Le Parlement européen s’est engagé dans un bras de fer avec le Conseil en annulant, le 23 octobre 2013, les coupes budgétaires dans le budget 2014 de l’Union européenne approuvées par les Etats membres au début du mois de septembre et en allant même au-delà, en proposant d'aller jusqu'au plafond du cadre financier pluriannuel (CFP) 2014-2020 sur les crédits de paiement, soit 136,1 milliards d'euros.
Réunis en séance plénière, les eurodéputés ont ainsi annulé la baisse des crédits dédiés aux investissements en faveur de la croissance et de l'emploi dans le budget 2014, qui est le premier budget intégré dans le cadre financier pluriannuel (CFP) 2014-2020 de l’UE. Ils ont également rétabli les financements en matière de politique internationale, tels que l'aide humanitaire au Proche-Orient et aux réfugiés syriens et ont augmenté les crédits de différentes agences exécutives de l’UE, en particulier l'agence Frontex de gestion des frontières extérieures.
Le texte proposé par le Parlement, qui a été largement adopté par les députés (480 voix pour, 119 contre et 86 abstentions), propose dès lors un budget 2014 de 142,6 milliards d'euros en crédits d'engagements et de 136,1 milliards d'euros en crédits de paiements. Ces montants marquent néanmoins une baisse par rapport au budget 2013 de 8,1 milliards d'euros en matière d’engagements mais sont en hausse de 3,3 milliards d'euros en termes de paiements par rapport au projet de budget publié en mars 2013. Dans son communiqué, le Parlement évoque néanmoins, après toutes les tergiversations autour des budgets rectificatifs, une baisse de 4,3 milliards d'euros par rapport au budget 2013 dans les crédits de paiements.
Pour mémoire, le Conseil avait de son côté réduit le projet de budget 2014 proposé par la Commission européenne, qui marquait pourtant lui-même déjà une baisse moyenne de plus de 6 % par rapport au budget de l’exercice 2013, suscitant les critiques de la Commission et de très nombreux eurodéputés.
Dans sa résolution, le Parlement "regrette par conséquent que le Conseil ait décidé de procéder cette année encore aux réductions horizontales habituelles du projet de budget dans le but de faire baisser artificiellement les ressources de l'Union pour 2014 d'un montant global de 240 millions d’euros (-0,2 %) en crédits d'engagement et de 1,06 milliards d’euros (- 0,8 %) en crédits de paiement par rapport au projet de budget, ce qui se traduit par une diminution considérable des engagements (- 6 %) comme des paiements (- 6,6 %) par rapport au budget 2013", peut-on lire dans le texte voté par les députés.
Les Etats membres avaient en effet validé une coupe de 240,6 millions d'euros en engagements (dont 60 millions dans la rubrique croissance, 153 millions dans celle des dépenses administratives et 17 millions pour l'action extérieure) et de 1,06 milliard en paiements (soit une baisse de 426 millions s'agissant de la croissance, de 202 millions pour la cohésion, de 156 millions du côté de l'action extérieur, de 153 millions en dépenses administratives et de 112 millions pour les ressources naturelles) pour atteindre respectivement 141,8 milliards d’euros (engagements) et 134,8 milliards d'euros (paiements).
"Dans les domaines jugés essentiels pour relancer l'économie, tels que l'agenda digital, la recherche, l'entrepreneuriat et les mesures de lutte contre le chômage des jeunes, le Parlement a suivi les recommandations de la commission des budgets visant à annuler la baisse de 629 millions d'euros proposée par le Conseil en juillet et de compléter ce budget par 34 millions d'euros supplémentaires", lit-on dans le communiqué publié par le Parlement européen à l’issue du vote.
En matière d’aide humanitaire et aux réfugiés, les députés ont concentrés leurs efforts sur le Proche Orient et la Syrie, compte tenu de la situation actuelle particulièrement dégradée dans la région. Ils ont notamment réinstauré les 250 millions d’euros inclus dans le projet de budget initial de la Commission et ont complété cette somme de 50 millions d'euros supplémentaires.
Privé de marges pour augmenter le budget initial proposé par la Commission, le Parlement a invité à recourir à l'instrument de flexibilité à hauteur de 50 millions d’euros pour le domaine de l'action extérieure et de 223 millions d’euros pour la rubrique cohésion.
Les eurodéputés ont par ailleurs voté en faveur d’une hausse de 213 millions des crédits de paiement (par rapport à la proposition initiale de la Commission) afin d’augmenter les moyens alloués à divers projets pilote et à plusieurs agences exécutives de l’UE (ferroviaire, sécurité maritime, supervision bancaire et financière, Frontex, Europol, etc.). Les crédits du programme d'aide aux plus démunis que les gouvernements voulaient réduire à 365 millions à partir de 2014 ont encore été rétablis à 500 millions d'euros par le PE.
Après ce vote en plénière, le Conseil et le Parlement devront aller en conciliation. En effet, suite au vote du Parlement européen, la présidence lituanienne du Conseil a confirmé que le Conseil n’acceptait pas la position du Parlement, tout en exprimant l’espoir de régler les désaccords.
"Les points de vue du Conseil de l’Union européenne et du Parlement européen sur les priorités cruciales coïncident: nous cherchons à renforcer la croissance économique et encourager la lutte contre le chômage, en particulier des jeunes. D’autre part, du point de vue du Conseil, nous devons rechercher à ce que les crédits du budget soient suffisants, mais réalistes. Il est important de respecter les limites du cadre financier pluriannuel. Pour cette raison, la proposition du Parlement européen d’utiliser l’instrument de flexibilité soulève une inquiétude, en ne laissant pas d’espace dans le budget pour réagir correctement aux situations imprévues. Je suis pourtant convaincu que nous réussirons à régler de manière constructive toutes les divergences d’opinion au comité de conciliation", a déclaré le vice-ministre lituanien des Finances, Algimantas Rimkūnas, en charge du budget de l’Union européenne.
Conseil et Parlement européen disposent d'une période de conciliation de 21 jours pour trouver un accord. Si la conciliation aboutit à un accord, celui-ci sera soumis au vote de la plénière lors de la session de novembre. Si les divergences ne sont pas effacées d’ici la fin de la période de conciliation - le 13 novembre 2013 est l’échéance- , la Commission devra soumettre un nouveau projet de budget et procéder à partir du 1er janvier avec un budget basé sur les 12e provisoires.
"Nous nous dirigeons vers des négociations sur un vaste paquet législatif comprenant les budgets rectificatifs 2013, 2014 et le CFP 2014-2020. Le Parlement a pris ses responsabilités cette semaine en adoptant le budget rectificatif n°6 [de 2,7 milliards d'euros] via une procédure accélérée pour permettre à la Commission d'honorer ses engagements. Conseil, Commission et Parlement, nous devons tous prendre nos responsabilités dans les négociations difficiles à venir. Mais une chose est certaine: le Parlement n'autorisera pas de nouveau déficit pour l'année prochaine", a déclaré le président de la commission des budgets du Parlement européen, le Français Alain Lamassoure (PPE).
"Le plus important pour nous sera de ne pas laisser à nos successeurs une Union en cessation de paiement", ce qui sera le cas en 2014 si "on ne revient pas au niveau des crédits de paiement qui était proposé par la Commission européenne et qui correspond au plafond autorisé par le futur CFP, soit un milliard de plus que ce que le Conseil a adopté", a-t-il ajouté.
Alors qu’il est courant qu'entre 5 et 10 milliards de factures arrivent en fin d'année, factures qui sont dès lors payées en début d'année suivante "on risque d'avoir début 2014 un volume de factures relativement plus élevé. Il n'est pas absurde qu'on arrive à 20 milliards d'euros", a encore noté le président de la commission des budgets.
Les négociations s’annoncent difficiles. Pour adopter le budget à long terme pour 2014-2020, le cadre financier pluriannuel (CFP), le Parlement européen exige comme prérequis que le Conseil adopte le budget rectificatif n°8 (3,9 milliards d'euros), nécessaire pour couvrir le manque de fonds pour cette année ainsi que le budget rectificatif n°9 (environ 400 millions d’euros) qui devrait couvrir l'aide à l'Allemagne, l'Autriche et la République tchèque suite aux inondations de 2013 et compenser la Roumanie pour les dommages occasionnés par la sécheresse. Or Parlement et Conseil s’opposent sur la source de cette dernière somme: le Parlement souhaiterait de nouveaux crédits alors que le Conseil préfèrerait voir un redéploiement de crédits existants.