La Fédération européenne des travailleurs des transports (European Transport Workers’ Federation, ETF) et plusieurs de ses syndicats membres, dont les luxembourgeois FNCTTFEL et Syprolux, se sont invités en marge du Conseil Transports qui réunissait les ministres européens de ce ressort dans la capitale luxembourgeoise, le 6 juin 2015, pour protester contre la libéralisation du rail qui serait induite par le 4e Paquet ferroviaire.
Pour mémoire, ce paquet législatif, proposé par la Commission européenne le 30 janvier 2013, vise à ouvrir à la concurrence les services ferroviaires nationaux de transport de voyageurs à partir de décembre 2019. Les entreprises ferroviaires de l'UE auraient ainsi un accès égal aux voies, aux signaux et aux gares dans l'ensemble des pays de l'Union pour exploiter des services. Il prévoit également que les contrats de service public seraient, d'une manière générale, soumis à une mise en concurrence obligatoire. Enfin, la Commission suggère également de renforcer les règles de l'UE concernant la séparation entre les gestionnaires de l'infrastructure, qui exploitent le réseau et les gares, et les entreprises ferroviaires, qui fournissent les services. Ces propositions font partie du volet "politique" ou dit de "marché" du quatrième paquet ferroviaire.
Après avoir marqué en Conseil, le 5 juin 2014, un accord politique sur son volet technique – projets de directives concernant l'interopérabilité et la sécurité des chemins de fer européens et sur le projet de règlement relatif à l'Agence de l'UE pour les chemins de fer –, les ministres européens des Transports avaient tenu un premier débat d'orientation sur ces propositions en octobre 2014 et fait le point des progrès réalisés au cours d’un second échange en décembre 2014, puis mené un nouveau débat d’orientation sur le sujet en mars 2015.
A ces occasions, le Luxembourg s’est prononcé de manière récurrente contre "une mise en concurrence forcée des contrats de services publics", de telles mesures n’apportant aucun avantage selon le ministre luxembourgeois du Développement durable et des Infrastructures, François Bausch, qui y voyait au contraire un danger pour l'opérateur national (CFL), "quatrième employeur du pays". Lors du Conseil Transports de mars 2015, le Luxembourg et une coalition d’une dizaine de pays disposant de réseaux ferroviaires de taille modéré avaient demandé une exemption de l’obligation de mise en concurrence des services publics. Sur base de ces différents débats, la Présidence lettonne du Conseil de l’UE a soumis une proposition de compromis, qui devait être examinée lors de la réunion du 6 juin 2015.
Dans ce contexte, le 3 juin 2015, les ministres des Transports de plusieurs Etats (Bulgarie, Croatie, Estonie, Grèce, Irlande, Lituanie, Luxembourg et Slovénie) ont envoyé une lettre à la commissaire européenne aux Transports, Violeta Bulc, afin d’exprimer leur préoccupation quant à la libéralisation des marchés du rail prévue dans le volet politique du 4e paquet ferroviaire. Ils demandent des exemptions pour les pays dont le trafic ferroviaire représente moins d'1 % du trafic ferroviaire intérieur de passagers de l'UE.
En marge du Conseil, une centaine de représentants de syndicats de cheminots membres de l’ETS, à commencer par les syndicats luxembourgeois FNCTTFEL et Syprolux, se sont ainsi réunis devant l’European Convention Center Luxembourg où se réunit le Conseil pour un piquet de protestation. L’occasion pour les syndicats de réaffirmer les dangers que renferme selon eux ce 4e Paquet ferroviaire et d’avoir un court échange avec le ministre François Bausch.
Selon les syndicalistes, le compromis de la Présidence lettonne, bien qu’apparaissant comme faits "sur mesure" pour les plus petits pays, "semble voué à l’échec". S’ils reconnaissent que les règlements d’exception proposés "ont été élargis", les manifestants y voient avant tout une "tentative impuissante". "Le compromis prévoit une attribution directe [des contrats de service public] à condition que la valeur du contrat de service soit inférieure à 7,5 millions d’euros et/ou si la capacité de transport est inférieure à 500 000 passagers/kilomètres. Ce n’est absolument pas un compromis satisfaisant", a souligné Jean-Claude Thümmel, président du FNCTTFEL.
Les syndicalistes estiment par ailleurs que le règlement actuellement en vigueur en matière de transport ferroviaire, à savoir le règlement 1370/2007, qui laisse la liberté aux mandataires d’opter entre un appel d’offre ou une attribution directe. "Par conséquent, nous n’avons pas besoin d’un modèle qui ne se base que sur la compétitivité et la mise en concurrence", a poursuivi le président du FNCTTFEL. Au contraire, un appel d’offre systématique, tant pour les services publics de transport sur rail et sur route, engendrerait "une pression sur les prestataires potentiels, indépendamment de leur appartenance au secteur public ou privé" qui "aura des répercussions inévitables sur les conditions de travail et les conditions sociales", disent les syndicats pour lesquels "compétitivité signifie avant tout réduction des coûts".
"La sécurité au travail et la sécurité du travail seront sous pression et le résultat de cette spirale sera le dumping social. A ce jeu, personne, hormis les profiteurs, ne sera gagnant", a encore dit Jean-Claude Thümmel.
Les organisations syndicales membres de l’ETF en appellent donc aux ministres européens réunis en Conseil Transports pour qu’ils tiennent compte de plusieurs de leurs revendications, et notamment à considérer que la libéralisation n’a ni "fourni le changement de paradigme promis", ni "créé d’emplois supplémentaires" et que le dumping social "est une réalité en Europe". Elles revendiquent en conséquence la possibilité de maintenir des entreprises ferroviaires intégrées et de conserver le règlement en vigueur, ainsi que d’évaluer "objectivement" les mesures de libéralisation mise en œuvre jusqu’à présent dans le secteur.
Le piquet de protestation a également été l’occasion pour les syndicalistes d’une brève rencontre avec le ministre luxembourgeois du Développement durable et des Infrastructures, François Bausch, dont Jean-Claude Thümmel a salué la volonté exprimée de faire de la lutte contre le dumping social une des priorités de la Présidence luxembourgeoise du Conseil de l’UE, qui débute le 1er juillet 2015.
Le ministre s’est dit "absolument d’accord" sur le fait que la réforme du rail devait avoir pour objectif de doter l’Europe d’un secteur ferroviaire de qualité et d’assurer la transparence du secteur, et qu’il s’agissait avant tout de "faire quelque chose qui soit en faveur des citoyens" pour que ces derniers puissent bénéficier de services publics de transports de qualité. "Si on se concentre sur les critères de qualité, je pense que nous aurons à la fin un paquet avec de nombreux éléments positifs, comme l’interopérabilité", a-t-il notamment dit.