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Le surcoût de l’étiquetage obligatoire de certains aliments dépasserait ses avantages, estime la Commission européenne à l’occasion de la publication de deux rapports sur le sujet
20-05-2015


tracabiliteLes avantages d’un étiquetage obligatoire de l’origine de certains produits laitiers et de certaines viandes ne l’emporteraient pas clairement sur les surcoûts qu’impliqueraient de telles exigences : dès lors, les règles d'étiquetage volontaire semblent être la solution la plus adaptée en la matière. Telle est la conclusion à laquelle aboutit la Commission européenne sur base de deux études externes commanditées sur le sujet qui ont donné lieu à deux rapports de l’institution à destination du Parlement européen et du Conseil, publiés le 20 mai 2015, au titre du règlement sur l'information due aux consommateurs sur les denrées alimentaires.

L’étude commanditée par la Commission recommande l’étiquetage obligatoire du pays d’origine pour les viandes mineures non transformées et pré-emballées

Le premier rapport de la Commission qui porte sur l’étiquetage de l’origine du lait et des produits laitiers ainsi que de certains types de viande dites "mineures", notamment de cheval, de lapin et de gibier (autres donc que la viande bovine, porcine, ovine, caprine et la viande de volaille pour lesquelles des règles sont déjà en place), repose sur une étude datant de septembre 2014.

Les principales conclusions de celle-ci consistent à recommander d’introduire l'étiquetage obligatoire du pays d’origine pour les viandes mineures non transformées et pré-emballées "si son coût est en accord avec ce que le consommateur est disposé à payer", disent les auteurs.

Cette obligation devrait ainsi être étendue à la viande de cheval non-transformée préemballée pour laquelle les auteurs conseillent un étiquetage obligatoire du pays de naissance, du pays d’élevage et du pays d’abattage. Cependant, précisent les auteurs de l’étude, "de telles règles d'étiquetage ne peuvent être mises en place qu’à partir du renforcement du système actuel d’identification et de traçabilité des chevaux", actuellement en cours de préparation. La recommandation est identique pour la viande de lapin et de gibier d’élevage non transformée et pré-emballée, tandis que pour le gibier sauvage, il s’agirait d’indiquer le pays de chasse.

Pour le lait et les produits laitiers, les auteurs relèvent un intérêt clair de la part du consommateur pour un étiquetage de l’origine mais aussi que différentes enquêtes suggèrent que son consentement à payer est faible et probablement surestimé. Et de préciser que dans tous les pays où une étude de cas a été menée, des produits laitiers portant un étiquetage volontaire précisant l'origine du lait ont été identifiés, ces démarches volontaires témoignant du bon fonctionnement du marché du lait: "lorsqu’un groupe de consommateurs est prêt à payer pour un étiquetage de l’origine, on trouve des transformateurs prêts à offrir un étiquetage de l’origine, qui prend alors une valeur commerciale", indiquent les auteurs.

"En dépit d'un intérêt des consommateurs pour l'origine" des produits, "dans l'ensemble, le consentement à payer pour cette information semble insuffisant", juge la Commission

Le rapport de la Commission européenne conclut pour sa part qu’actuellement, les consommateurs ont déjà la possibilité de choisir des produits laitiers ou à base de viande pour lesquels les exploitants du secteur alimentaire fournissent volontairement des informations sur l'origine. Selon la Commission, "il peut s'agir d'une solution satisfaisante qui n'impose pas de charges supplémentaires sur l'industrie et les autorités", lit-on dans le rapport qui précise que "l'indication obligatoire de l'origine sur l'étiquette entraînerait une hausse de la charge réglementaire pour la plupart des produits" examinés dans l’étude.

Pour la Commission, il s’agit donc "d'apprécier si l'équilibre entre les coûts et les avantages est tel qu'il justifierait cette indication obligatoire". Or, celle-ci conclut dans ce contexte qu’ "en dépit d'un intérêt des consommateurs pour l'origine" des produits visés par l’étude, "dans l'ensemble, le consentement à payer pour cette information semble insuffisant dans [leur] chef".

Par ailleurs, si elle relève que pour ce qui est du lait, bien que le coût de l'indication de l'origine pourrait être faible dans l'ensemble, "l'impact sur les exploitants sera inégal puisque certains devront introduire des systèmes de traçabilité supplémentaires au prix d'une majoration élevée des coûts, en particulier ceux qui se trouvent dans les régions frontalières ou dans des zones qui ne produisent pas suffisamment de lait pour répondre à leurs besoins".

De même, souligne la Commission, l'étude montrerait que, pour le lait utilisé comme ingrédient dans les produits laitiers, l'indication obligatoire de l'origine "peut entraîner des conséquences économiques négatives, imposer des exigences supplémentaires en matière de traçabilité et serait contraignant pour les produits à haut degré de transformation". Enfin, pour ce qui est des viandes visées dans le rapport, la Commission conclut que "des coûts opérationnels supplémentaires devront être supportés pour imposer l'indication obligatoire de l'origine".

L’indication de l’origine à titre facultatif serait le scénario le plus favorable pour les denrées alimentaires non transformées, selon la Commission

Le second rapport publié par la Commission porte sur l’étiquetage de l’origine des denrées alimentaires non transformées, des produits comprenant un seul ingrédient et des ingrédients constituant plus de 50 % d’une denrée alimentaire et repose également sur une étude datée elle aussi de septembre 2014.

Le rapport conclut notamment, que si deux tiers à trois quarts des consommateurs déclarent attacher de l’importance à l’indication de l’origine pour les produits visés, cet intérêt serait "plus faible que pour les catégories d’aliments telles que la viande, les produits à base de viande ou les produits laitiers", y lit-on. L’étude relevait d’ailleurs à cet égard "un paradoxe des consommateurs à l’égard de l’étiquetage obligatoire, à savoir l’existence d’une divergence entre l’intérêt fort exprimé en sa faveur et le comportement d’achat réel".

Par ailleurs, il s’agit ici de catégories alimentaires qui, note la Commission dans son rapport, "regroupent des produits très différents pour lesquels l’intérêt manifesté par le consommateur pour les informations relatives à l’origine ainsi que l’impact économique de l’obligation d’indiquer l’origine affichent des écarts importants".

En outre, les chaînes d’approvisionnement des catégories de denrées alimentaires couvertes par le rapport montrent que l’origine des ingrédients est fréquemment modifiée afin de maintenir les prix d’achat à un bas niveau et de conserver la qualité du produit final. Dès lors, il est selon la Commission "très complexe, dans de nombreux secteurs alimentaires, de mettre en œuvre l’indication obligatoire de l’origine au niveau de l’UE et a fortiori au niveau national", un scénario qui se traduirait en effet "par une forte augmentation des coûts de production, qui seraient in fine répercutés sur les consommateurs", dit le rapport de la Commission.

La Commission relève d’ailleurs dans ce contexte que si les consommateurs déclarent qu’ils achèteraient des produits nationaux pour soutenir l’économie de leur pays, il existe toutefois des différences importantes entre les États membres. Les consommateurs préféreraient d’ailleurs des informations sur le pays d’origine plutôt qu’une mention UE/non-UE, et semblent davantage intéressés par le lieu de production que par le lieu d’obtention de la matière première principale, souligne encore la Commission dans son rapport.

Selon la Commission, l’indication de l’origine à titre facultatif serait donc "le scénario qui perturberait le moins le marché et permettrait de maintenir le coût des produits aux niveaux actuels". Si l’institution convient qu’elle "ne permettrait pas de répondre de façon satisfaisante à la demande d’informations systématiques sur l’origine", elle estime que "les consommateurs pourraient, s’ils le souhaitent, choisir des aliments dont l’origine a été indiquée, à titre facultatif, par les exploitants du secteur alimentaire".

Un autre scénario possible serait celui de l’indication obligatoire de l’origine au niveau de l’UE (UE/non-UE ou UE/pays tiers), qui se traduirait par une augmentation moins forte des coûts de production, des charges moins importantes, tant pour les exploitants que pour les autorités, mais également par un niveau de satisfaction des consommateurs moindre qu’avec une indication obligatoire au niveau du pays, relève encore la Commission. Mais de souligner que "contrairement à l’indication au niveau de l’UE, celle au niveau du pays aurait un impact important sur le marché intérieur, avec une possible augmentation de la consommation des denrées alimentaires locales pour certains marchés".

D’autres éléments s’opposeraient par ailleurs à une indication obligatoire de l’origine selon la Commission qui note qu’une telle obligation pourrait "affecter les fournitures internationales de denrées alimentaires et interférer avec des accords commerciaux existants avec des pays tiers". La baisse de la compétitivité des exploitants européens sur le marché international et les craintes des exploitants de pays tiers quant à une hausse de leurs coûts de production et une baisse de leurs exportations vers l’UE si les consommateurs privilégient les denrées alimentaires d’origine UE, sont ainsi également mis en évidence, de même que la charge supplémentaire pour les autorités compétentes des États membres en termes de contrôle notamment.

"Sur cette toile de fond et compte tenu des efforts de la Commission en vue d’améliorer la réglementation, l’indication facultative de l’origine sur l’étiquette, combinée aux systèmes déjà existants d’indication obligatoire de l’origine pour des denrées alimentaires ou des catégories d’aliments spécifiques, apparaît comme étant l’option appropriée", conclut donc le rapport de la Commission. Selon l’institution, cette solution permettrait en effet le maintien des prix de vente aux niveaux actuels tout en assurant "quand même aux consommateurs, s’ils le souhaitent, de choisir des produits ayant des origines particulières, sans nuire à la compétitivité des exploitants du secteur alimentaire, au marché intérieur ou au commerce international".

Le contexte

Pour rappel, depuis 2002, en vertu du règlement 1760/2000, les organisations qui commercialisent de la viande bovine, européenne ou importée, doivent indiquer le pays de naissance, le pays d’élevage et le pays d'abattage des animaux. Selon le règlement d’exécution 1337/2013, publié le 13 décembre 2013 au Journal officiel de l’UE, ces règles sont également valables depuis le 1er avril 2015 pour l’étiquette des viandes fraîches, réfrigérées et congelées des animaux des espèces porcine, ovine, caprine et des volailles, mais à l’exception du pays de naissance. Celui-ci prévoyait par ailleurs des dérogations pour ce qui est des viandes émincées et agglomérées.

Le Parlement européen avait alors invité la Commission européenne à revenir sur ce règlement d’exécution, dans une résolution adoptée en février 2014 en séance plénière qui suivait l’avis de sa commission environnement (ENVI) et demandait notamment l’obligation de mentionner le lieu de naissance des animaux ainsi que la supression de toute dérogation. "Les consommateurs souhaitent avoir une vue d'ensemble de la chaîne d'approvisionnement de la viande", avait alors affirmé la rapporteure du texte, la Britannique Glenis Willmott (S&D). Le Parlement n’avait cependant pas obtenu de soutien du Conseil réuni dans sa formation Agriculture en juin suivant, plusieurs Etats membres jugeant qu’il était allé trop loin. Le Luxembourg avait alors estimé que la résolution parlementaire n'était pas fondée en droit et que l'acte d'exécution de la Commission devrait être maintenu en l'espèce.

Dans une nouvelle résolution adoptée en février 2015, le Parlement européen a une nouvelle fois réclamé l'étiquetage obligatoire du pays d'origine d’une viande utilisée comme ingrédient dans les aliments transformés.

Par ailleurs, en mars 2014, la Commission européenne avait déjà présenté aux ministres réunis en Conseil Agriculture un rapport datant de décembre 2013 sur la possibilité d'étendre l'indication obligatoire de l'origine à toutes les viandes utilisées comme ingrédient. L'une des principales conclusions de ce rapport était déjà que les consommateurs sont intéressés par une indication de l'origine de la viande, mais qu'ils ne sont pas disposés à payer les hausses de prix inhérents à cet étiquetage, et que des hausses de prix inférieures à 10 % font chuter de 60 à 80 % la volonté du consommateur de payer davantage. D'après ce rapport, plus l'indication sera précise, plus les coûts seront élevés.