"Même si le modèle social européen est soumis à une pression accrue liée à la mondialisation et à la crise tant économique et financière que sociale, l’action de l’Union européenne dans le domaine social suscite des attentes auprès des citoyens." C’est ce qu’on pouvait lire sur l’invitation à une conférence-débat sur le modèle social européen qui a rassemblé le 8 novembre 2013 autour d’un plateau le député européen, Georges Bach (Parti populaire européen), Patrick Dury, président national du LCGB et Patrick Weymerskirch, président du Parlement des Jeunes. Les trois intervenants ont présenté leurs pistes de réflexion sur la problématique actuelle du modèle social européen et se sont penchés sur son futur, sur les réalités de la crise sociale au Luxembourg et les attentes des jeunes quant au développement du volet social de l’Union européenne.
Pour Georges Bach, il est très clair que l’opinion publique demande une UE plus sociale. Reste que l’UE est marquée par plusieurs modèles sociaux, qu’il divise lui en quatre groupes : le modèle anglo-saxon, très libéral ; le modèle scandinave, basé sur des syndicats forts, mais sans que l’Etat n’interfère ou ne soit concerné excessivement ; le modèle sudiste, où tout ce qui est négocié est de préférence coulé dans la loi de l’Etat ; le modèle des pays d’Europe orientale et centrale, qui sont sortis d’un système étatique autoritaire où les syndicats étaient des adjuvants de l’Etat pour adopter un système dicté par le FMI qui a démantelé les entreprises étatiques et libéralisé l’économie.
Un des éléments actuels les plus importants de la dimension sociale de l’UE est pour Georges Bach le paquet emploi présenté en avril 2012 par la Commission européenne. Pour l’eurodéputé, l’UE a toujours eu une dimension sociale, mais le pilier économique est devenu le plus fort et il a été négligé, comme l’est la clause sociale qui a été intégrée au Traité de Lisbonne qui est peu appliquée. L’essentiel de la dimension sociale de l’UE se concrétise dans la coordination des politiques entre Etats membres et les aides qui sortent du Fonds social européen, des programme PROGRESS, des fonds de cohésion et d’EURES, qui touche les travailleurs transfrontaliers. S’y ajoute le dialogue social avec les partenaires sociaux et entre partenaires sociaux européens, des directives sur la santé au lieu de travail, sur les conditions de travail, sur l’égalité homme-femme, la libre circulation des travailleurs, les directives sur le détachement des travailleurs et le temps de travail, difficiles à amender, tout comme est devenu difficile le dossier sur la protection des femmes enceintes. Georges Bach a aussi mis en garde contre le fait que s’il y a des discussions pour améliorer les normes sociales dans nombre d’Etats membres par l’adoption de normes communes, les normes existant au Luxembourg sont d’ores et déjà très élevées et pourraient souffrir de réformes dans le domaine social qui conduisent actuellement en général d’abord à la détérioration d’une situation donnée. Georges Bach a conclu en évoquant aussi la Garantie pour la jeunesse, qui a soulevé maintes controverses et la communication de la Commission sur la dimension sociale de l’Union économique et monétaired’octobre 2013, qu’il a qualifié à l’instar de ses collègues parlementaires, de "coquille vide".Patrick Dury, le président national du LCGB, a ensuite développé le catalogue de revendications de son syndicat qui permettrait de contrer les défis qui mettent les systèmes sociaux du Luxembourg sous pression et donneraient au modèle social national les moyens financiers nécessaires: sortir l’économie et les finances publiques de leur dépendance du secteur financier avec un nouveau « business plan » pour le pays; chercher de nouveaux investisseurs mais qui s’identifient avec le modèle social luxembourgeois; ne liquider aucun secteur ; créer les conditions de prix compétitifs pour l’énergie ; ne pas augmenter seulement la TVA qui chargerait trop les ménages ; favoriser l’économie solidaire ; impliquer le patronat et convoquer la tripartite dans un dialogue social de haute qualité ; créer de nouvelles formations sectorielles pour l’industrie et la logistique ; favoriser la formation continue ; préférer les CDI aux CDD, etc.
Pour Patrick Weymerskirch, "l’estime sociale des jeunes est minimisée" en Europe comme au Luxembourg. Il a évoqué ces cas de jeunes qui envoient des centaines de demandes d’emploi sans jamais recevoir en guise de réponse ne serait-ce qu’un accusé de réception et le fait qu’un diplôme n’est plus depuis longtemps une garantie pour accéder à un emploi correctement rémunéré. Pour lui, "l’école est LA question sociale du 21e siècle", d’autant plus que le manque de perspectives qui affecte sa génération peut avoir des effets sur la démocratie au niveau national et européen. Lui-même est convaincu que l’UE comme projet de paix sur le continent européen est un succès, mais l’idée ne mobilise plus les jeunes aujourd’hui. L’UE sera jaugée par les jeunes à l’aune de sa capacité à leur permettre d’accéder à un emploi. La Garantie pour la jeunesse semble dans le contexte actuel ne pas être non plus "une vraie garantie".
Au cours de la discussion, Georges Bach a donné raison à Patrick Weymerskirch, en précisant que la Garantie pour la jeunesse était censée amener les jeunes vers l’emploi, par des formations, des stages ou un emploi, bien sûr. Mais il a critiqué qu’elle soit dotée de "moyens financiers ridicules".
Patrick Dury a de son côté expliqué que l’Europe sociale avait pris son départ avec les premiers Etats membres où le dialogue social se baisait sur un « réseau social très resserré » et qu’entretemps, elle n’était pas seulement devenue problématique pour une partie du patronat, mais même au sein de la Confédération européenne des syndicats (CES), où il y avait par exemple dans le temps une forte opposition du DGB allemand à l’idée d’un salaire minimum dans l’UE, ce qui heureusement changé depuis lors. Pour lui, malgré les ratés sociaux du projet européen, malgré le fait qu’il lui manque un chapitre social dans les traités et un vrai agenda social, l’UE reste néanmoins sans alternative.
Quant à Patrick Weymerskirch, il lui reste des dernières discussions sur l’état de la nation à la Chambre des députés un arrière-goût amer par rapport à certaines propositions faites qui concernent les jeunes qu’il juge par ailleurs comme "pas malintentionnées" : celle du Premier ministre Juncker qui a suggéré que les chômeurs soient astreints éventuellement à des travaux d’intérêt général et celle de la DP que des jeunes puissent être payés moins que le salaire minimum social afin de leur permettre d’accéder à un emploi. C’est pour lui "culpabiliser les jeunes" pour leur situation difficile, et cela reflète donc une idée fausse que ces acteurs politiques se font de la situation de ces jeunes.