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Concurrence - Fiscalité
Tax ruling - La Commission européenne publie la version non confidentielle de sa décision d’ouvrir une enquête sur l’accord fiscal anticipatif accordé à Amazon par les autorités fiscales luxembourgeoises
16-01-2015


Le 16 janvier 2015, la Commission européenne a publié la version publique de la lettre adressée au Luxembourg le 7 octobre 2014 informant les autorités grand-ducales de l’ouverture d’une enquête approfondie concernant Amazon. Cette enquête vise à examiner si la décision des autorités fiscales luxembourgeoises relative à l’impôt sur les sociétés dû par Amazon au Luxembourg est conforme aux règles de l’UE en matière d’aides d’État.

Cette décision du 7 octobre 2014  s’inscrivait plus largement dans une série d’enquêtes lancées par la Commission concernant la pratique des rescrits fiscaux, ou décisions fiscales anticipatives, souvent connues sous le nom anglais de tax ruling.

La Commission enquête en effet depuis de longs mois sur les décisions anticipatives en matière fiscale prises au Luxembourg, aux Pays-Bas et en Irlande à l’égard de certaines multinationales, parmi lesquelles, outre Amazon, on trouve Fiat Finances and Trade, Starbucks et Apple. Si ces décisions, prises dans le cadre de la planification fiscale agressive pratiquée par ces entreprises, "ne posent pas problème en tant que telles" et "sont pratiquées par de nombreux Etats membres", elles peuvent impliquer des aides d’Etat illégales "au sens des règles de l’UE" si elles "sont utilisées pour conférer des avantages sélectifs à une entreprise ou à un groupe d’entreprises déterminés", a expliqué à plusieurs reprises la Commission.

En novembre dernier, peu de temps après son entrée en fonction et les révélations de l’enquête Luxleaks, la commissaire en charge de la Concurrence, Margrethe Vestager, avait dit "espérer finaliser" ces enquêtes "relativement rapidement, de façon prioritaire, d'ici au deuxième trimestre 2015". Elle avait souligné dans ce contexte que la coopération avec les autorités luxembourgeoises était "très bonne et très ouverte".

Les prix de transfert entre deux filiales qui font l’objet d’une décision anticipée accordée par l’administration fiscale luxembourgeoise à Amazon en 2003 sont au cœur de l’enquête

Le courrier du 7 octobre 2014 désormais public faisait suite à une lettre datée du 24 juin 2014 demandant aux autorités luxembourgeoises des informations détaillées au sujet de l’imposition du géant du commerce électronique. La lettre indique que les autorités luxembourgeoises y avaient répondu en août 2014 notamment en transmettant à la Commission une décision fiscale anticipative concernant Amazon et datée 6 novembre 2003. C’est ce document qui fait l’objet de l’enquête ouverte par la Commission.

Dans un premier temps, la lettre de la Commission décrit de façon détaillée la pratique et les différents règles et usages d’un "arrangement préalable en matière de prix de transfert" tel que celui dont fait l’objet le tax ruling dont bénéficie Amazon depuis 2003.

Dans ce courrier, les services de la Commission se penchent aussi sur la structure complexe du groupe Amazon, et plus précisément d’Amazon EU Sarl, entreprise enregistrée au Luxembourg et qui a bénéficié de ce ruling.

Ce sont notamment les liens entre l’entité LuxOpCo, siège principal d’Amazon au Luxembourg, et la société de commandite Lux SCS, qui n’est pas assujettie à l’impôt au Luxembourg, qui retiennent l’attention de la Commission. Lux SCS concède en effet les licences d'exploitation des droits de propriété intellectuelle du groupe Amazon à LuxOpCo pour que cette dernière puisse exploiter les sites web européens, en échange d'une redevance fiscalement déductible. 

Or, selon la décision fiscale anticipative obtenue des autorités luxembourgeoises - dont la Commission relève qu’elle a été donnée dans un délai de onze jours ouvrables après la demande formulée par Amazon, ce qu’elle trouve "très court" -, le versement de cette redevance "n'est pas lié à la production, aux ventes ou aux bénéfices", constate la Commission. Et elle estime qu'Amazon "a un intérêt financier à exagérer le montant de la redevance", et que c'est de nature à "réduire indûment l'impôt payé par Amazon au Luxembourg".

La Commission se livre a une analyse très détaillée de la façon dont est calculée cette redevance.Résultat, contrairement à ce que défendent les autorités luxembourgeoises dans leur position, que détaille la Commission dans la lettre, la Commission met en doute le fait que "le principe de pleine concurrence" soit bien respecté pour fixer le montant d’une telle redevance.

La Commission observe aussi que le tax ruling a été accordé à Amazon "il y a plus de 10 ans" et est toujours en vigueur "sans aucune révision". Or, relèvent les services de la Commission, "même s’il avait été considéré comme compatible avec le principe du prix de pleine concurrence au moment de la demande fait aux autorités luxembourgeoises, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, le caractère approprié de cette rémunération au fil des ans aurait dû être remis en question au vu de l’évolution de l’environnement économique et des niveaux de rémunération requis".

Pour la Commission, en octroyant à Amazon cette décision fiscale anticipative, les autorités luxembourgeoises lui ont "conféré un avantage", et cela a été fait "de manière sélective" dans la mesure où un ruling "déviant de la pratique administrative a pour effet de baisser la charge fiscale d’une entreprise par rapport aux entreprises opérant dans une situation juridique similaire".

C’est ce qui explique pourquoi la Commission considère cet arrangement fiscal comme une aide d’Etat.

La Commission s’attache ensuite à déterminer si cette aide d’Etat est compatible avec les règles du marché intérieur. Sur ce point, la Commission observe que les autorités luxembourgeoises, convaincues que ce ruling ne relève pas d’une aide d’Etat, "n’ont présenté aucun argument" indiquant qu’une des exceptions prévues en matière d’aide d’Etat s’appliquerait.  Mais de son point de vue, elle considère que "le tax ruling contesté s’avère résulter en une réduction des charges normalement assumées par l’entité concernée dans le cours de ses activités, et doit donc être considéré comme une aide à son fonctionnement". Et elle dit n’avoir "aucune indication que la mesure contestée peut être considérée comme compatible avec le marché intérieur".

"Le Luxembourg est confiant que les allégations d'aide d'État dans cette affaire sont sans mérite", commente aussitôt le gouvernement luxembourgeois

Aussitôt publiée, cette lettre a fait l’objet d’un commentaire du gouvernement luxembourgeois. Comme le souligne le gouvernement, la publication du texte de cette décision est "une étape formelle standard de la procédure", comme ce fut d’ailleurs le cas pour les lettres publiées fin septembre 2014 dans le cadre des affaires Fiat ou Apple.

"Le texte publié ne contient aucun élément nouveau", souligne le gouvernement luxembourgeois avant de souligner avoir "fourni toutes les informations requises par la Commission et collaboré pleinement avec la Commission dans son enquête". Le communiqué du gouvernement mentionne notamment que "les rapports détaillés sur les prix de transfert demandés par la Commission ont été communiqués". Ces rapports, essentiels pour analyser la façon dont la redevance payée par LuxOpCo à Lux SCS est calculée, étaient en effet demandés en fin de courrier et devaient être remis à la Commission dans un délai d’un mois avec d’autres documents.

"Le Luxembourg est confiant que les allégations d'aide d'État dans cette affaire sont sans mérite et qu'il sera à même de convaincre la Commission de la légitimité de la décision anticipative en cause et qu'aucun avantage sélectif n'a été accordé", assure le gouvernement.