A la veille du Conseil européen des 20 et 21 octobre 2016 qui doit aborder le sujet, la Commission européenne a enjoint les Etats membres à adopter rapidement de nouveaux instruments de défense commerciale contre la concurrence déloyale, et notamment celle venu de Chine, liée aux surcapacités de son industrie sidérurgique.
"L'UE est et veut rester le plus grand bloc commercial du monde. Mais le commerce doit être basé sur des conditions loyales. L'UE compte pour 15 % des importations à l'échelle du monde, mais les mesures de défense commerciale correspondent à seulement 7,8 % de celles en place dans le monde et ne touche que 0,21 % des importations. Quand on en vient à la mise en œuvre de mesures pour défendre l'emploi sur son territoire, aucun autre bloc n'exerce une telle auto-retenue, due aux limites imposées par la législation", explique le communiqué de presse de la Commission européenne.
"Nous avons atteint la limite de ce qui est faisable sous l'actuelle législation. Nous avançons des mesures qui amélioreraient considérablement notre marge de manœuvre", a déclaré le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker. Il s'agit également de disposer d'instruments nouveaux en vue de l'expiration, le 11 décembre 2016, de certaines dispositions du protocole d'adhésion de la Chine à l'OMC, dans la perspective la Commisison européenne a entamé une réflexion en janvier 2016.
Comme elle l'explique dans sa communication baptisée "Towards a robust trade policy for the EU in the interest of jobs and growth" ("Vers une politique commerciale solide pour l'UE dans l'intérêt de l'emploi et de la croissance"), la Commission souhaite premièrement que les pays de l'UE s'accordent sur une proposition qu'elle avait mise sur la table en avril 2013 et qu'elle a complétée le 16 mars 2016. Cette proposition prévoit des outils dotées d'une plus grande transparence, des procédures plus rapides, une application plus efficace et propose des changements dans l'application de la règle du droit moindre, qui jusque-là plafonne de facto le niveau des droits pouvant être institués. Ainsi, en cas de surcapacité massive ou de distorsions liées aux matières premières, cette règle dite du "droit moindre" ne serait plus appliqué. Toutefois, le Conseil n'a pas encore réussi à s'entendre sur ce principe notamment, comme le rappelle la Commission, qui espère que les 28 pays de l'UE puissent s'accorder sur ce sujet lors de la réunion des ministres du Commerce prévue le 11 novembre 2016.
Ensuite, la Commission européenne développe dans sa communication les éléments d'une nouvelle méthode de calcul du dumping, permettant d'imposer des droits anti-dumping plus élevés, dans certains cas, notamment d'exportation massive de surcapacités. Elle viendrait en complément de la proposition de réforme sur les rails depuis 2013 et permettrait de tenir compte des distorsions du marché liées aux interventions d'un Etat.
Cette proposition ne prévoit pas l'attribution du statut d'économie de marché mais assure que les instruments de défense commerciale de l'UE sont adaptés pour faire face aux nouveaux défis et réalités économiques et légales, tout en maintenant le niveau de protection. "Pour déterminer une distorsion, plusieurs critères seront pris en considération, telles que les politiques nationales, l'ampleur de l'emprise de l'Etat sur l'économie – entreprises possédées, discrimination en faveur des entreprises nationales et indépendance du secteur financier", lit-on dans la communication. Cette méthodologie pourra être appliquée à tous les membres de l'Organisation mondiale du commerce et impliquera le retrait de "la liste des pays qui ne sont pas des économies de marché" de la législation anti-dumping.
Cette proposition "rapprochera la législation et la pratique de l'Union européenne de celles de partenaires internationaux comme le Canada et les Etats-Unis" souligne la Commission. Une annexe à la communication montre d'ailleurs que les droits anti-dumping imposés sur des produits sidérurgiques peuvent varier, entre l'UE et les Etats-Unis, du simple au décuple. La veille, dans une lettre adressée aux 28 Etats membres, une cinquantaine de patrons sidérurgistes européens avaient jugé que "la méthode antidumping de l'UE [devait] être alignée avec la méthodologie non-standard utilisée par les Etats-Unis". Par ailleurs, la proposition de la Commission européenne prévoit qu'elle produirait des rapports pays par pays sur de telles distorsions, sur lesquels les industriels pourraient se reposer pour porter plainte.
Enfin, la Commission européenne a annoncé qu'elle ferait une proposition, là aussi d'ici à la fin de l'année, pour le renforcement de la législation européenne anti-subventions, afin qu'il lui soit désormais possible d'intégrer à une enquête en cours de nouveaux subsides qui seraient pratiquées par un pays tiers. Il s'agit de prendre en compte de la difficulté à identifier dans des pays manquant de transparence.
Dans la foulée de la présentation de la communication de la Commission européenne, le directeur général d'Eurofer, Axel Eggert, a salué un "soutien clair d'une politique commerciale réactive et effective [qui] tombe à point nommé". L'organisation patronale attribue "une grande partie des 85 000 emplois que l'industrie sidérurgique européenne a perdus depuis le début de la crise à des instruments de défense commerciale inadéquats" et rejoint les appels à une adoption rapide de nouveaux instruments de défense commerciale, en désignant le Royaume-Uni et les Pays-Bas comme principaux pays responsables du blocage au Conseil. Néanmoins, EUROFER prévient qu'une méthodologie révisée devrait tout de même faire référence aux cinq critères établis par l'UE pour définir une économie de marché (l'élimination du commerce de troc dans l'économie, la non-intervention du gouvernement sur l'allocation des ressources et les décisions des entreprises, une législation sur les entreprises transparente et non discriminatoire, une législation sur la propriété et un système de faillite effectifs ainsi qu'un secteur financier authentique et indépendant de l'Etat).
Le même jour, l'organisation des syndicats européens de la sidérurgie IndustriAll Europe avait lancé un appel aux Etats membres demandant le maintien d'une méthodologie non-standard, appliquée à tous les pays qui ne respectent pas les cinq critères définies par l'UE pour désigner une économie de marché. Elle demandait également qu'il n'y ait pas de renversement de la charge de la preuve et qu'ainsi les entreprises des pays exportateurs restent, comme c'est le cas actuellement, tenues de prouver qu'elles n'effectuent pas de dumping, l'accélération de la procédure et le renforcement des instruments de défense commerciale.
"IndustriAll Europe ne peut plus accepter la détérioration des conditions de travail due à des pratiques commerciales déloyales. L'UE fut capable de sauver les banquiers. Il n'y a pas de raison qu'elle ne soit pas capable de sauver les sidérurgistes", a déclaré Luc Triangle, le secrétaire général, mentionnant une future manifestation à Bruxelles le 9 novembre 2016.