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La Cour de Justice de l’UE rejette les deux recours de l’Espagne contre les règlements qui mettent en œuvre la coopération renforcée dans le domaine de la création d’une protection unitaire conférée par un brevet
05-05-2015


Le 5 mai 2015, la Cour de Justice de l’UE a rejeté deux recours de l’Espagne contre deux règlements qui font partie “paquet brevet unitaire” – un paquet législatif de trois textes visant à mettre sur pied un brevet d’invention européen à effet unitaire (BEEU) – à savoir le règlement sur la création d’une protection unitaire conférée par un brevet (affaire C-146/13) et celui qui règle les modalités applicables en matière de traduction (affaire C-147/13).

Le contexte

CJUELes trois textes du  “paquet brevet unitaire”, signé à Bruxelles le 19 février 2013 sous forme d’une coopération renforcée, sont l’Accord relatif à une juridiction unifiée du brevet (JUB), un traité qui vise à mettre en place une juridiction unifiée du brevet (JUB ou UPC selon le nom en anglais "Unified Patent Court") pour le règlement des litiges liés aux brevets européens classiques et aux brevets européens à effet unitaire ; et les règlements communautaires n° 1257/2012 et n° 1260/2012, du 17 décembre 2012, mettant en œuvre une coopération renforcée dans les domaines respectifs de la création d’un brevet européen à effet unitaire et des modalités de traduction de ces brevets. Ces deux derniers règlements sont entrés en vigueur le 20 janvier 2013, mais ne produiront leurs effets que lorsque l’accord sur la JUB entrera en vigueur.

Ce paquet a été conclu sous la forme d’une coopération renforcée, car le 10 novembre 2010, les gouvernements de l'UE avaient échoué à se mettre d'accord sur la création d'un brevet commun aux 27 pays. L'Espagne et l'Italie avaient en effet rejeté une proposition de compromis limitant à trois langues le nombre de traductions nécessaires dans l'UE pour permettre à un brevet d'être valable sur l'ensemble du territoire de l'Union. Dans ce contexte, dix pays, dont le Luxembourg, avaient demandé en décembre 2010 la mise en place d’une coopération renforcée. La Commission avait présenté aussitôt une proposition législative et suite à l’approbation du Parlement européen, le Conseil a autorisé en mars 2011, une coopération renforcée en vue de créer une protection par brevet unitaire entre 25 États membres. Rome et Madrid avaient dans ce contexte saisi la Cour de Justice d’un recours en annulation contre cette décision du Conseil. Le 16 avril 2013, la Cour avait toutefois rejeté ces recours. Cependant, l’Espagne – cette fois sans l’Italie – a présenté le 22 mars 2013 deux nouveaux recours devant la CJUE contre les deux règlements mettant en œuvre la coopération renforcée.

Affaire C-146/13 relative au règlement sur la création d’une protection unitaire conférée par un brevet

L’Espagne conteste notamment la légalité, au regard du droit de l’Union, de la procédure administrative antérieure à la délivrance du brevet européen, le brevet actuellement en vigueur qui est accordé de manière centrale par l’Office Européen des Brevets. Elle estime que cette procédure échappe à un contrôle juridictionnel permettant de garantir l’application correcte et uniforme du droit de l’Union et la protection des droits fondamentaux, ce qui porterait atteinte au principe de protection juridictionnelle effective. La Cour écarte l’argument de l’Espagne en faisant observer que le règlement communautaire n’a nullement pour objet d’encadrer, même partiellement, les conditions de délivrance des brevets européens actuellement en vigueur, lesquelles sont régies uniquement par la par la convention de Munich sur le brevet européen (CBE) – un accord international qui ne relève pas du droit de l’Union – et qu’il n’intègre pas non plus la procédure de délivrance des brevets européens prévue par la CBE dans le droit de l’Union.

« En effet, le règlement se limite, d’une part, à fixer les conditions dans lesquelles un brevet européen préalablement délivré par l’Office européen des brevets (OEB) conformément aux dispositions de la CBE peut, à la demande de son titulaire, se voir conférer un effet unitaire et, d’autre part, à définir cet effet unitaire », souligne la Cour.

L’Espagne soutient également que l’article 118, premier alinéa, du traité sur le fonctionnement de l’UE (TFUE) concernant la protection uniforme des droits de propriété intellectuelle dans l’Union ne constitue pas une base juridique appropriée pour le règlement. La Cour signale à cet effet que la protection unitaire conférée par un brevet est propre à prévenir des divergences en termes de protection par brevet dans les États membres participants et, vise ainsi une protection uniforme des droits de propriété intellectuelle sur le territoire de ces États.

L’Espagne conteste par ailleurs l’attribution aux États membres participants, au sein d’un comité restreint du Conseil d’administration de l’Organisation européenne des brevets, de la compétence pour fixer le niveau des taxes annuelles et définir leur clé de répartition. La Cour relève à cet égard que, selon le TFUE, ce sont les États membres qui prennent toutes les mesures de droit interne nécessaires pour la mise en œuvre des actes juridiquement contraignants du droit de l’Union. Ce sont nécessairement les États membres participants, et non la Commission ou le Conseil, qui doivent prendre toutes les mesures nécessaires à l’exécution de ces tâches, dès lors que l’Union, à la différence de ses États membres, n’est pas une partie contractante de la CBE. La Cour ajoute que le législateur de l’Union n’a pas délégué aux États membres participants ni à l’Office européen des brevets des compétences d’exécution qui lui appartiendraient en propre en vertu du droit de l’Union.

Affaire C-147/13 relative au règlement qui règle les modalités applicables en matière de traduction

En ce qui concerne les modalités applicables en matière de traduction, l’Espagne allègue en particulier la violation du principe de non-discrimination en raison de la langue, dès lors que, à son avis, le règlement instaure, pour le BEEU, un régime linguistique qui porte préjudice aux personnes dont la langue n’est pas l’une des langues officielles de l’Office européen des brevets.

Pour rappel : en ce qui concerne les modalités de traduction du brevet unitaire, il a été décidé d'appliquer le régime linguistique de l'Office européen des brevets, qui repose sur trois langues officielles, à savoir l'allemand, l'anglais et le français. Après la délivrance du brevet européen, aucune traduction manuelle ne sera plus requise si le titulaire du brevet opte pour un brevet unitaire.

Madrid soutient que toute exception au principe de l’égalité entre les langues officielles de l’Union doit être justifiée par des critères autres que de nature purement économique.

La Cour relève que le règlement opère un traitement différencié des langues officielles de l’Union. Néanmoins, elle souligne que le règlement a un objectif légitime, à savoir de créer un régime simplifié et uniforme de traduction pour le BEEU et faciliter ainsi l’accès à la protection offerte par le brevet, notamment pour les petites et moyennes entreprises. En effet, la complexité et les coûts particulièrement élevés qui caractérisent le système actuel de protection du brevet européen constituent un obstacle à la protection par le brevet dans l’Union et produisent des effets négatifs sur la capacité d’innovation et de compétitivité des entreprises européennes, surtout des petites et moyennes entreprises. La Cour souligne que le régime linguistique établi par le règlement rend plus facile, moins coûteux et juridiquement plus sûr l’accès au BEEU et au système du brevet en général.

Le règlement est aussi proportionné, car il préserve le nécessaire équilibre entre les intérêts des demandeurs de BEEU et ceux des autres opérateurs économiques en ce qui concerne l’accès aux traductions des documents accordant des droits ou les procédures impliquant plusieurs opérateurs économiques, et ce, à travers la mise en place de plusieurs mécanismes (notamment un système de compensation pour le remboursement des coûts de traduction, une période transitoire jusqu’à ce qu’un système de traduction automatique de haute qualité soit disponible dans toutes les langues officielles de l’Union et la traduction intégrale du BEEU pour les opérateurs suspectés de contrefaçon en cas de litige).

La Cour déclare en outre que l’article 118, second alinéa, TFUE constitue une base juridique correcte pour le règlement, car celui-ci établit effectivement le régime linguistique d’un titre européen (à savoir le BEEU), défini par renvoi à la CBE.