demande et celle de Luc Frieden qu’il y ait un débat à la Chambre des députés sur la compétitivité du pays. Cela est d’autant plus urgent que tous les systèmes de sécurité sociale au Luxembourg sont basés sur une hypothèse de croissance de 4 %, une hypothèse qui ne concorde plus avec la réalité depuis 5 ans déjà, de sorte que des coupes dans ces systèmes s’avèreront nécessaires. 

Débat "Out of paradise?": Xavier Bettel, le 23 avril 2013Pour Xavier Bettel, convaincu que la crise n’a pas été déclenchée par les banques, mais par des politiques qui ont conduit des pays à vivre au-dessus de leurs moyens, il ne sera pas possible de relancer la croissance au Luxembourg sans créer un climat de confiance. Or, ce climat est marqué par l’insécurité fiscale, et les revendications des syndicats en matière de fiscalité des revenus et de la fortune, tout comme l’irrésolution du Premier ministre qui ne sait pas selon lui vers où le pays doit aller, ne font qu’empirer les choses.

Pour Claude Turmes, une piste alternative pour la place financière serait de se positionner avec ses OPC à l’intersection du secteur de la R&D et de l’innovation et des besoins en financement de ce secteur, de se lancer, à l’image de la BEI, sur les marchés du "venture capital". L’UE est le leader mondial des technologies pauvres en émission de CO2 et efficaces du point de vue énergétique. Elle a un grand potentiel technologique pour contribuer à ce que l’humanité évite la catastrophe climatique. Le Luxembourg pourrait se donner une toute nouvelle image en investissant de manière responsable dans les technologies du futur.

Ce à quoi le ministre de l’Economie Etienne Schneider lui rétorque que le nouveau "Future Fund", doté de 150 millions d’euros, va d’ores et déjà dans ce sens. Le ministre attire ensuite l’attention sur un handicap majeur qui pèse sur l’industrie européenne et donc luxembourgeoise. Celle-ci a repris des normes sociales et environnementales que ses concurrents globaux n’ont pas besoin de respecter sur des marchés ouverts, ce qui la rend moins ou pas compétitive par rapport à des concurrents qui ne sont pas soumis à ces normes. C’est pourquoi il pense que l’UE devrait obliger les concurrents globaux de ses industries en danger à respecter ces normes.

La TTF

La discussion s’est ensuite tournée vers la question de la taxe sur les transactions financières (TTF). Pour Luc Frieden, la TTF est un impôt qui n’existe nulle part ailleurs et qui "met en danger les activités du secteur financier". Le Royaume-Uni, l’Irlande et les Pays-Bas n’en veulent pas. Les 11 Etats membres de l’UE qui s’engagent dans une coopération renforcée pour l’introduire ne sont pas des pays avec des places financières selon lui. Si tous les pays qui comptent de grandes places financières, y compris les pays tiers, se mettaient d’accord, le Luxembourg pourrait participer à une telle entreprise. Mais pour l’instant, le projet de TTF dans l’UE, avec les effets extraterritoriaux de la proposition de la Commission, est inacceptable pour le Luxembourg. Le recours du Royaume-Uni contre cette proposition recueille les sympathies de Luc Frieden, mais il n’en connaît pas encore tous les détails. Se pose aussi avec cette coopération renforcée une question de marché unique. En ne participant pas à cette coopération renforcée, le Luxembourg ne s’est pas isolé, comme le lui reprochent certains. Il n’est pas partie non plus d’un recours. Par ailleurs, les 11 pays en question sont loin d’être d’accord entre eux. Bref, "la TTF n’est pas encore là, et je ne la vois pas arriver de sitôt." Pour le Luxembourg, ce qui doit importer, c’est la relance de la croissance, et il faut donc tout faire pour ne pas décourager les entreprises de s’installer.

Une approche soutenue par le chef du plus grand parti de l’opposition, Xavier Bettel, qui pense qu’au Luxembourg et dans l’UE, "nous nous cassons nous-mêmes les reins" avec de nouvelles règles et de nouveaux impôts tels que la TTF. "Tout impôt supplémentaire, c’est du venin", s’exclame-t-il.

Etienne Schneider, de son côté, est obligé d’admettre que les sociaux-démocrates du S&D militent en faveur de la TTF, mais explique que le LSAP "n’est pas forcément pour, il est même majoritairement contre, malgré quelques courants contraires, car c’est contre l’intérêt national".   

La sélectivité des transferts sociaux

Au cours de la discussion, deux autres questions d’avenir ont été abordées : l’évolution plus que probable du champ d’application de la directive sur la fiscalité de l’épargne qui va toucher d’autres produits financiers, à laquelle le ministre Frieden s’attend, et la sélectivité des prestations sociales dans le contexte d’une croissance qui a tendance à rester en-deçà des 4 % nécessaires pour les financer dans leur conception actuelle.

Pour Etienne Schneider, il n’y a pas de doute qu’il faudra remettre en question le système actuel de transferts sociaux si la croissance luxembourgeoise reste en-deçà. Il faudra alors miser sur une sélectivité de ces prestations sur laquelle tous les partis et toutes les parties prenantes auront à se prononcer, d’autant plus que la crise dure depuis plus de cinq ans.

"C’est là le drame et le grand défi de la politique luxembourgeoise", a déclaré de son côté Luc Frieden, pour qui le système actuel ne pourra plus être financé si la croissance ne passe pas à un régime supérieur. Mais, insiste-t-il, le gouvernement n’a pas été inactif, avec entre autres une réforme du système de pension qui comporte des clauses d’ajustement basées sur différentes hypothèses concernant l’évolution de la croissance. Il faudra maintenant suivre cette évolution pour voir si d’autres mesures seront nécessaires. "Pour cela, on peut avoir des idées, mais en démocratie, il faut aussi, heureusement d’ailleurs, avoir une majorité pour les réaliser", a conclu le ministre. 

Débat "Out of paradise?": Claude Turmes, le 23 avril 2013Pour Xavier Bettel, il est évident que "nous vivons au-dessus de nos moyens", y compris avec l’indexation des salaires.

Claude Turmes a de son côté affiché une plus grande prudence, car c’est toute l’économie de l’UE qui a atteint, vu son degré de maturité, une période de croissance faible. Cette période est marquée par deux autres facteurs : le recours aux ressources naturelles a atteint un certain plafond, celles-ci devenant plus rares, et depuis 25 ans, les sociétés européennes sont devenues plus inégalitaires. Il faudra donc miser sur une société plus juste à travers une fiscalité plus juste.