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Economie, finances et monnaie
La BCE annonce un programme de rachats massifs de dette pour faire face à une faible inflation
22-01-2015


Mario Draghi, président de la Banque centrale européenne (Source: BCE)La Banque centrale européenne (BCE) va effectuer des rachats massifs de dette, qui s'élèveront à au moins 1 140 milliards d'euros.  Ces rachats d'actifs seront échelonnés à raison de 60 milliards d'euros par mois à partir de mars 2015, a annoncé le conseil des gouverneurs de la BCE le 22 janvier 2015. L’objectif de la BCE est de remplir son mandat de stabilité des prix et de faire face aux risques d’une période trop prolongée de faible inflation, note le communiqué.

Dans le détail, ce programme sera mené  "jusqu'à fin septembre 2016" et en tout cas jusqu'à ce que le Conseil des gouverneurs observe un ajustement durable de l'évolution de l'inflation", a déclaré le président de la BCE, Mario Draghi, lors d’une conférence de presse. La BCE a pour objectif une inflation légèrement inférieure à 2 %, mais "la plupart des indicateurs de l’inflation effective et attendue dans la zone euro ont dérivé vers des planchers historiques", souligne le communiqué, qui ajoute qu’une "réaction vigoureuse de la politique monétaire était indispensable".

"L'inflation annuelle restera sans doute très basse voire négative dans les mois qui viennent", a déclaré Mario Draghi. "Des taux d'inflation aussi bas sont inévitables à court terme compte tenu de la baisse très forte et récente des prix pétroliers et en prenant pour hypothèse qu'aucune correction d'ampleur n'aura lieu dans les quelques mois à venir", a-t-il ajouté. Mario Draghi estime que l'inflation se redressera sans doute progressivement dans le courant de l'année 2015 et en 2016, grâce aux mesures de soutien à la demande de la BCE et à une reprise, progressive elle aussi, des cours pétroliers.

La BCE a projeté en décembre 2014 une inflation de 0,7 % cette année et de 1,3 % en 2016. Ces projections risquent toutefois d'être revues à la baisse car elles ne reflètent pas intégralement la récente baisse des prix pétroliers.

Le programme d'"assouplissement quantitatif" de la BCE

Un tel programme d'"assouplissement quantitatif" est souvent désigné par son acronyme anglo-saxon "QE" (quantitative easing). Les volumes dépendront de la part des banques centrales nationales au capital de la BCE. La BCE et les banques centrales nationales pourront racheter jusqu'à 25 % du montant de chaque émission obligataire des différents États, et pas plus de 33 % de la dette de chaque émetteur.

L'essentiel des rachats sera mis en œuvre par les banques centrales nationales des 19 pays de la zone euro, et seuls 20 % des titres achetés seront soumis à une mutualisation des risques, dont 8 % de titres achetés par la BCE et 12 % de titres d'institutions européennes qu'acquerront les banques centrales nationales. Pour ces 20 %, les pertes éventuelles qui en découleront seront assumées in fine par tous les contribuables de la zone euro.

La BCE va acheter sur le marché secondaire des obligations émises par les administrations centrales, les agences et les institutions européennes de la zone euro, précise le communiqué. Les institutions vendant ces titres pourront utiliser l’argent qu’elles en auront tiré pour acquérir d’autres actifs et octroyer des crédits à l’économie réelle, poursuit le texte. Dans les deux cas, cela contribue à un assouplissement des conditions financières, estime la BCE.

Mario Draghi a appelé les gouvernements nationaux à mettre en œuvre des réformes structurelles. "Plus ils le feront, plus la politique monétaire sera efficace", a-t-il martelé. Ces réformes et une politique monétaire expansive seraient la "combinaison optimale" pour favoriser la croissance et l’investissement, estime-t-il.

Jean Asselborn salue l’action de la BCE, tandis que Pierre Gramegna y voit "un bon mix" qui arrive "au moment opportun"

Le président du Parlement européen, Martin Schulz (S&D) et le ministre des Affaires étrangères luxembourgeois, Jean Asselborn, ont salué l’action de la BCE. Elle contribuera à la stabilité et à un climat de confiance dans la zone euro, a estimé Martin Schulz, selon ses propos rapportés par le quotidien Tagesspiegel. "Je suis totalement confiant que la BCE prendra les bonnes décisions pour la politique et la stabilité monétaire", a déclaré Jean Asselborn, selon la même source.

Le ministre luxembourgeois des Finances, Pierre Gramegna, a qualifié la politique de la BCE d'un "bon mix", qui devrait permettre une relance économique. Il estime que le moment était "opportun" pour une telle action. Vu qu'il y a déjà "beaucoup de liquidités sur le marché", l'objectif est maintenant de rendre accessible ces liquidités aux entreprises et que ces entreprises développent des projets, estime Pierre Gramegna, en ajoutant toutefois que la politique monétaire à elle seule ne sera pas suffisante pour relancer l'économie.

La chancelière allemande Angela Merkel a déclaré que les décisions de la BCE ne doivent pas "faire dévier du chemin des réformes", à l’issue d’une rencontre à Florence le 23 janvier 2015 avec le Premier ministre italien Matteo Renzi qui a soutenu les propos de la chancelière. Angela Merkel n’avait pas caché ces derniers temps ses réticences à l'égard de l’intervention de la BCE. "Il faut empêcher que la pression pour l'amélioration de la compétitivité diminue à cause de l'action de la BCE", avait-elle déclaré le 19 janvier 2015, selon le quotidien Le Figaro, lors de la réception de nouvelle année de la Bourse allemande où était présent Mario Draghi.

En revanche, l'annonce de la BCE a été saluée par les marchés financiers. "C'est plus que ce que les marchés attendaient", s'est réjoui Pat McArdle, qui préside le groupe des chefs économistes au sein de la Fédération bancaire européenne (FBE), cité par l’Agence Europe. 

Des réactions plutôt positives au Parlement européen

Les grands groupes politiques au Parlement européen ont eux aussi salué l’annonce de la BCE.

Pour le groupe PPE, la BCE est un "atout" sans lequel l’euro ne peut pas fonctionner. Le groupe a appelé la BCE à agir de manière "responsable, indépendante et transparente". Il a mis en avant l'importance des "progrès" qui restent à faire dans la consolidation des budgets nationaux qui représente une "condition préalable indispensable". "Rien ne laisse à supposer jusqu'à présent que cet assouplissement quantitatif rendra l'Europe plus compétitive ou créera plus d'investissements", a pour sa part constaté Gunnar Hökmark.

Le groupe S&D estime que l’action de la BCE est nécessaire pour éviter la déflation et sortir l’Europe de la crise. En revanche, la députée Maria João Rodrigues regrette que seulement 20 % des titres achetés soient soumis à une mutualisation des risques tandis pour les 80 % restants, le risque sera laissé aux banques nationales. "Cela envoie un mauvais signal quant à l’union monétaire", estime-t-elle, dénonçant le "renouvellement d’une fragmentation". Elle juge que la BCE a cédé à la pression du gouvernement allemand et de la banque fédérale allemande qui préfèrent "imposer des réformes conservatives aux pays faibles". La députée Elisa Ferreira a pour sa part appelé à faire pleinement usage de la flexibilité des règles budgétaires.

Pour Sander Loones (ECR), le "QE" est un "expérience" qui apporte plus de risques que de bénéfices. "On ne va pas résoudre la crise dans la zone euro en activant la planche à billets", a-t-il déclaré, jugeant que le crédit à bon marché n’est pas le problème. Il dénonce le fait que des personnes non démocratiquement élues prennent des décisions qui risquent de toucher la vie des citoyens, en affectant leur épargne, et d’empêcher les gouvernements de prendre des "décisions dures" pour regagner la compétitivité.

Pour Guy Verhofstadt, président de l’ALDE, le "QE" n’est pas une "solution miracle". Il appelle à poursuivre les réformes structurelles dans les Etats membres, notamment en Italie et en France : "La crédibilité de la zone euro dépend largement de la volonté politique de ces deux grandes économies à se réformer", estime-t-il. Il a également demandé la concrétisation du plan d’investissement et critiqué le fait qu’"aucun Etat membre n'a encore annoncé sa participation au système de garantie du plan d’investissement européen".

Si la BCE impose "comme condition" des réformes aux Etats membres pour l’achat d’actifs, il s’agit d’un "scandale politique" et d’une "violation de mandat" de la BCE, estime pour sa part Marisa Matias (GUE/NGL). Fabio de Masi reproche à Mario Draghi de "doper" un système financier qui est déjà assez liquide et qui nécessiterait des investissements réels. Pour Miguel Viegas, l’annonce de la BCE démontre "l’échec total" de sa politique.

Philippe Lamberts (Verts) a dénoncé des critiques "inacceptables" contre l'intervention de la BCE qui doit être, selon lui, combinée à des politiques d'investissement coordonnées au niveau européen. Il déclare espérer que cette intervention, "contrevenant à l'orthodoxie politique et économique de certains dirigeants européens, dont la chancelière allemande, n'arrive pas trop tard".