La Commission européenne a demandé le 27 mai 2015 aux Etats membres de l'UE de prendre en charge sous deux ans 40 000 candidats à l'asile syriens et érythréens arrivés en Grèce et Italie, dans le cadre d’une relocalisation de réfugiés qu’elle avait proposée dans son agenda en matière de migration, présenté il y a deux semaines. L’agenda prévoyait pour la première fois l’activation du mécanisme d'urgence prévu à l'article 78, paragraphe 3, du traité sur le fonctionnement de l’UE (TFUE), pour aider les États membres qui font face à un afflux soudain de migrants. Une autre proposition était la réinstallation de 20 000 réfugiés provenant de pays tiers en Europe.
Le 27 mai, la Commission a ainsi précisé dans un communiqué les détails de son agenda, notamment en fournissant de nouveaux chiffres et de nouvelles clés de répartition.
"Nous voulons assurer un minimum de solidarité" au sein de l'Union européenne face à l'afflux de migrants et demandeurs d'asile en Méditerranée, "mais il n'est pas question" que cette mesure soit généralisée, a souligné le commissaire à l'Immigration, Dimitris Avramopoulos, lors d’une conférence de presse. Au total, 450 millions d’euros ont été mobilisés dans une courte période, a-t-il précisé.
"Nous ne proposons pas de relocaliser des migrants irréguliers à travers l’Europe ou un système de quotas, un terme que la Commission n’aime pas et n’a jamais employé", a-t-il insisté en déplorant "les malentendus" créés par une "mauvaise interprétation" de ces propositions "dans certains Etats et dans certains médias". "Chaque Etat membre peut décider lui-même à combien de personnes il veut accorder le statut de réfugié", a-t-il ajouté. Un nombre inférieur à 40 000 "n'aiderait pas l'Italie et la Grèce", un montant supérieur n’aurait pas été accepté par les autres, a souligné le commissaire grec, ajoutant que ces deux pays sont "sous forte pression". "Ce que nous proposons, c'est une répartition équitable des migrants ayant besoin d'une protection internationale", a-t-il expliqué.
Le programme de relocalisation s'appliquera aux ressortissants syriens et érythréens ayant besoin d’une protection internationale et qui sont arrivés en Italie ou en Grèce après le 15 avril 2015 ou y arriveront après l'activation du mécanisme. La Commission cible ces deux nationalités car les Syriens et les Erythréens ont un taux de reconnaissance d'une protection internationale, à l'échelle de l'UE, qui est "égal ou supérieur à 75 % selon les dernières données Eurostat disponibles", indique une fiche d’information. Par ailleurs, seulement les demandeurs d’asile dont les empreintes digitales ont été relevées pourront être relocalisés.
Au total, 40 000 d'entre eux devraient être relocalisés, au départ de l'Italie et de la Grèce, vers d'autres États membres de l'UE au cours des deux prochaines années. Selon la Commission, ce nombre correspond à environ 40 % du nombre total de demandeurs d’asile ayant manifestement besoin d'une protection internationale qui sont entrés sur le territoire de ces pays en 2014. Les États membres recevront 6 000 euros par personne relocalisée sur leur territoire dans le cadre du Fonds "Asile, migration et intégration" (FAMI). Le budget de l'UE fournira un financement spécifique de 240 millions d'euros supplémentaires à l'appui de ce programme de 24 mois.
Sur les 40 000 personnes, 24 000 proviendront de l’Italie et 16 000 de la Grèce.
L’Allemagne devra accueillir le plus grand nombre (8 763 personnes ou 21,9 %, dont 5 258 de l’Italie et 3 505 de la Grèce) – une hausse par rapport à la clé de répartition initiale qui prévoyait 18,4 %. La France devra accueillir 6 752 personnes ou 16,88 %, dont 4 051 de l’Italie et 2 701 de la Grèce), suivie de l’Espagne (4 288 personnes ou 10,7 %). Suivent la Pologne (2 659 personnes ou 6,6 %) et les Pays-Bas (2 047 personnes ou 5,1 %).
Le Luxembourg devra accueillir 368 réfugiés, dont 221 provenant de l’Italie et 147 provenant de la Grèce, soit 0,92 % du total, une légère hausse par rapport à la proposition initiale (0,85 %). La Suède, qui a eu en 2014 le plus de demandes d’asile par rapport à sa population de 9,5 millions (8,4 par 1000 habitants), devra accueillir 3,42 % du total (soit 1 369 réfugiés).
L’Estonie, la Croatie et la Lettonie, qui avaient accordé en 2014 à moins de 30 personnes, devront accueillir plusieurs centaines de personnes : l’Estonie 738 réfugiés, la Croatie 747 et la Lettonie 517 personnes.
La clé de répartition tient compte "de la capacité d’absorption et de la capacité d’intégration des États membres". Elle prend en compte la taille de la population (40 %), le PIB total (40 %), le nombre de demandes d'asile reçues et de place de réinstallation déjà offertes ces cinq dernières années (10 %) ainsi que le taux de chômage (10 %). En ce qui concerne ces deux derniers critères, plus un État membre a reçu de demandes d'asile et plus son taux de chômage est élevé, moins de personnes il aura à relocaliser, précise la Commission.
La Commission s’est déclarée prête à lancer un programme du même type si d'autres États membres, tels que Malte, doivent également faire face à un afflux soudain de migrants. Dans sa fiche d’information, la Commission explique que Malte n'a pas été retenue parmi les bénéficiaires car "la situation actuelle de Malte – qui n'a connu que de faibles arrivées de migrants ces deux dernières années – n'est pas comparable à celle de l'Italie et de la Grèce". Mais elle se dit prête à "activer un mécanisme de relocalisation semblable si une situation d'urgence devait s'y produire". Dans ce cas, Malte ne sera pas obligée de relocaliser sur son territoire des réfugiés en provenance de l’Italie et de la Grèce.
En vertu des traités, le Royaume-Uni et l'Irlande ont un droit d'option qui leur permet de ne participer que s'ils le souhaitent, précise la Commission. La ministre britannique de l'Intérieur, Theresa May, avait déjà fait savoir en amont de la présentation de l’agenda que son pays ne participera ni au programme de relocalisation ni à celui de réinstallation. Le Danemark a, quant à lui, un droit de sortie en vertu du traité, ce qui signifie qu'il ne participera pas.
Tandis que la relocalisation signifie un transfert de personnes ayant obtenu un statut protecteur entre Etats membres en vertu de la directive 2011/95/EU, la réinstallation désigne l’accueil volontaire par un Etat membre de réfugiés provenant de pays tiers et ayant un besoin manifeste de protection internationale sur proposition de l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR). Actuellement, seuls 15 États membres de l'UE ont des programmes de réinstallation, dont la Suède et la Finlande ont accueilli le plus de personnes. Trois autres États membres pratiquant ponctuellement la réinstallation, tandis que les autres États membres n’y participent pas du tout, indique la Commission.
La Commission a adopté une recommandation sur le programme de réinstallation.
La clé de répartition pour le programme de réinstallation est restée inchangée : L’Allemagne se voit attribuer le plus grand nombre de personnes (3 086, soit 15,4 %), suivie de la France (2 375, 11,8 %), du Royaume-Uni (2 309, 11,5 %) et de l’Italie (1 989, 9,9 %). Le Luxembourg devra toujours accueillir 147 personnes (0,74 %). Les États membres sont invités à offrir ces places pour septembre 2015 au plus tard.
Le programme est financé par 50 millions d'euros supplémentaires en 2015/2016 qui s'ajouteront à l'enveloppe spéciale pour le FAMI.
La Commission propose par ailleurs des lignes directrices concernant la mise en œuvre du règlement EURODAC et l’obligation de relever les empreintes digitales de tout demandeur de protection internationale qui est selon elle indispensable afin de "garantir l'efficacité du régime d’asile européen commun". Vu que les États membres "appliquent la législation en vigueur selon des conditions diverses, en recourant à la rétention, à la contrainte, ou à aucune de ces mesures, la Commission propose une "méthode commune pour le relevé des empreintes digitales".
Cette méthode préconise, dans un premier temps, de conseiller les demandeurs et de les informer de leurs droits et obligations, ainsi que des raisons pour lesquelles leurs empreintes digitales sont prises. Si les demandeurs ne coopèrent pas, les États membres "devraient faire un usage spécifique et limité de la rétention, et recourir à la contrainte en dernier ressort", indique la fiche d’information.
La Commission a encore décidé de lancer une consultation publique sur le devenir de la directive "carte bleue", dont l'objectif est de permettre aux ressortissants de pays tiers hautement qualifiés de venir travailler dans l'Union plus facilement, mais "qui est actuellement très peu utilisé". La consultation est ouverte jusqu’au 31 août 2015.
La Commission a également pris acte du nouveau plan opérationnel pour l’opération Triton, présenté la veille par l’agence des frontières Frontex.
Finalement, la Commission a adopté un plan d’action contre le trafic de migrants (2015-2020) qui fait suite à la proposition d’une opération navale en Méditerranée contre les trafiquants, approuvée le 18 mai 2015 par le Conseil des Affaires étrangères.
Le plan d’action prévoit notamment le renforcement de l'équipe opérationnelle conjointe en matière d'information maritime (JOT MARE) d'Europol, créé en mars 2015, pour devenir le centre d’échange d’informations de l’UE en matière de lutte contre le trafic de migrants. Il définit des mesures pour prévenir le trafic de migrants et le combattre, comme l'établissement d'une liste de navires suspects; l'utilisation de plateformes spécialisées pour améliorer la coopération et l'échange de renseignements avec les établissements financiers ou encore la coopération avec les fournisseurs de services internet et les réseaux sociaux pour faire en sorte que les contenus mis en ligne par les passeurs pour faire connaître leurs activités soient rapidement détectés et supprimés. Le plan prévoit encore de renforcer le rôle de Frontex quant au retour dans leurs pays d’origine de migrants irréguliers ou de ceux dont la demande d’asile a été refusée, afin de "décourager" le trafic d’êtres humains.
Quant à la possible destruction de navires de trafiquants qui avait suscité des critiques, Frontex sera chargé de "fournir une assistance technique et financière aux Etats membres afin de remorquer les navires à la rive et les détruire" ("scrap").
Wikileaks a pour sa part publié deux rapports confidentiels du Comité militaire de l'Union européenne (CMUE), datés du 12 mai, sur les moyens pour mettre un terme au trafic de migrants.
Dans le premier rapport, le CMUE revient notamment sur les initiatives et moyens à mettre en place pour convaincre l'opinion publique de la nécessité d'une telle opération. La stratégie médiatique doit ainsi éviter, selon les experts, de se focaliser sur "la nécessité de sauver les migrants", et se concentrer avant tout sur le fait que l'objectif de l'opération est le démantèlement des réseaux du trafic migratoire.
Le deuxième rapport met en avant l'importance d'"entreprendre systématiquement des efforts pour identifier, capturer et détruire les bateaux avant même qu'ils ne soient utilisés par les trafiquants". Mais cette opération devrait être encadrée par une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies à condition que la Libye le demande.