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Economie, finances et monnaie - Emploi et politique sociale
"L’étau se resserre et l’indépendance financière de la BCL est non assurée", déclare Gaston Reinesch dans les colonnes du Paperjam au sujet d’une sous-capitalisation qu’il vit comme "une épée de Damoclès" financière et opérationnelle
12-03-2015


Dans un long entretien publié dans l’édition du mois d’avril 2015 du magazine Paperjam, Gaston Reinesch, président de la Banque centrale luxembourgeoise (BCL), évoque avec la journaliste Véronique Poujol les grands défis auquel fait face l’institution qu’il préside. Le président de la BCL y prend aussi position sur des dossiers politiques d’actualité.www.paperjam.lu

Interrogé sur les relations de la BCL avec le gouvernement, qu’il juge "bonnes", Gaston Reinesch commence par rappeler la spécificité de la BCL, "établissement public" certes, mais "sui generis". "La BCL a un double statut, européen et national, découlant des statuts du Système européen des banques centrales, faisant partie intégrante du traité sur l’Union européenne, et de sa loi organique nationale", rappelle ainsi le président de cette institution dont il souligne l’indépendance, tant fonctionnelle, opérationnelle, personnelle que financière. Revenant sur le contexte de sa création qui "ne fut pas accompagnée d’un grand enthousiasme dans une partie du monde politico-économique", Gaston Reinesch se souvient que "bien nombreux ont été ceux qui ne voyaient pas l’utilité d’une banque centrale", un réflexe "qui perdure encore chez d’aucuns". Pourtant, rappelle le gouverneur de la BCL, "ces réflexions ignoraient complètement, une sorte de déni de réalité, que cette création était tout simplement une exigence du traité de Maastricht". Aujourd’hui, le président de la BCL constate au Luxembourg "un manque de culture de banque centrale, un manque de compréhension de ses missions et des besoins qui en découlent".

Finances publiques luxembourgeoises : la BCL ne dispose pas encore de l’ensemble des données nécessaires et utiles, mais les choses avancent

En juin 2014, la BCL annonçait qu’elle ne serait pas en mesure de publier une analyse approfondie des finances publiques luxembourgeoises en raison d’une absence d’accès aux données pertinentes. Véronique Poujol aborde à nouveau le sujet avec le président de la BCL. Celui-ci souligne que "la BCE a encore récemment précisé que le suivi de développements budgétaires est une des missions à effectuer régulièrement par les banques centrales nationales afin d’assurer une vision correcte de la position à adopter en matière de politique monétaire". Or, souligne une fois de plus Gaston Reinesch, "un tel suivi requiert un accès total à toutes les données pertinentes relatives aux finances publiques". En ce qui concerne le projet de budget 2015, Gaston Reinesch indique ne pas encore disposer de l’ensemble des données qu’il juge "nécessaires et utiles", à savoir certaines données fiscales et des données sur certains types de dépenses publiques. Mais "les choses avancent", salue-t-il toutefois.

Indexation des salaires : le maintien de ce mécanisme constitue "une rigidité qui peut empêcher des ajustements"

Véronique Poujol aborde dans son entretien avec Gaston Reinesch la question de la réintroduction de l’index des salaires, en faisant notamment référence à une étude de l’Université du Luxembourg sur la formation des salaires parue en juillet 2014.

"La principale conclusion de l’analyse de l’Université est que dans les quatre pays étudiés, tout choc permanent aux prix est en définitive compensé par un ajustement des salaires", résume le gouverneur de la BCL qui voit là rien de surprenant. "Elle apporte peu de réponses quant à l’impact de l’indexation sur la compétitivité", estime-t-il. Il juge qu’il aurait été "plus pertinent de se demander si les chocs d’offre (dans lesquels la littérature économique admet généralement que l’indexation est nuisible, comme l’a expliqué auparavant Gaston Reinesch) sont plus ou moins fréquents au Luxembourg que dans d’autres économies". Le président de la BCL suggère d’autre questions, comme celles de "savoir si l’indexation assure la stabilité des salaires réels au prix d’une volatilité accrue des salaires nominaux porteuse de possibles coûts additionnels, ou bien de savoir si le système d’indexation au Luxembourg, basé sur l’inflation passée, accentue les comportements rétrospectifs, induisant ainsi des rigidités réelles face aux chocs".

Pour ce qui est de sa position sur le mécanisme d’indexation des salaires, lequel était régulièrement pointé du doigt par son prédécesseur à la tête de la BCL, Yves Mersch, Gaston Reinesch souligne que "des conclusions extrêmes ou simplistes" sur le sujet sont "malsaines". "Il ne me semble pas approprié de conclure qu’une abolition de l’indexation améliorerait à ce stade de façon très significative le fonctionnement de l’économie luxembourgeoise. En revanche, le fait que le mécanisme d’indexation a été appliqué depuis plusieurs décennies ne doit pas non plus donner l’impression qu’il est inoffensif. Il est ainsi tout aussi aventureux d’affirmer que son maintien est nécessairement approprié, alors que certains secteurs se trouvent dans une récession longue et profonde depuis 2008", explique le président de la BCL.

Gaston Reinesch développe ses vues en soulignant que "si certaines branches doivent s’ajuster à des chocs structurels défavorables", on "ne peut pas écarter d’office des ajustements ad hoc et temporaires du mécanisme d’indexation". Le maintien de ce mécanisme constitue à ses yeux "une rigidité qui peut empêcher des ajustements et, partant, le bon fonctionnement, par exemple du marché de l’emploi". Le maintien du mécanisme requiert aussi son intégration dans les négociations salariales entre partenaires sociaux, indique le président de la BCL qui souligne qu’il est "de leur responsabilité de veiller à la formation appropriée des salaires nominaux".

Enfin, Gaston Reinesch met le doigt sur la problématique des prix de l’immobilier qui "directement ou indirectement, se répercute de façon préjudiciable à travers l’ensemble de notre économie, en termes de compétitivité et en termes sociaux", comme l’a souligné la BCL dans plusieurs de ses publications.

Comité du risque systémique : "le projet de loi n’est pas parfait", mais "mon principal souci à ce stade est que le Luxembourg sorte de la situation d’absence d’une entité macro-prudentielle, qui est préjudiciable en termes de réputation internationale"

Dans cet entretien, Gaston Reinesch est invité à prendre position sur le projet de loi créant le Comité du risque systémique, qui est, souligne Véronique Poujol, enfin prêt à être adopté. Pour rappel, le gouvernement avait déposé ce projet législatif en février 2014, et il avait fait l’objet d’un avis très critique de la part de la BCE. Un avis sur lequel avaient réagi les deux rapporteurs.

Gaston Reinesch se réjouit de voir que les amendements apportés par la Chambre "ont introduit davantage de transparence quant à la publication des avis, des alertes et des recommandations du Comité". Il tance toutefois au passage de le Conseil d’Etat qui, dans son avis, juge "inconcevable" que le Comité puisse prendre en compte  le secteur dit shadow banking (ou système bancaire parallèle). A ses yeux, "limiter le périmètre de compétence macro-prudentielle reviendrait à empêcher le Comité de satisfaire aux finalités mêmes d’une approche macro-prudentielle, à savoir identifier et, si possible, éviter la matérialisation de risques systémiques dans et à travers l’ensemble du système financier".

En bref, pour Gaston Reinesch, "le projet de loi n’est pas parfait", mais le président de la BCL dit partir "du principe qu’il faut accorder du temps au cadre actuel pour qu’il puisse révéler ses forces et ses faiblesses, donnant ainsi l’opportunité au législateur, si nécessaire, d’ajuster le texte au fil de l’expérience et à la vue d’un certain nombre de remarques que la BCL a émises dans son avis et dont il n’a pas été tenu compte jusqu’à présent". "Mon principal souci à ce stade est que le Luxembourg sorte de la situation d’absence d’une entité macro-prudentielle, qui est préjudiciable en termes de réputation internationale", indique-t-il.

La BCL doit assurer le secrétariat du Comité, souligne Gaston Reinesch  qui indique que l’institution qu’il dirige "n’aspire qu’à bien remplir les missions qui lui sont assignées et à obtenir les moyens pour les exécuter de manière appropriée". Il ne manque pas de glisser "qu’aucune compensation financière n’est prévue au bénéfice de la BCL" qui doit "renforcer ses ressources en vue de cette nouvelle mission".

"Les missions de la BCL se sont approfondies et élargies au cours de ces dernières années"

Plus largement, "les missions de la BCL se sont approfondies et élargies au cours de ces dernières années", indique Gaston Reinesch qui explique que les nouvelles responsabilités de la BCE en matière de supervision bancaire et de politique macro-prudentielle élargissent le champ des responsabilités des banques centrales nationales.

"Les exigences statistiques auxquelles est confrontée la BCL augmentent également", ajoute-t-il en citant la nécessité, émanant de la BCE, de mettre en place un registre des crédits d’ici 2017.

Gaston Reinesch explique ensuite "la responsabilité considérable" qu’a la BCL dans la mise en place d’un système d’identification des entités et fonds d’investissement domiciliés au Luxembourg, LuxSCD : "Nous sommes responsables pour évaluer l’éligibilité de quelque 7200 titres utilisés comme garanties dans l’ensemble des opérations de politique monétaire, ce qui représente approximativement 21 % du nombre total des titres éligibles dans l’ensemble de l’Eurosystème" alors que "la part de capital dans l’ensemble de la BCE n’est que de 0,2 %".

Enfin, Gaston Reinesch rappelle que la BCL est aussi impliquée dans la mise en œuvre du projet Target 2 Securities (T2S), projet de l’Eurosystème qui consiste à "créer une plateforme permettant aux dépositaires centraux de titres de traiter les instructions de règlement-livraison en monnaie banque centrale, contribuant ainsi à la création d’un marché des capitaux européen vaste et homogène".

Autant de développements qui impliquent des systèmes opérationnels "entièrement fiables et assurant un haut niveau de sécurité", ponte Gaston Reinesch qui souligne que la BCL "ne peut se permettre d’être un maillon faible" dans le réseau des banques centrales de l’Eurosystème.

La BCL va donc devoir envisager un renforcement des effectifs et, pour limiter l’impact sur les dépenses, elle est en train de mettre en place des projets de coopération avec des universités et centres de recherche.

"L’étau se resserre et l’indépendance financière de la BCL est à mes yeux non assurée"

Pour ce qui est de la base capitalistique de la BCL, dont Gaston Reinesch avait déjà relevé l’insuffisance en mai 2014, elle est "extrêmement faible", déplore le président de la BCL qui donne des chiffres explicites : au 1er décembre 2014, le ratio fonds propres / total de bilan était de 0,9 % alors que la moyenne de l’Eurosystème s’établit à quelque 6 %. Si cette problématique date de la création de la Banque, elle n’a pas été abordée concrètement au fil du temps et ne cesse de s’amplifier, déplore le président de la BCL. Les réviseurs externes de la BCL pointent en conséquence "une grande vulnérabilité à d’éventuelles pertes résultant de risques, tous hors de notre contrôle", rapporte Gaston Reinesch qui augure que "cela pourrait se concrétiser par le fait que la Banque pourrait se retrouver bientôt avec des fonds propres négatifs".

"Cette sous-capitalisation continue à constituer une épée de Damoclès financière et, par ricochet, opérationnelle pour la BCL", analyse Gaston Reinesch qui juge la situation d’autant plus "inquiétante au vu du niveau historiquement bas des taux d’intérêt, puis qu’il devient de plus en plus difficile de générer des revenus, sachant évidemment que les banques centrales n’ont nullement pour objectif de maximiser leurs résultats, ce qui serait en flagrante contradiction avec leur mandat de maintenir la stabilité des prix". "L’étau se resserre et l’indépendance financière de la BCL est à mes yeux non assurée", conclut le président de cette institution.