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Agriculture, Viticulture et Développement rural - Énergie - Environnement
Le Parlement européen vote en faveur d’une limitation des agrocarburants de première génération pour atteindre les objectifs de l’UE en matière d’énergie renouvelable
12-09-2013


biofuels source: commissionLe Parlement européen réuni en séance plénière le 11 septembre 2013 a adopté des mesures pour réorienter la politique de biocarburants de l'UE, afin de plafonner la part des agrocarburants classiques et accélérer le passage à une nouvelle génération de produits.

A une courte majorité, par 356 voix pour, 327 contre et 14 abstentions, les députés ont décidé que la part des agrocarburants de première génération, produits à partir de cultures alimentaires et énergétiques ne devrait pas dépasser 6 % de l’énergie finale consommée dans les transports en 2020, contre 10 % selon l'objectif initial en vigueur. Les agrocarburants de deuxième génération, issus de l’exploitation d’autres sources (des algues ou de certains déchets), devront représenter pas moins de 2,5 % de la consommation en 2020.

Les députés ont ainsi suivi en partie la proposition de la Commission européenne d’octobre 2012 visant à limiter la part des agrocarburants de première génération pour remplir les objectifs de l’UE en matière d’énergie durable et à introduire le facteur CASI (changement d’affection des sols indirect) dans la législation, via la modification des directives 2009/28/CE "énergies renouvelables" et 98/70/CE "qualité des carburants".

Le facteur CASI

L’objectif poursuivi est de contrer les effets négatifs qui seraient induits par la déforestation et l'utilisation croissante de terres agricoles pour la production des agrocarburants classiques, fabriqués en grande partie à partir de cultures alimentaires (plantes sucrières, oléagineuses ou céréales). Selon divers modèles scientifiques, les émissions de gaz à effet de serre résultant du phénomène CASI peuvent annuler en grande partie les effets positifs de ces agrocarburants de première génération par rapport aux carburants fossiles.

Les questions de la sécurité alimentaire, en particulier dans les pays en développement, ou de la volatilité des prix de certains aliments résultant de cette exploitation sont d’autres sujets de préoccupation, mis notamment en avant par diverses ONG, mais aussi par une récente étude du Centre commun de recherche de l’UE. La réalité du facteur CASI avait néanmoins été, dès son introduction dans le débat, très vivement critiquée de la part des industriels qui contestaient sa validité scientifique. Un désaccord qui se sera retrouvé au cœur même du PE.

Ainsi alors que la commission parlementaire de l’environnement (ENVI) demandait un plafonnement des agrocarburants classiques à 5,5 % de l’énergie finale consommée dans les transports en 2020, celle de l’industrie (ITRE) proposait de les limiter à 6,5 %. De même, si la commission ENVI voulait l’intégration du facteur CASI dans les deux directives, celui-ci sera pris en compte à partir de 2020 dans la directive sur la qualité des carburants. Le texte proposé par la rapporteure du texte, la députée française Corinne Lepage (ALDE), se voulait donc un compromis.

Lobbying de l’industrie

Celle-ci a souligné dans l’hémicycle la difficulté d’un débat dans lequel "les intérêts économiques ont été extrêmement présents". Par deux voix d’écart, la rapporteure n’a par ailleurs pas obtenu le mandat de négociation de première lecture avec le Conseil qu’elle souhaitait. "Cela aurait permis d'avoir un texte avant la fin de la mandature, mais là, il n'y en aura pas avant 2015", a-t-elle expliqué à l'AFP.

L’ancienne ministre française de l'Ecologie a estimé que les conservateurs du PPE, en votant contre un tel mandat, avaient préféré satisfaire un "petit conglomérat d'intérêts" industriels hostiles au texte en retardant le processus législatif. Selon elle, rapporte l’Agence Europe, ce choix serait "contre-productif pour l'industrie car l'incertitude est un facteur de non-investissement, pour les agrocarburants de première génération, mais aussi pour ceux de deuxième génération car le plafond n'est pas définitif. C'est regrettable au moment où l'Europe a besoin d'innovation. Ce report profitera à ceux qui reçoivent des subventions. Il est curieux que le Parlement qui se veut libéral ait rejeté l'amendement des Verts visant à supprimer en 2018 les agrocarburants de première génération. Le grand gagnant, c'est l'industrie de l'huile de palme qui a fait un lobbying indécent."

Diverses ONG ont pour leur part jugé sévèrement l'accord trouvé au PE. "Le vote d'aujourd'hui est un aveu d'échec des politiques face aux lobbies industriels", a déploré Clara Jamart, d'Oxfam France, cité par l'AFP, alors que Greenpeace dénonçait un vote "incohérent".

Il appartient à présent aux États membres d’adopter une position commune. Si celle-ci diffère de celle du PE, une seconde lecture aura lieu.

Les réactions luxembourgeoises

Dans un communiqué publié à l’issue du vote, l’eurodéputée luxembourgeoise Astrid Lulling (PPE) se félicitait du refus du PE d’engager les négociations dès cette première lecture avec le Conseil sur ce "sujet controversé" qu'est l'introduction du CASI. La députée conservatrice conteste la validité scientifique du facteur CASI et a voté contre le fait qu'il soit pris en compte, tout comme elle a voté contre le compromis sur le texte dans son ensemble, contrairement à ses collègues Georges Bach, Frank Engel, Charrles Goerens et Claude Turmes. Pour elle, "la production de biocarburants n’est pas responsable de la faim dans le monde" et "affirmer qu’elle conduit à la déforestation est totalement faux".

"Cela n’a donc pas de sens d’adopter dans l’urgence une législation qui aura des conséquences dramatiques sur l’économie européenne", a-t-elle appuyé. "N'oublions pas les investissements déjà réalisés dans la production de biocarburants, qui devraient d'abord être rentabilisés avant que nous ne poussions les PME concernées à la faillite."

Son collègue Claude Turmes, vice-président du groupe des Verts au Parlement européen, qui tout comme son collègue Goerges Bach aurait préféré que la part des agrocarburants dans la consommation finale soit de 5,5 % et pas de 6 % comme il a été finalement décidé, émettait pour sa part une analyse complètement inverse. S’il saluait le fait qu’une majorité du PE a choisi d’encadrer les agrocarburants de première génération, "qui peuvent être produits aux dépens de la sécurité alimentaire", et "de prendre en considération leur impact sur le bilan climatique", il a déploré "le choix des conservateurs et de l’extrême droite" de refuser les négociations en première lecture. "Cela nous fait perdre un temps précieux", a-t-il regretté, pointant du doigt une décision également "contreproductive pour l’industrie et l’économie européennes" car elle repoussera les investissements dans les nouvelles générations d’agrocarburants. "C’est un mauvais signal envoyé par l’UE", a-t-il conclu.