Les chômeurs britanniques sont plus nombreux et perçoivent davantage d'indemnités dans les pays les plus riches de l'Union européenne que les nationaux de ces Etats membres sans emploi sur le sol britannique n’en perçoivent au Royaume-Uni, selon une enquête de The Guardian publiée dans l’édition du quotidien britannique datée du 19 janvier 2015. De quoi, appuie le quotidien, relativiser les affirmations du gouvernement britannique selon lequel les migrants européens afflueraient au Royaume-Uni pour obtenir de meilleures prestations sociales.
Selon l’enquête réalisée auprès de 23 des 27 autres Etats membres de l'UE, les ressortissants britanniques seraient au moins 30 000 à percevoir des indemnités de chômage dans d'autres pays de l'UE, soit 2,5 % des citoyens britanniques résidant dans d’autres Etats membres. Une proportion qui serait plus ou moins équivalente à celle que représentent les 65 000 citoyens européens réclamant de telles allocations au Royaume-Uni, relève le Guardian, alors que selon les chiffres du gouvernement britannique, le Royaume-Uni compte 2,7 millions de citoyens européens sur son sol et 1,3 millions de citoyens britanniques vivent dans un autre pays de l'UE.
L'enquête indique entre autres que les Britanniques sont quatre fois plus nombreux à recevoir des indemnités de chômage en Allemagne (6 022) que les Allemands au Royaume-Uni (1 470). De la même manière, les demandeurs d’emploi britanniques percevant des allocations au chômage en Irlande sont cinq fois plus nombreux (11 222) que leurs homologues irlandais au Royaume-Uni (2 620). Au Luxembourg, 85 Britanniques bénéficient des indemnités de chômage, soit huit fois plus que les 10 Luxembourgeois touchant les indemnités de chômage britanniques.
Le Guardian relève encore que dans neuf pays de l’UE, à savoir la Finlande, la Suède, le Danemark, la Belgique, le Luxembourg, l’Allemagne, l’Autriche, la France et l’Irlande, le nombre de Britanniques touchant des indemnités de chômage (23 011) est près de trois fois plus élevé que celui des chômeurs issus de ces pays et bénéficiant des allocations britanniques (8 720).
Par ailleurs, l’enquête réalisée par le quotidien britannique met en évidence que non seulement les Britanniques sont bien plus nombreux à recevoir des allocations dans ces pays de l’UE que l’inverse, mais que les allocations versées dans ces autres Etats membres sont beaucoup plus généreuses qu'au Royaume-Uni. Et le Guardian de citer en exemple la France, où un Britannique au chômage bénéficiera d’un niveau d’indemnisation plus de trois fois supérieur à celui d’un Français dans une situation identique au Royaume-Uni.
Les données récoltées par le Guardian relèvent néanmoins une fracture Est/Ouest et Nord/Sud en la matière. Ainsi, la situation s’inverse-t-elle tant dans les pays du sud de l’UE que dans les Etats les plus pauvres d'Europe orientale qui ont rejoint l'UE au cours de la dernière décennie.
Pour ce qui est des Etats membres de l’est de l’UE, les chiffres indiquent que très peu de Britanniques y touchent des allocations de chômage. Ainsi, sur les près de 30 000 Britanniques touchant des prestations de chômage dans d'autres pays de l'UE, seuls 62 se trouvent dans les dix pays analysés qui ont adhéré à l’UE depuis 2004, souligne ainsi le Guardian. Néanmoins, "les chiffres pour les ressortissants de ces 10 pays bénéficiant de l'allocation de recherche d'emploi au Royaume-Uni restent modestes, malgré les cris périodiques sur l’existence d’un "tourisme aux prestations sociales"", écrit le quotidien britannique.
Seuls un peu plus de 1 000 Roumains et quelque 500 Bulgares touchent de telles prestations au Royaume-Uni, relève-t-il ainsi. Les Polonais, en revanche, avec près de 15 000 ressortissants, représentent actuellement le plus important contingent de citoyens européens à percevoir les allocations de chômage britanniques, tandis que seuls deux Britanniques touchent les indemnités de chômage polonaises.
La tendance est encore relativement similaire dans les pays du sud de l’UE. Ainsi, les Italiens, les Espagnols et les Portugais sans emploi indemnisés au Royaume-Uni comptent pour plus du double du nombre de leurs homologues britanniques indemnisés dans ces trois Etats membres (13 580 contre 5 670).
Invitée à commenter les résultats de l’enquête par le Guardian, la commissaire européenne en charge de la Justice, des Consommateurs et de l'Egalité des genres, Vĕra Jourová, a estimé que "la libre circulation de nos citoyens est essentielle à l'Union européenne. C'est un droit fondamental et un atout pour notre Union. La libre circulation des personnes, pour travailler, vivre ou voyager dans d'autres pays de l'UE, est au cœur d'un marché unique robuste. C'est un véritable atout pour notre économie et notre société. Mais les abus affaiblissent la liberté de circulation. Par conséquent, les États membres doivent s'attaquer fermement aux abus et la législation de l'UE doit fournir les outils pour cela".
La publication de cette enquête fait suite à la visite à Londres de la chancelière allemande, Angela Merkel, venue discuter avec David Cameron, le Premier ministre britannique, de la volonté de ce dernier "réformer" le principe de la libre-circulation dans l'UE. Une volonté qui s’inscrit dans la tentative du chef de gouvernement Britannique de renégocier les termes de l'adhésion du Royaume-Uni à l'UE avant de soumettre la question à référendum en 2017, s'il devait être réélu lors des législatives britanniques de 2015.
Pour mémoire, la crainte de l’existence d’un "tourisme aux prestations sociales" qui serait pratiqué par les migrants intra-UE n’est pas neuve dans l’Union, mais elle a été régulièrement mise en doute par la Commission européenne. Au printemps 2013 notamment, les ministres de l'Intérieur de l'Allemagne, de l'Autriche, des Pays-Bas et du Royaume-Uni avaient adressé une missive à la Commission, dénonçant le fait que les migrants issus d'autres États membres mettraient considérablement sous pression certaines régions, et en particulier leurs systèmes de prestations sociales (chômage, soins de santé, etc.).
Le Conseil JAI s’était alors saisi de la problématique et avait invité la Commission à examiner la mise en œuvre des règles relatives à la libre circulation, y compris les orientations en matière de lutte contre les abus et infractions à ces règles. Dans son rapport présenté en octobre 2013, la commissaire en charge de la Justice, Viviane Reding, avait souligné que les chiffres montraient au contraire que les migrants intra-UE contribuaient au budget public et n’en étaient pas avant tout les bénéficiaires.
Une étude commanditée par la Commission et publiée aussi en octobre 2013 avait également jugé ces craintes "non fondées". Elle mettait notamment en évidence que globalement, la part des migrants intra-UE non actifs était très faible et qu’ils représentaient une part tout aussi limitée parmi les bénéficiaires de prestations non-contributives alors que l'impact budgétaire de ces prestations sur les budgets sociaux des Etats membres était également très faible. Et la Commission d’en conclure que tout comme dans de précédentes analyses sur le sujet, "les résultats […] ont confirmé de manière constante que les travailleurs d'autres États membres sont en réalité des contributeurs nets aux finances publiques du pays hôte".
Une étude britannique du Centre de recherche d'analyse de la migration du University College London (UCL), publiée le 5 novembre 2014, a d’ailleurs corroboré ces résultats pour le Royaume-Uni. Elle mettait en évidence que les immigrants européens au Royaume-Uni ont payé plus d'impôts que ce qu'ils ont reçu en termes de prestations, aidant ainsi à soulager le fardeau fiscal des travailleurs nés au Royaume-Uni et contribuant au financement des services publics.
Plus récemment, le 11 novembre 2014, la Cour de Justice de l’UE (CJUE) a statué dans un arrêt que les ressortissants d'un Etat membre de l'Union, sans activité économique et séjournant sur le territoire d'un autre Etat membre dans le seul but d'utiliser le système de protection sociale, peuvent être exclus de certains avantages sociaux. Ce jugement avait suscité la satisfaction des principaux groupes politiques au Parlement européen qui avaient estimé qu'il contribuait à clarifier les règles et que les Etats membres disposaient de différents outils juridiques pour défendre leur système social contre les abus, tout en évitant de violer la libre circulation des citoyens.