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Parlement européen - Fiscalité
Le groupe des Verts/ALE a récolté le nombre de soutien requis au Parlement européen en vue de créer une commission d’enquête sur l’évasion, la fraude et l’optimisation fiscale dans le contexte des révélations Luxleaks
14-01-2015


C'est sous le titre "Luxembourg Leaks" que l'ICIJ a publié le 6 novembre 2014 plusieurs centaines d'accords fiscaux entre l'administration fiscale et 340 multinationales. Source : www.icij.orgLe groupe des Verts/ALE au Parlement européen a annoncé être parvenu à récolter le soutien requis dans l’hémicycle en faveur de la création d'une commission d'enquête parlementaire sur la fraude, l'évasion et l'optimisation fiscales dans le contexte des révélations "Luxleaks", lors d’une conférence de presse à Strasbourg, le 14 janvier 2015.

Les Verts/ALE ont ainsi indiqué avoir réuni 194 signatures de députés européens sur les 188 nécessaires (25 % des membres de l’assemblée) pour la constitution d’une telle commission. Parmi les signataires, les Verts/ALE ont rallié la moitié des députés allemands PPE (de la CDU d'Angela Merkel), 31 députés S&D, 14 membres de l'ALDE, 11 du groupe ECR, la quasi-totalité des groupes des Verts/ALE et de la GUE/NGL, ainsi que ceux du mouvement italien Cinq étoiles (EFDD) a précisé l’eurodéputé Allemand Sven Giegold, porte-parole du groupe pour les affaires économiques et financières, notant que le groupe avait exclu de constituer une majorité avec les adversaires de l'Europe, dont les députés du Front National français ou de l'UKIP britannique.

Le sort de la commission d’enquête repose désormais dans les mains des présidents de groupes politiques au Parlement. Le projet de mandat doit en effet obtenir l’aval de la conférence des présidents, qui décidera si elle le confirme et le transmet à la plénière du Parlement européen qui devra alors se prononcer à la majorité simple.

Le contexte

Pour mémoire, les révélations dites "Luxleaks", début novembre 2014, ont mis le Luxembourg en cause comme un moteur d’évasion fiscale pour de grandes multinationales (en raison des "tax rulings" accordés par son administration), mettant en lumière la manière dont certaines entreprises exploitaient la concurrence fiscale entre les Etats membres de l'UE afin de réduire drastiquement leur contribution à l’impôt, parfois sous la barre de 1 % de leurs bénéfices.

Elles ont provoqué un grand nombre de réactions, tant au Parlement européen où le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, appelé à s’expliquer par plusieurs groupes politiques, avait promis aux députés européens en session plénière le 12 novembre 2014 d’œuvrer le plus vite possible à une harmonisation fiscale au niveau européen, que parmi plusieurs Etats membres, qui réclament une action de l’UE en la matière. Dans ce contexte, une motion de censure contre la Commission Juncker, déposée au Parlement européen par 76 députés, dont une majorité appartenant au groupe eurosceptique EFDD dirigé par le leader de l’UKIP britannique Nigel Farage, ainsi que plusieurs non-inscrits, notamment issus du Front National français, avait été rejetée en plénière le 27 novembre.

Finalement, le Parlement européen avait choisi de charger sa commission des Affaires économiques et monétaires (ECON) de la rédaction de deux rapports d’initiatives relatifs à l’équité fiscale (un rapport d’enquête et un rapport de nature législative), faute de soutien des principaux groupes politiques, dont les présidents s’étaient prononcés contre la demande de commission d’enquête portée par les Verts/ALE et soutenue par la GUE/NGL. Une réponse que les Verts/ALE avaient alors jugée "extrêmement faible au regard des enjeux".

Le projet de mandat

Selon le projet de mandat, la commission d’enquête proposée par les Verts/ALE serait chargée d'examiner les allégations de violation ou de mauvaise administration dans l'application du droit communautaire "au regard des accords fiscaux délivrés par des États membres".

Il s’agit tout particulièrement de se pencher sur de possibles violations des règles du marché intérieur en matière d’aides d’Etat (article 107 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, TFUE), d'évaluer la violation potentielle par la Commission de sa mission au regard de ces règles et d'enquêter sur de possibles manquements au regard de l'obligation de coopération et de transmission de tous les documents nécessaires. Enfin, la commission viserait à évaluer une possible violation par certains États membres des principes de coopération loyale, notamment les obligations de faciliter l'accomplissement par l'Union de sa mission et de s'abstenir de toute mesure susceptible de mettre en péril la réalisation des objectifs de l'Union, du fait de l'ampleur prétendue de la fiscalité agressive planifiée par des États membres et des incidences significatives probables sur les finances publiques de l'UE et au sein de celle-ci, lit-on dans le document.

Les Verts/ALE seraient néanmoins tout à fait prêts à négocier des changements dans le contenu projet de mandat de cette commission d'enquête, a précisé Sven Giegold.

La commission d’enquête, moyen le plus efficace selon les Verts/ALE

"Le fait d’avoir convaincus nos collègues des autres groupes en excluant sciemment les députés extrémistes europhobes, montre que nous ne sommes pas les seuls à penser qu'une telle commission est le moyen le plus efficace dont nous disposons pour mettre à jour les failles et abus au niveau fiscal en vue d'y remédier par une réponse globale de l’UE", s’est notamment félicité le président du groupe des Verts/ALE, le Belge Philippe Lamberts. Il a par ailleurs expliqué qu'il ne s'agissait pas de cibler Jean-Claude Juncker, actuel président de la Commission et ancien Premier ministre luxembourgeois, ou de jeter le blâme sur un pays en particulier, mais de voir si les États étaient prêts à mettre un terme "à la guerre fiscale". La commission d'enquête montrera d’ailleurs que le Luxembourg n'est pas seul en cause, a-t-il encore affirmé.

"L'un des principaux objectifs de cette commission d'enquête sera également d'évaluer dans quelle mesure ces pratiques fiscales délétères constituent une infraction à l'égard des traités européens ou un manquement des pouvoirs publics – qu'ils soient nationaux ou européens – au regard du principe de solidarité entre États membres", a pour sa part estimé la Française Eva Joly, membre de la commission des libertés civiles, de la justice et affaires intérieures (LIBE) au Parlement, citée dans un communiqué diffusé par son groupe le 14 janvier. "Nous comptons donc sur les forces qui se disent progressistes ou pro-européennes pour ne plus chercher à bloquer cette proposition de commission d'enquête. C'est une condition essentielle pour que le dossier de la justice fiscale progresse et ne reste pas la chasse gardée des États Membres enclins au statu quo", a-t-elle poursuivi.

Cité par les quotidiens Luxemburger Wort et Tageblatt, l’eurodéputé luxembourgeois Claude Turmes, le seul parmi ses compatriotes au Parlement à soutenir une telle commission, s’est pour sa part dit satisfait que l’on sorte des attaques unilatérales contre le Luxembourg afin de se pencher sur les pratiques dans toute l’UE et de chercher une solution au niveau européen contre l’injustice fiscale.

Du côté du groupe des socialistes et démocrates (S&D) au Parlement européen, son président, l’Italien Gianni Pittella a dit "prendre note" du fait que le nombre de signatures requises pour créer une commission d’enquête avait été atteint, tout en soulignant que son groupe restait "convaincu" que le rapport législatif à réaliser par la commission ECON du Parlement "sera la meilleure façon de forcer le Commission à agir afin de lutter contre la concurrence fiscale déloyale entre les Etats membres", lit-on dans un communiqué diffusé sur le site des S&D le 14 janvier.

Et de rappeler qu’une commission d'enquête ne peut se pencher que sur des cas passés d’infraction. "Nous voulons prévenir d'éventuels nouveaux cas de Luxleaks à l'avenir. Par conséquent, nous sommes confiants que la commission d'enquête travaillera en collaboration avec la commission des Affaires économiques".

Le président du groupe des libéraux (ALDE), Guy Verhofstadt (Belge), a pour sa part souligné via un communiqué diffusé le même jour que son groupe "ne voit aucun inconvénient à ce que le rapport d'enquête devienne une commission d'enquête", tout en posant une condition : "Nous devons aussi poursuivre notre travail sur le rapport et présenter des propositions législatives pour trouver une solution européenne contre l'évasion fiscale et la fraude fiscale. Les citoyens européens attendent des résultats de notre part, pour cela nous devons changer les pratiques fiscales en Europe."

Le groupe de la GUE/NGL, qui avait soutenu la proposition des Verts, s'est également félicité du ralliement de députés conservateurs, socialistes et libéraux "malgré la réticence de leurs présidents de groupe à appuyer une telle enquête", lit-on dans un communiqué diffusé le 14 janvier sur le site du groupe. "Étant donné que l'évitement de l'impôt des sociétés est – pour l'essentiel – scandaleusement légal dans l'UE, pour la GUE/NGL c'est une première victoire que tant de députés aient exprimé un intérêt à créer une commission d'enquête", poursuit le groupe.