Le 5 décembre 2013, les ministres européens de l’Intérieur réunis en Conseil Justice et Affaires intérieures (JAI) à Bruxelles, ont, comme on le lit dans les conclusions du Conseil, "pris note de la communication de la Commission européenne sur la libre circulation des citoyens de l’UE et de leurs familles et conclu que ce travail continuera en coopération avec les Etats membres sur base des cinq actions mises en exergue par la communication."
Derrière ce langage neutre se cache une discussion très acerbe sur l’impact de la libre circulation des personnes sur les systèmes sociaux des Etats membres dans un contexte où certains Etats membres, comme le Royaume-Uni ou l’Allemagne, dénoncent des abus de la part de migrants de l’UE et redoutent la levée, prévue par les traités, des dernières limitations à la libre circulation des citoyens de la Roumanie et de la Bulgarie qui pourront accéder librement à tous les marchés du travail de l’UE à partir du 1er janvier 2014. Comme seuls neuf pays de l'UE imposent encore des restrictions sur leur marché du travail pour les citoyens roumains, ce seront donc l’Autriche, l’Allemagne, les Pays-Bas, la Belgique, le Luxembourg, l’Espagne, la France, Malte et le Royaume-Uni qui seront à ce moment impactés.
La discussion avait commencé au sein du Conseil JAI en juin 2013 et avait été continuée en octobre 2013 avec la présentation d’une première mouture de la communication de la Commission. Celle-ci se basait sur une étude qui disait que les craintes de plusieurs Etats membres quant à l’existence d’un "tourisme social" pratiqué par les migrants intra-Union européenne ne sont pas fondées. Cette étude avait conclu que la vaste majorité des immigrants se rendent dans un autre État membre pour travailler et non pour y bénéficier d'avantages sociaux. Les migrants intra-européens non actifs ne représenteraient qu’une infime partie de la population de chaque Etat membre, en moyenne 1 % en 2012, à l’exception de certains Etats, comme le Luxembourg avec 13,9 %. Les migrants européens représentent par ailleurs moins de 1% de tous les bénéficiaires (de nationalité UE) de prestations non contributives dans six Etats membres, entre 1% et 5% dans cinq autres pays et au-delà de 5 % dans deux autres. Par ailleurs, l’étude indiquait que les dépenses associées aux soins de santé des migrants intra-UE non actifs sont très limitées par rapport à la masse des dépenses de santé de l’Etat de résidence. Seul 0,2 % du budget global de la santé est ainsi consacré aux migrants de l'UE sans emploi. La Commission avait ainsi conclu que les "travailleurs d'autres États membres sont en réalité des contributeurs nets aux finances publiques du pays hôte".
La discussion a pris en décembre 2013 un nouveau tournant après que le Premier ministre britannique avait annoncé qu’il voulait durcir les règles pour les allocations sociales pour les migrants de l’UE et remettre en question certains aspects de la libre circulation lors d’une renégociation des traités comme en cas de nouvelle adhésion. La ministre de l’Intérieur, Theresa May, a même renchéri, le 5 décembre avant la réunion du Conseil. Elle a suggéré que les futurs traités européens prévoient de ralentir le plein accès aux marchés du travail des pays membres, par exemple « en exigeant des nouveaux États membres qu'ils atteignent un certain niveau de revenu par habitant avant que la pleine liberté de circulation ne leur soit accordée » ou en fixant des plafonds pour les migrants européens.
Entretemps, la commissaire en charge du dossier, Viviane Reding, avait présenté, le 25 novembre 2013, la mouture finale de sa communication sur le sujet ainsi qu'un plan d'action déjà détaillé en octobre pour aider les Etats membres à mieux appliquer les règles.
Pour rappel, les cinq mesures proposées par la Commission depuis octobre 2013 et dans la communication du 25 novembre :
L’approche de Viviane Reding se résume ainsi : il n’y a pas d’accès inconditionnel aux prestations sociales ; les Etats membres sont compétents ; ils sont surtout libres de décider quelles prestations ils veulent verser et à qui, ainsi que des conditions dans lesquelles ils les versent. Les États membres peuvent donc changer leurs règles nationales et même appliquer les dispositions européennes qui leur permettent d'expulser des citoyens européens. "Si les Etats membres veulent restreindre le bénéfice des prestations sociales, ils doivent faire deux choses : modifier leurs système de prestations sociales pour le rendre moins généreux et appliquer les règles européennes existantes qui luttent contre les abus, les fraudes et les erreurs, notamment des arrêtés d'expulsion et des interdictions d'entrée contre les coupables de fraudes", a-t-elle expliqué, citée par l’AFP. (voir pour le Luxembourg)
Les conclusions du Conseil JAI en disent long sur la suite : "Une majorité écrasante d’Etats membres sont tombés d’accord pour dire que la libre circulation des personnes est un principe fondamental de l’UE et un droit fondamental de tous les citoyens de l’UE qui devrait être maintenu et promu. Ils sont également tombés d’accord sur le fait que les cas individuels d’abus devraient être combattus dans le cadre des dispositions légales en vigueur et en coopération avec les autorités locales des Etats membres."
Les conclusions mentionnent aussi une déclaration conjointe des quatre pays "Visegrad" (Hongrie, Pologne, République tchèque et Slovaquie) qui juge qu’une application sélective par des Etats membres d’une des libertés fondamentales pourrait conduire à l’érosion du marché unique. La déclaration rappelle aussi que le Royaume-Uni a largement profité d’un point de vue économique des migrants d'Europe centrale et orientale qui sont jeunes et actifs. Elle admet qu’il y ait pu y avoir des abus "de systèmes trop généreux" et espère que les éventuelles nouvelles règles britanniques ne nuiront pas à la croissance ou au fonctionnement du marché intérieur.
Le programme de coalition contient sous la rubrique "Immigration" un passage qui résume l’approche du Luxembourg à la question qui a été discutée le 5 décembre au Conseil JAI, un passage qui est en ligne avec l’approche de la Commission européenne :
"Conformément au droit européen en matière de libre circulation des personnes, le citoyen de l’Union et ses membres de famille ont le droit au RMG au-delà des trois premiers mois de leur séjour et ne peuvent être discriminés par rapport au citoyen luxembourgeois.
Ainsi, une augmentation des demandes en obtention du RMG a été constatée qui s’explique par le fait que le Luxembourg dispose d’un système d’assistance sociale très attractif pour des citoyens de l’Union tant au niveau des aides allouées que par ses conditions assez peu exigeantes à remplir pour pouvoir bénéficier de ces prestations. Il ne s’agit cependant pas d’un phénomène exclusivement réservé au Luxembourg. Aussi, la Commission européenne estime-t-elle que les Etats membres devraient chercher des solutions dans le cadre d’une approche au cas par cas en conformité avec la législation existante. Le Gouvernement se propose d’entamer des discussions avec les partenaires plus directement concernés afin de dégager une solution viable et conforme tout en maintenant un haut degré d’engagement envers les personnes qui doivent pouvoir compter sur la solidarité internationale."
Le Conseil a eu "une discussion en profondeur sur le problème des combattants venant d’Europe qui traversent la frontière vers la Syrie pour y combattre, et sur la menace pour la sécurité dans l’UE que ceux-ci peuvent constituer après leur retour." Selon le ministre français de l’Intérieur, Manuel Valls, ce phénomène concernerait de 1 500 à 2 000 personnes, dont 184 Français. 400 combattants européens seraient encore actuellement sur place, 14 seraient morts, une centaine voudrait y aller et 80 sont revenus. Il aussi question de "100 et 150 Belges", selon Joëlle Milquet, ministre belge de l'Intérieur. La plupart de ces personnes auraient fait état de leur volonté de combattre dans les organisations proches d’Al-Qaida, a expliqué le ministre français.
Plusieurs approches ont été évoquées pour lutter contre ce phénomène : le renforcement de la coopération entre services de police et services de renseignement, à défaut de PNR européen recalé en 2012 ; le développement de liens entre les différents systèmes PNR nationaux ; le rapprochement éventuel des droits pénaux et le renforcement des arsenaux législatifs ; un dialogue avec les géants de l'Internet, du type Facebook ou Twitter, pour les aider à combattre le 'cyberjihadisme' et supprimer certains contenus.
La France et la Belgique coordonnent les actions des pays européens les plus concernés par ce problème. Trois réunions ministérielles ont déjà été organisées avec le Royaume-Uni, l’Allemagne, les Pays-Bas, l’Espagne, l’Italie, la Suède et le Danemark. Le 5 décembre, le ministre de l'Intérieur des USA, Rand Beers, et des représentants du Canada et de l'Australie, ont également participé à cette coordination. Selon Manuel Valls, sur la question de la lutte contre le "cyberjihadisme", " les Américains posent un problème à cause de leur premier amendement qui défend la liberté d'expression".
Le Luxembourg fait partie des pays qui ont demandé en août 2013 au Parlement européen qu'il contribue à la mise en place rapide d’un système PNR pour contrôler les allées et venues des ressortissants européens vers la Syrie et d’autres zones de conflit
Le Conseil JAI a finalement adopté sans débat les nouvelles règles (modifications du règlement 539/2001) relatives aux visas et à la liste des pays pouvant bénéficier d'une exemption. Le nouveau règlement introduit une clause de sauvegarde qui permet à l’UE de se prémunir contre d'éventuels abus et de suspendre provisoirement des accords de libéralisation des visas. Sont particulièrement visés les pays des Balkans occidentaux, comme la Serbie, l'ARYM, le Monténégro ou la Bosnie-Herzégovine, d’où viennent également la majorité des personnes qui sont des demandeurs d’asile politique au Luxembourg. Le règlement modifié entrera en vigueur le vingtième jour suivant celui de sa publication au Journal officiel de l'UE. Il est obligatoire dans tous ses éléments et directement applicable dans les États membres conformément aux traités. Le Royaume-Uni et l'Irlande ne participent pas à l'adoption du règlement et ne sont pas liés par celui-ci ni soumis à son application.