Les eurodéputés de la commission de l’Environnement (ENVI) ont adopté le 24 février 2015 leur position en deuxième lecture sur un projet législatif visant à soutenir la transition vers des biocarburants avancés. Les amendements apportés à ce projet législatif ont été adopté par 39 voix pour, 26 voix contre et 4 abstentions. C’est avec 46 voix pour, 20 contre et 2 abstentions que le rapporteur, Nils Torvalds (ALDE), a pu obtenir un mandat pour débuter les négociations avec la présidence lettone du Conseil des ministres en vue d'un possible accord en seconde lecture.
Avec ce projet législatif, les eurodéputés ont pour ambition de plafonner la production de biocarburants traditionnels et d’accélérer la transition vers d'autres sources, comme les algues ou les déchets, ainsi que de réduire les émissions de gaz à effet de serre qui résultent de l'utilisation croissante de terres agricoles afin de produire des biocarburants.
Pour rappel, dans ce dossier, la Commission avait présenté en octobre 2012 une proposition de directive "visant à restreindre la conversion de terres en cultures destinées à la production d'agrocarburants et à accroître les effets bénéfiques pour le climat des biocarburants utilisés dans l’UE". Ce texte proposait de modifier la directive sur les énergies renouvelables 2009/28/CE et celle sur la qualité des carburants 2009/30/CE, afin de limiter à 5 des 10 % visés, la part d'agrocarburants produits à partir de denrées alimentaires.
Le Parlement européen avait adopté sa position sur ce dossier en première lecture dès le mois de septembre 2013, sur la base d’un rapport adopté en commission en juillet 2013. Mais la commission Environnement n’avait ensuite pas réussi à s’entendre pour ouvrir les négociations avec le Conseil en octobre 2013. Il aura donc fallu attendre la fin de la législature, les élections européennes et le début de la nouvelle législature pour revenir sur le dossier. Entre temps, le Conseil a adopté en décembre 2014, sans débat, sa position, qui résulte de discussions menées en juin 2014.
Comme en septembre 2013, le texte adopté en commission ENVI le 24 février prévoit que les biocarburants de première génération - produits à partir de cultures alimentaires - ne devraient pas dépasser 6 % de la consommation énergétique finale dans les transports d'ici 2020. Pour rappel, le Conseil s’est pour sa part entendu pour plafonner ces biocarburants à 7 %, tandis que la Commission proposait un plafond de 5 %.
Les biocarburants avancés, produits à partir d'algues ou de certains types de déchets, devraient représenter au moins 1,25 % de la consommation énergétique dans les transports d'ici 2020, affirment par ailleurs les députés.
La position du Conseil prévoit que les États membres seraient tenus de définir des objectifs nationaux pour les biocarburants avancés sur la base d'une valeur de référence de 0,5 point de pourcentage de l'objectif d'une part de 10 % d'énergie renouvelable dans le secteur des transports, fixé dans la directive relative aux sources renouvelables. Ils pourraient fixer un objectif inférieur, mais seraient tenus d'exposer les motifs justifiant un objectif inférieur à 0,5 point de pourcentage ainsi que les motifs justifiant un écart par rapport à leur objectif national pour les biocarburants avancés.
Principal enjeu des discussions, la prise en compte des "changements indirects de l'affectation des sols" (CIAS ou, en anglais, ILUC) est restée un élément important dans la position des parlementaires. En effet, le recours aux terres agricoles pour la culture de biocarburants réduit la surface disponible pour les cultures alimentaires. Cela s'ajoute à la pression visant à libérer davantage de terres, par exemple par la déforestation, afin de cultiver plus de denrées alimentaires. La déforestation en soi augmente néanmoins les émissions de gaz à effet de serre, qui peuvent annuler une partie des effets bénéfiques issus de l'utilisation de biocarburants. Depuis 2008, le Parlement demande que le facteur CIAS soit pris en compte dans la politique européenne à l'égard des biocarburants, dont le budget s'élève à 10 milliards d'euros par an.
Pour rappel, la proposition de la Commission ne prévoyait pas la prise en compte de ces CIAS, et les discussions ont été ardues au Conseil sur ce point, le Luxembourg ayant compté parmi les Etats membres qui ont plaidé pour leur prise en compte. En fin de compte, le résumé que donnent les services du Parlement européen de la position du Conseil indique que le Conseil n’a pas accepté l'amendement du Parlement visant à inclure, à partir de 2020, les facteurs de CIAS dans le calcul des émissions de gaz à effet de serre produites par les biocarburants tout au long de leur cycle de vie, dans le cadre de la directive concernant la qualité des carburants.
"Je me réjouis vivement du vote d'aujourd'hui, après des années d'incertitude, le Parlement européen dispose maintenant d’un mandat fort afin d’entamer des négociations avec les États membres de l'UE", s’est félicité le rapporteur, Nils Torvalds (ADLE) après l'adoption des amendements au projet législatif en commission de l'environnement. "Ce dossier a été extrêmement difficile, mais en même temps très intéressant", a-t-il commenté, en exprimant son espoir que "les résultats des négociations avec le Conseil des ministres seront positifs."
Pour le rapporteur fictif Christofer Fjellner (PPE), le vote de la commission ENVI "met en danger l’ensemble de la réforme des biocarburants" en ouvrant "un combat symbolique" avec les Etats membres. A ses yeux, la position adoptée en commission risque en effet de rendre plus difficile la possibilité de parvenir à un accord avec le Conseil. "Ce n’est pas le soutien dont la seconde génération de biocarburants a besoin", a-t-il encore commenté.
C’est la question de la prise en compte des CIAS qui menace l’issue des négociations en trilogue, selon un communiqué du groupe PPE. Quantifier les changements indirects de l’affectation des sols implique selon le groupe PPE "une grande incertitude" car "les causes sont souvent multiples, complexes, liées et changent avec le temps". "Cette position extrême rendrait la directive sur les biocarburants encore plus imprévisible qu’elle ne l’est aujourd’hui", dénonce aussi le groupe PPE, qui s’est prononcé contre le texte soumis au vote en commission.
Enrico Gasbarra (S&D), rapporteur fictif pour le groupe S&D, a pour sa part salué un vote par lequel "l’UE fait un pas de plus vers un futur plus vert et plus durable". "L’Europe avance vers des règles innovantes en matière de biocarburants", estime l’eurodéputé qui se félicite que la commission ENVI veuille mettre fin à "la concurrence entre nourriture et carburants".
Du côté des Verts européens, un communiqué de presse salue la prise en compte des CIAS, mais souligne que le texte voté ne va pas apporter de réponse à tous les problèmes posés par la production et l’utilisation des biocarburants. Le rapporteur fictif du groupe, Bas Eickhout, a ainsi salué le fait que la prise en compte des émissions résultant des changements indirects d’affectation des sols va "aider à assurer que l’UE ne promeut pas l’usage de biocarburants qui ont clairement un impact négatif sur le climat". Mais il déplore que les biocarburants de première génération ne soient plafonnés qu’à hauteur de 6 %, un plafond qu’il juge "clairement trop haut" alors qu’utiliser pour les voitures des céréales servant à l’alimentation fait monter les prix de l’alimentation et contribue à la déforestation. Martin Häusling, porte-parole du groupe pour les questions de politique agricole, a lui aussi souligné que les biocarburants peuvent "polluer plus que les énergies fossiles". Il se montre aussi critique au sujet du soutien aux carburants avancés : de son point de vue, ce qu’on considère comme "déchets" n’en sont pas - par exemple la paille, dont il souligne qu’elle apporte beaucoup d’humus dans les champs -, tandis que "les algues se nourrissent elles aussi de biomasse qui vient de quelque part où elle va peut-être manquer".