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Énergie
En seconde lecture, la commission Environnement du Parlement européen n’a pas réuni assez de voix en faveur de mesures de réduction des effets climatiques de la production d'agrocarburants pour que les négociations avec le Conseil commencent
17-10-2013


biofuels source: commissionLe 17 octobre 2013, avec 34 voix pour, 18 contre et une abstention, la commission Environnement (ENVI) du Parlement européen n’a pas réuni les deux tiers des voix nécessaires pour l’ouverture des négociations avec le Conseil en vue de l’adoption en seconde lecture des mesures de réorientation de la politique européenne en matière d'agrocarburants, adoptées le 11 septembre 2013 par le Parlement européen. Ce jour-là, les eurodéputés avaient adopté ces mesures en première lecture, à une courte majorité (356 voix pour, 327 contre et 14 abstentions). Néanmoins, il avait manqué deux voix pour accorder un mandat de négociation de première lecture avec le Conseil, à la rapporteure du projet, Corinne Lepage. Le texte devait donc repasser devant la commission parlementaire puis refaire l’objet d’une négociation avec le Conseil avant une deuxième lecture devant le Parlement européen.

Les mesures dont il est question sont des amendements aux directives sur la qualité des carburants et sur les énergies renouvelables. Selon le texte de compromis adopté par le Parlement européen, la part d'agrocarburants (dits également biocarburants) de première génération, produits à partir de cultures alimentaires et énergétiques, ne devait pas dépasser 6 % de l’énergie finale consommée dans les transports en 2020. Les agrocarburants de deuxième génération, issus de l’exploitation d’autres sources (des algues ou de certains déchets), devaient représenter au moins 2,5 % de la consommation en 2020. Les députés avaient suivi en cela la proposition de la Commission européenne d’octobre 2012 visant à limiter la part des agrocarburants de première génération pour remplir les objectifs de l’UE en matière d’énergie durable et à introduire en conséquence le controversé facteur CASI (changement d’affection des sols indirect) dans la législation.

Privée de mandat de négociation en première lecture, la rapporteure Corinne Lepage avait, après le vote du 11 septembre 2013, expliqué que "cela aurait permis d'avoir un texte avant la fin de la mandature, mais là, il n'y en aura donc pas avant 2015". Néanmoins, selon les indications de la Présidence lituanienne, le Conseil était favorable  à un "accord rapide en seconde lecture" pour réussir à maintenir l’objectif fixé de boucler le dossier avant les élections de 2014.

Avec le vote de la commission ENVI, le texte ne pourra plus être adopté avant cette échéance électorale. Et Corinne Lepage n’a pas apprécié qu’on renvoie ainsi l’adoption du texte aux calendes grecques. "Le PPE [Parti populaire européen] et l'extrême droite ont bien défendu les lobbys des biocarburants de première génération", qui y gagnent "sept milliards d'euros par an de subvention", a-t-elle déclaré sur son compte Twitter à l’issue du vote, selon des propos rapportés par Euractiv dans un article daté du 21 octobre 2013. Désormais, c’est au Conseil des ministres de redéfinir une position commune  et de la soumettre à un nouveau vote du Parlement.

L'eurodéputé vert luxembourgeois, Claude Turmes, a estimé "inacceptable que le PPE bloque les négociations sur ce dossier pour protéger l'industrie désastreuse, sur les plans environnemental et de sécurité alimentaire, des agrocarburants de première génération". "Ainsi les conservateurs empêchent de donner un signal fort pour plus de sécurité d'investissement aux agrocarburants de 2e génération, minimisant la problématique du déplacement de surfaces agricoles et d'émissions de gaz à effet de serre accrues."

Les autres réactions

Nusa Urbancic, spécialiste des carburants propres du groupe de réflexion Transport and Environment, a declaré, dans un communiqué de presse, qu’il s’agissait avec ce vote "d’un cas bien malheureux d’intérêts particuliers l’emportant sur des innovateurs désirant et étant capables de produire plus de biocarburants durables". Pour illustrer le travail de pression des "intérêts particuliers", elle a cité la lettre, adressée le 15 octobre 2013, par un groupement d’industriels de divers domaines aux représentants des Etats membres au sein du COREPER, appelant à ce que Parlement européen et Conseil ne prennent pas de "décisions précipitées en raison de contraintes temporelles, c’est-à-dire de la volonté de clore le dossier avant les élections de 2014". La législation introduisant le facteur CASI constitue "un revirement dans la politique européenne en matière de biocarburants, avec des implications majeures sur nos industries et la fourniture en protéines et en pulpes de betterave pour nourrir les animaux", prévenait-il.

L’innovation que constitue le facteur CASI, dont l’introduction impliquerait le développement de biocarburants de seconde et troisième génération, reste la cible d’industriels établis. Faisant partie des signataires de la lettre susmentionnée, l’European Biodiesel Board (EBB) a réagi par communiqué de presse au vote de la commission ENVI en se félicitant que fut empêchée une "nouvelle tentative d’en venir à des décisions précipitées et émotives sur le dossier CASI".  

"Après la publication d’informations sûres et mises à jour sur le facteur CASI, un nombre grandissant de décideurs partage une approche plus prudente et plus ouverte", a constaté son secrétaire général Garofalo. L’EBB rappelle que la rapporteure Corinne Lepage avait eu une majorité plus confortable le 11 juillet 2013, lors de l’adoption en première lecture au sein de la commission ENVI, et attribue l’effritement de cette dernière "aux pressions excessives pour accélérer ces décisions".

Au contraire, le 4 octobre 2013, un groupe de seize organisations composé notamment du groupe de réflexion Transport&Environment, d’organisations de défense des animaux tels Birdlife et WWF, d’organisations pour la lutte contre le changement climatique ou encore d’ industriels développant des biocarburants de nouvelle génération tels Novozymes, avaient appelé par courrier le Parlement européen et le Conseil à donner "un cadre politique soutenable, durable et stable pour l’industrie des biocarburants", avant les élections de mai 2014. Le groupe, comprenant par ailleurs la compagnie aérienne British Airways, rappelait les défis auxquels faisait face l’UE, à savoir la réduction de la pollution par le secteur du transport ou encore la transformation en biocarburants de gaz issus des déchets.  

Le site Euractiv rapporte pour sa part la réaction de Faustine Defossez, responsable de la politique agricole du Bureau européen de l'environnement (BEE), coauteur de la lettre envoyée des seize organisations. "Ce refus de mettre rapidement la politique sur le bon chemin n'est rien d'autre qu'un cadeau à l'industrie des biocarburants, même si elle pourrait ne pas l’envisager de cette manière entre-temps", a-t-elle déclaré. "Ce vote accroît les incertitudes à propos de l'avenir de l'industrie des biocarburants. En laissant la porte ouverte aux émissions ainsi qu’aux dégâts sur l'environnement et la société, il augmente l'impopularité de cette politique aux yeux des citoyens européens."