Le 10 mai 2016, le Parlement européen a débattu en plénière sur l'éventuel octroi du statut d'économie de marché à la Chine (MES) et donc sur la manière dont l'UE devra lutter contre toute concurrence déloyale de la Chine après le 11 décembre 2016, date à laquelle le protocole d'accès de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) prévoit des changements dans son traitement dans les enquêtes en matière de défense commerciale.
Les députés de tous les partis politiques étaient d'accord pour affirmer que "la Chine n'est pas une économie de marché" selon les cinq critères de l'UE, entre autres parce qu'elle subventionne ses entreprises, n'est pas ouverte au sujet des aides d'État et offre des prix bas à l'exportation qui ne sont pas déterminés par l'offre et la demande.
"La question la plus importante n'est pas de savoir si oui ou non il faut accorder à la Chine le statut d'économie de marché, mais les emplois", a lancé David Caspary, au nom du PPE. Dans une prise de position publiée par le quotidien français La Tribune, qu'aucun des trois eurodéputés luxembourgeois PPE, qui avaient exprimé leur position le 19 février 2016, n'a signée, treize députés du groupe PPE, emmenés par l'Italien Antonio Tajani, considèrent que l'UE doit "refuser ce statut sans multiplier les controverses juridiques sur ce que dit ou ne dit pas le Protocole d'accession de la Chine à l'OMC." "Nous devons nous donner les moyens de défendre nos entreprises et nos emplois face à tout dumping qu'il soit fiscal, social, ou environnemental", disent-ils en pressant la Commission et les États membres d'accélérer la modernisation et le renforcement des instruments de défense commerciale.
Les socialistes ont ainsi annoncé qu'en l'état actuel des choses, ils ne voteraient pas en faveur de ce statut pour la Chine "au nom du principe de précaution", parce que la Chine continue à pratiquer un dumping industriel, social et écologique. Une telle décision serait "hasardeuse" et "contribuerait au suicide de l'industrie manufacturière européenne", a estimé le président du S&D Gianni Pittella en séance. "Nous ne voulons pas être responsables d'une erreur historique", a-t-il poursuivi par communiqué.
L'ECR est d'avis que l'UE devrait pouvoir garder la pleine capacité à prendre des mesures anti-dumping et assurer que les entreprises européennes puissent continuer à œuvrer dans des conditions équitables de concurrence.
Marietje Schaake pour l'ADLE a fait savoir que l'UE avait besoin d'instruments solides de défense commerciale et a insisté sur le fait que les mesures européennes devaient être conformes aux règles de l'OMC, car c'est "le seul moyen crédible de souligner l'importance que nous accordons ici à un commerce mondial reposant sur des règles qui s'appliquent également à tous".
Pour le groupe GUE/NGL, Helmut Scholz, a considéré que les instruments de défense commerciale qu'il assimile à la fabrication d'armes n'est pas la panacée dans une guerre économique. L'UE et la Chine doivent plutôt œuvrer à une solution commune. La Commission ne devrait, selon lui, pas seulement parler de protection des investissements avec la Chine mais aussi négocier un accord pour un commerce loyal et contre le dumping salarial, social et écologique.
Dans un communiqué de presse, l'eurodéputé luxembourgeois du groupe Verts/ALE, Claude Turmes, a déclaré que l'Europe devait agir avec détermination contre le dumping de la République populaire de Chine qui est "encore très loin d'être une économie de marché". "Avec la désignation de la Chine comme économie de marché, nous nous priverions de nos possibilités de décider d'amendes douanières et d'autres mesures de défenses contre des produits fabriqués dans des conditions de dumping", déclare-t-il. "Tant que nous n'avons pas clarifié la manière dont nous protégeons le marché européen efficacement contre le dumping, nous ne devrions pas octroyer le statut d'économie de marché à la Chine", considère l'écologiste en rappelant les prévisions de l'étude publiée par l' Economic policy institute en septembre 2015 selon laquelle entre 1,7 et 3,5 millions d'emplois pourraient être menacés dans le cas contraire. "La Commission et les Etats membres devraient faire montre de leur détermination et représenter enfin une position commune vers l'étranger, au lieu de se laisser diviser dans les négociations avec la Chine", pense-t-il.
Les eurodéputés ont par ailleurs exhorté la Commission à présenter rapidement son évaluation de l'impact sur l'industrie et l'emploi en Europe des trois options sur table.
Dans son intervention, le commissaire européen, en charge de la santé et de la sécurité alimentaire Vytenis Andriukaitis, a donné des indices sur laquelle de ces trois options, évoquées dans le cadre de la consultation publique en ligne lancée le 10 février 2016, que retiendrait la Commission. "Il est indéniable que la Chine n'est pas une économie de marché, quelles que soient les normes que l'on applique. La Commission travaille donc à une nouvelle approche pour la méthodologie antidumping dont les calculs refléteraient les distorsions dans l'économie chinoise de façon plus précise. Elle comprendra un système solide de défense commerciale et assurera la conformité avec les règles de l'OMC", a-t-il garanti.
Beaucoup d'eurodéputés ont sommé le Conseil de s'accorder enfin sur la proposition de modernisation des instruments de défense commerciale, mise sur la table par la Commission en avril 2013 et bloquée depuis décembre 2014 au Conseil, alors que le Parlement européen a pris position en avril 2014. Ce fut le cas notamment du président de la commission du commerce international, l'Allemand Bernd Lange (S&D) qui estime que la solution passe certes par la présentation par la Commission "de méthodes de calcul antidumping alternatives" face au commerce déloyal chinois, mais aussi par l'adoption "d'instruments rapides et flexibles" par le Conseil.
Le groupe d'action MES (MES Action group) lancé par les eurodéputés français Edouard Martin (S&D), Emmanuel Maurel (S&D) et Italien David Borrelli (ELDD), et composé de 35 députés principalement issus des groupes S&D, ELDD, Verts/ALE, mais incluant aussi des députés PPE, ADLE et GUE/NGL, qui avaient initié une contre-consultation sur l'octroi du statut le 15 mars 2016, a demandé à la Présidence néerlandaise de "trouver un compromis mutuellement acceptable" sur la réforme des instruments de défense commerciale au Conseil, en particulier sur l'introduction de dérogations limitées à la règle du droit moindre (lesser duty rule) afin de donner à la Commission la possibilité d'imposer des droits correctifs jusqu'à la totalité du montant de la marge de dumping dans certains cas limités, a rapporté l'Agence Europe.
La règle du droit moindre est un engagement unilatéral 'OMC+' que nos principaux partenaires commerciaux, tels que les États-Unis, n'appliquent pas, rappellent-ils. Cet état de fait mène à davantage de distorsions du marché, car les divergences entre les régimes de l'UE et des États-Unis conduisent à un détournement important des échanges. "Présenter des dérogations (qui seraient temporaires) à cette règle ne transformerait pas l'UE en une zone protectionniste. Cela assurerait un commerce plus équitable et contribuerait à restaurer une situation de concurrence équitable pour notre industrie", ont souligné les membres du groupe d'action MES.
"Soyez assuré que le Conseil va prendre en compte (...) l'intérêt des consommateurs et des producteurs" européens, a répondu la ministre néerlandaise Jeannine Hennis-Plesschaert, dont le pays assurer la présidence du Conseil de l'UE, rappelant que le sujet serait débattu lors du Conseil des affaires étrangères du 13 mai.
Post Scriptum : Suite à ce débat, le Parlement européen a, en date du 12 mai 2016, adopté une résolution non contraignante, par 546 voix pour, 28 voix contre et 77 abstentions, qui demande de ne pas octroyer le statut d'économie de marché et de maintenir des mesures antidumping tant que la Chine ne satisfait pas les cinq critères de l'UE et qui rappelle la "nécessité imminente" d'une réforme générale des instruments de défense commerciale de l'UE.